Rencontre des Groupements d’achatsClés pour comprendre

22 février 2011

Les Groupements d’achats, nous vous en avions beaucoup parlé, il y a quelques années de cela (1). Quelques années ont passé et ce mouvement, que nous n’avons jamais cessé d’observer, n’a fait que s’amplifier. A tel point qu’une nouvelle journée de rencontres et d’échanges nous paraît aujourd’hui indispensable. Pour se parler et faire le point, bien sûr, mais aussi pour mettre en chantier ce qu’un groupe seul, dans l’intimité de son quotidien, ne pourrait jamais faire. Car aujourd’hui certaines réalités nouvelles doivent être mieux connues et dûment analysées par chacun…

Le mouvement des Groupements d’achats, en développement depuis une vingtaine d’années en Wallonie, se diversifie et s’amplifie. De multiples formes ont émergé pour répondre à une préoccupation commune : se réapproprier les circuits de distribution alimentaires en créant un lien de solidarité entre producteurs et consommateurs… et entre consommateurs eux-mêmes. D’une relation unilatérale consommateur-grande distribution – où nous ne sommes que des clients pour des produits choisis à l’avance pour nous – dont le seul objectif est de maximiser le bénéfice des actionnaires, les citoyens redeviennent des décideurs, libres de soutenir et d’encourager un producteur, des variétés particulières/oubliées de légumes, de produits du terroir et un mode de production respectueux de l’homme et de l’environnement. La consommation devient consomm’action ; les saisons reprennent tout leur sens, la publicité est renvoyée à la profondeur abyssale de son inanité. On file les fibres sociales de chacun pour le tissage d’un réseau local renouvelé et recoloré. Car, au fond de tout cela, il y a avant tout beaucoup de plaisirs…

Solution locale d’un modèle global

Mais ces choix ont également un grand nombre de corollaires positifs, insoupçonnés au départ, et qui contribuent certainement à l’avènement d’une société solidaire, sobre et heureuse. Les Groupements d’achats reflètent, en réalité, le modèle global d’une société solidaire et ancrée dans un développement localisé. Rien moins ! Voilà tout simplement ce qui est au cœur de cette expérimentation qui peut paraître anodine, de prime abord. Dans bon nombre de Groupements d’achats se développent, en effet, des échanges d’expériences – activités communes et rencontres -, de services – SEL (2) – et de savoirs – RES (3) -, mais également de l’entraide – prêts, mutualisation de biens -, de la mobilisation commune – pétitions, manifestations, soutiens -, des repas – sur le mode des auberges espagnoles -, des fêtes, des visites et des découvertes qui dépassent de loin les quelques énergies qui présidaient aux rassemblements initiaux.
Les valeurs vécues s’appliquent à de nombreux domaines, favorisant l’ancrage d’un changement global vers plus de solidarité et de respect. L’expérience d’un Groupement d’achat permet de renouer avec ces valeurs, de les vivre pour y croire à nouveau et de les propager au reste des activités individuelles ou collectives. On déroule la bobine ensemble et on redécouvre la finance solidaire, les friperies (4) et les « donneries » (5), les voitures partagées, les crèches parentales, les coopératives d’habitants, le jardinage biologique collectif, et cetera, et cetera.

Paniers de légumes = alternatifs ? Mais que sont-ils donc, et que font-ils donc ? Il y a une vingtaine d’années, à l’initiative des « équipes rurales » se mettaient en place des Groupements d’achats de produits locaux sous forme de colis. C’étaient les fameux « Paniers du Pays ». Depuis lors, on a vu apparaître un grand nombre de « paniers » de produits, souvent en qualité biologique, mais rarement liés à des fermes locales. Ce sont aujourd’hui principalement des entreprises déconnectées des circuits de distribution locaux qui achètent simplement des produits aux grandes centrales d’achat – les mêmes produits que ceux qui se retrouvent dans les supermarchés, donc – pour composer de soi-disant paniers et organiser des dépôts dans différents lieux publics : magasins, entreprises, communes, etc. Ce système, bien qu’ayant des ressemblances – certes faibles – avec les Groupements d’achats ne proposent, en réalité, aucune alternative réelle à la grande distribution et n’incarnent aucune des valeurs vécues au sein des Groupements d’achats. Ce sont, en réalité, des initiatives qui profitent de l’engouement présent pour le soutien à une agriculture locale, sans proposer particulièrement des produits de chez nous. Seul l’emballage, le « panier », peut inciter à penser qu’il s’agit de produits de terroir. Il faut donc, absolument, rester vigilant en ce qui concerne ce type d’initiative qui, à notre sens, détourne et dessert les initiatives réellement alternatives. Dans ce cas, il faut simplement se poser les questions suivantes, elles nous paraissent élémentaires : d’où viennent les produits proposés, de quel type de ferme proviennent-ils, sont-ils vraiment d’origine locale, sont-ils de saison, et combien y a-t-il d’intermédiaires entre le producteur et moi dans la chaîne de distribution ?

Freins au développement

Avec un essor extrêmement positif et un avenir prometteur, le mouvement fait malgré tout face à une somme de freins d’ordre sociaux, économiques ou encore législatifs. En 2004, un rapport (6) des Amis de la Terre identifiait plusieurs obstacles au développement de ces groupements : conflits, divergences et concentration des tâches sur peu de personnes, mode de transport et de conditionnement des produits, disponibilité des locaux de rassemblement et problématique de l’affiliation. Un autre problème au sein de certains groupements composés en partie d’étudiants et la grande fréquence de départs et arrivées de membres qui entrave la mise en route de dynamiques communes sur le moyen terme.
De notre côté, suite à un travail collectif effectué depuis six mois avec des porteurs de Groupements d’achats, nous avons identifié quelques freins supplémentaires. Citons, parmi ces freins, le manque de réponses aux questions d’ordre législatif qui peuvent conduire à une autolimitation des activités envisagées. Les questions relatives à la TVA – taxation des échanges -, à l’ONEM – travail au noir -, à l’AFSCA – sécurité sanitaire – et aux assurances demeurent souvent sans réponses et constituent, dès lors, des graines d’inquiétudes pour ceux qui s’impliquent dans ces initiatives. Un tel flou est très insécurisant pour d’honnêtes gens qui ne recherchent qu’un supplément de lien social. Les activités, avant tout citoyennes, des Groupements d’achats s’en trouvent gravement entravées.
Un autre frein important réside dans le manque criant de producteurs de proximité, pour certains produits du moins, prêts à se lancer dans de telles expériences. Nous avons aussi identifié des problèmes considérables au niveau de la gestion quotidienne des commandes, des finances et de la communication. L’ensemble de ces freins sont contournés par certains groupements au moyen d’outils de gestion adaptés – logiciels, sites Internet, chartes, etc. Signalons enfin la mise en évidence d’une récupération du mouvement par de sociétés qui proposent des « paniers de légumes », par exemple, sans aucune autre forme de relation avec la clientèle que la stricte et traditionnelle relation commerciale. Pour des novices, ce développement peut s’apparenter au mouvement des Groupements d’achats, même si les promoteurs de telles sociétés ne partagent, en pratique, aucune des valeurs vécues au sein de véritables projets joyeux et citoyens (voir encadré)…

La rencontre des Groupements d’achats

Nous pensons qu’évoquer, ensemble, toutes ces questions et, bien sûr, tenter de leur apporter des réponses appropriées permettra aux groupements existants d’envisager davantage d’activités, permettra également à des nouveaux groupements de se créer plus facilement, plus rapidement, soutenant ainsi de plus en plus de paysans. Pour cette raison, Nature & Progrès a souhaité participer à l’organisation d’un évènement intitulé « Rencontre des groupements d’achats » qui aura lieu en février 2011, afin de fournir les réponses aux questions énoncées ci-avant et d’avancer sur la voie de l’identification, en termes de valeurs, de ce mouvement résolument alternatif et porteur de changement.
Il ne s’agit donc, en aucune façon, d’un évènement de rassemblement ou de fédération, mais seulement d’une vaste rencontre citoyenne placée sous le signe de la discussion et de l’échange. D’après nous, il n’existe pas, aujourd’hui, de désir de fédérer les Groupements d’achats, et ce n’est absolument pas notre intention. Nous n’en voyons pas l’intérêt et aucun groupe n’en exprime d’ailleurs le souhait. Il s’agira donc simplement de mettre les personnes en contact et d’organiser une transmission efficace d’informations basée sur une demande réelle et une analyse objective de la réalité quotidienne des Groupements d’achats. Cette rencontre fait donc, en quelque sorte, suite à la rencontre nationale des Groupements d’achats qui a eu lieu, en mars 2003, à Seraing.
Nature & Progrès avait déjà organisé, le 3 juin 2006, une rencontre entre « gaqueurs » et producteurs, avec pour objectif principal d’approfondir la réflexion à propos des circuits courts en regard de la formule des Groupements d’achats. Nous avions alors invité Pascal Thibaulot, éleveur de porcs bio dans les Vosges, afin qu’il nous informe sur la réalité de son AMAP – Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne -, une forme de partenariat de proximité entre un groupe de consommateurs et une ferme, se développant à partir de la vente directe par souscription des produits de cette dernière. Etienne Verhaegen était également venu partager ses observations récoltées dans le cadre d’une thèse de doctorat sur ce sujet.
Au vu de la diversité des méthodes, des sensibilités et des contextes, nous pensons que les Groupements d’achats gagneraient aujourd’hui à intensifier une dynamique d’échange qui sera susceptible de leur apporter une meilleure assise et de leur donner un nouvel élan. C’est le sens que nous aimerions donner à la journée de février…


Article rédigé par François de Gaultier dans « Valériane » périodique bimestriel de l’association Nature et Progrès (n°87, janvier/février 2011)

(1) voir notamment les numéros 57 et 60 de votre revue Valériane
(2) SEL = Services d’Echanges Locaux
(3) RES = Réseaux d’Echanges de Savoirs
(4) Stocks de surplus de vêtements en libre service ou à échanger
(5) Stock de surplus d’objets et de matériaux en libre service ou à échanger
(6) http://www.amisdelaterre.be/IMG/pdf/groupements.pdf

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