Mais qu’est-ce que le « libre » ? Un logiciel libre peut être utilisé, étudié, modifié et dupliqué en toute légalité, à la différence du logiciel propriétaire, commercialisé par une marque et dont toute copie est strictement interdite. Pour le faire comprendre, Richard Stallman, bidouilleur informatique et promoteur du logiciel libre, a coutume d’utiliser une métaphore culinaire. Chacun est libre d’utiliser une recette qu’il a obtenue légalement, de la modifier pour y apporter sa touche personnelle et de la communiquer à n’importe qui. Sa diffusion n’est alors pas limitée et s’enrichit des pratiques de tous les cuisiniers. C’est le principe du logiciel libre. En revanche, avec un logiciel propriétaire, on aurait le droit d’acheter seulement le gâteau tout fait et sa recette resterait secrète. Pire, on imposerait même de consommer le gâteau dans un lieu précis et seul son acheteur aurait le droit de le manger.
Les pratiques sont variées dans un fab lab : cela peut aller du plaisir de fabriquer soi-même pour les bricoleurs, à des fonctions d’éducation et de recherche pour les écoles et universités. Les entrepreneurs trouveront là un bon moyen de réaliser les premiers prototypes de leurs produits, tandis que la production locale sera l’enjeu principal des populations des pays en développement.
Transposé dans le monde des technologies matérielles, la philosophie du libre ouvre la possibilité par exemple, plutôt que d’acheter sa machine à laver, d’acquérir sa « recette » ou son mode de montage et de la fabriquer soi-même. Ceci peut paraître utopique ou compliqué, mais grâce au développement des ateliers de fabrication personnelle (fabs labs, hackerspaces, bricolabs, etc.), fabriquer soi-même une machine à laver plus écologique, son vélo électrique ou ses panneaux solaires est de plus en plus à la portée de chacun. Bienvenue dans le monde du « matériel libre ».
Une forme de résistance
Selon le site de bricolage La Grotte du barbu, le matériel libre « est un terme qui regroupe des artefacts tangibles — machines, dispositifs ou toutes choses physiques — dont les plans ont été rendus publics d’une telle façon que quiconque puisse les fabriquer, les modifier, les distribuer et les utiliser ». On ne diffuse pas les objets eux-mêmes mais leurs plans de fabrication, le plus souvent gratuitement et via le Web.
Le phénomène n’est bien entendu pas entièrement nouveau. Les adeptes du système D et du bricolage n’ont pas attendu Internet pour modifier les objets qui les entourent. Dans les années 1960-1970, cela devient même un vaste mouvement qui prend le nom de « Do it yourself » ou « Faites-le vous-même » en français. Pour les partisans de ce modèle, ancré dans la contre-culture, il s’agit d’afficher leur résistance face à une société de plus en plus consumériste et industrielle. Aujourd’hui, ces mêmes valeurs reviennent sur le devant de la scène sous l’effet conjugué des crises économique et écologique. Faire soi-même est d’abord un moyen de réduire ses dépenses. C’est aussi une alternative à la production industrielle standardisée qui nous livre des produits parfois peu adaptés à nos besoins réels, souvent fabriqués avec des techniques polluantes, faisant peu de cas du recyclage et privilégiant le jetable.
Tout le monde est bienvenu dans les fabs labs ! Comme chaque laboratoire doit s’engager à rendre accessible des outils à commandes numériques, on peut dire que ces lieux contribuent à la démocratisation d’équipements autrefois hors de portée du grand public.
Ce qui est nouveau aujourd’hui est la démocratisation d’outils de pointe autrefois très coûteux et hors de portée du grand public. Grâce aux fabs labs, il est désormais possible d’étendre notre capacité de production aux technologies parfois complexes qui font partie de notre quotidien.
Des ateliers pour tout faire
Le concept du fab lab (contraction de « fabrication » et « laboratory ») a été inventé dans les années 1990 par Niel Gernshenfeld, professeur à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) à Boston. Depuis, il a essaimé partout dans le monde. On compte aujourd’hui 45 fabs labs, répartis dans 16 pays, aux Etats-Unis et en Europe (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Norvège…) mais aussi dans les pays du Sud (Kenya, Inde, Afrique du Sud ). De nombreux autres fabs labs sont planifiés en différentes parties du globe.
Les fabs labs sont le plus souvent adossés à des structures existantes : des écoles, des laboratoires de recherche, des associations et parfois des entreprises. Selon la charte commune, leur mission est de « favoriser l’innovation ou le développement de produits variés. Pour ce faire, chaque laboratoire doit s’engager à rendre accessible des outils à commandes numériques pour tous. Un fab lab doit être un lieu de création où chacun peut échanger des connaissances ».
Afin de faciliter l’échange des savoir-faire, des méthodes de conception ou bien encore des plans, tous les fabs labs forment un réseau et partagent le même équipement. La machine la plus emblématique est sans doute l’imprimante 3D, qui permet de générer des objets en trois dimensions à partir d’un plan entré dans un ordinateur. Ce type de matériel, habituellement très coûteux, a été rendu accessible par Adrian Bowyer qui a conçu la RepRap. Les plans et toutes les spécifications de cette imprimante 3D sont libres et gratuits, ce qui permet à chacun de construire la sienne pour un prix moyen de 350 euros environ. Elle a la particularité d’être « autoréplicante », c’est-à-dire qu’elle peut produire elle-même une grosse partie des pièces qui servent à sa fabrication. On trouve également dans les fabs labs une machine de découpe laser qui produit des structures en 2D ou 3D, une machine de sérigraphie pour fabriquer des circuits imprimés, des composants électroniques, etc.
Le Timelab de Gand
En Belgique, le Timelab de Gand a été fondé le 1er janvier 2010 par Evi Swinnen et son équipe. Il est porté par l’organisation Timefestival qui met sur pied tous les deux ans, depuis 1989, un festival d’art dans la ville.
Pour Evi Swinnen, la conscience écologique est au cœur de l’activité d’un fab lab : « Le concept du fab lab est de pouvoir créer localement des objets uniques, qui répondent à des besoins réels plutôt qu’à de simples envies. Quand on fabrique soi-même, on acquiert une notion plus juste de ce qu’est un objet et des matériaux qui ont été nécessaires à sa production. Nous allons prochainement utiliser un nouveau matériau écologique, le bambou. Nous essayons aussi de recycler autant que possible et nous travaillons à ce que le laboratoire ait un bilan énergétique neutre. »
Timelab est le premier fab lab accessible au grand public en Belgique. Ses portes sont ouvertes toute la journée du vendredi et le mercredi soir. Chaque premier vendredi du mois, l’équipe du Timelab anime un atelier d’introduction pour se familiariser avec les machines. Toutes sortes de personnes viennent au fab lab : des artistes, des designers, des étudiants qui veulent fabriquer leurs propres objets, des bricoleurs qui viennent approfondir leurs savoir-faire en participant aux différents ateliers organisés… Les francophones sont les bienvenus.
www.timelab.org
Dans un fab lab les pratiques sont variées. Cela peut aller de la simple découverte et du plaisir de fabriquer soi-même pour des bricoleurs, à des fonctions d’éducation et de recherche pour les écoles et universités. Les entrepreneurs trouveront là un bon moyen de réaliser les premiers prototypes de leurs produits, tandis que la production locale sera l’enjeu principal des populations des pays en développement. Selon son contexte particulier, chaque fab lab privilégie tel ou tel aspect. Celui du MIT, par exemple, met l’accent sur l’innovation et la recherche. Celui d’Amsterdam est ouvert au grand public bricoleur et curieux mais investit également dans des projets pouvant profiter à la communauté locale. Il a réalisé des systèmes qui facilitent l’accès des personnes en fauteuil roulant aux espaces publics, d’autres qui transforment l’énergie générée par les vélos, très utilisés à Amsterdam, ou bien encore des objets éducatifs pour des adolescents présentant une déficience dans leurs aptitudes sociales.
Dans les pays du Sud, où la récupération et le bricolage sont déjà fort pratiqués, les fabs labs apportent une réponse supplémentaire au manque de moyens. En Inde, le fab lab de Pabal a fabriqué des capteurs permettant de surveiller la qualité du lait, ou bien encore des pièces de rechange pour des photocopieurs obsolètes. Il mène également des recherches sur des structures en bambou, afin de remplacer l’acier habituellement utilisé pour des habitations bas de gamme. Le fab lab du Ghana a développé des machines alimentées par des panneaux solaires pour faire la cuisine et remplacer le bois, rare dans ce pays. Celui du Kenya produit sur place toutes les pièces nécessaires à la fabrication de pompes à eau.
Les fabs labs participent ainsi à un autre mode de développement, basé sur la fabrication à petite échelle permettant de résoudre des problèmes locaux spécifiques, tout en garantissant une autonomie vis-à-vis des pays du Nord. De manière générale, le matériel libre et les fabs labs pourraient bien introduire des moyens supplémentaires pour « hacker le monde », autrement dit inventer des solutions originales et créer des projets durables et solidaires.
Didier Bieuvelet
Article publié dans Imagine demain le monde (n°85 – mai & jun 2011)
Photo : Timelab de Gent
Timelab (Gent) – www.timelab.org
Linuxien, adepte de l’open source je met en place une structure pour proposer aux personnes, à revenus modestes, des PC récupérés sous Linux … j’adhère à fond dans toutes les initiatives qui vont dans ce sens.
Contactez moi si vous avez des idées ou suggestions:
daniel.hubinon@gmail.com
il me semble justement qu’avec une bonne équipe de gestionnaires, d’entre aides, il est possible de responsabiliser les intervenants sur le recyclage….l’avantage : est que fablab centralise l’offre : il est donc plus simple de gérer les entrants et les sortants…des actions peuvent etre mis en place…par contre, si les gestionnaires ne sont pas eux memes responsables….
[...] Bienvenue dans le monde des fablabs [...]
Les fablabs me paraissent en effet un moyen intéressant de rendre les gens moins dépendants de systèmes fermés où ils ne sont considérés que comme des consommateurs.
Je garde cependant de gros doutes sur leur capacité à intégrer les enjeux écologiques à la mesure où ils se posent.
Certes l’obsolescence programmée est nuisible, mais la multiplication des essais (et des erreurs inhérentes) peut aussi avoir des impacts sur la production de déchets et la consommation d’énergie. Pour l’instant les machines que j’ai vues à l’œuvre consomme du plastique tout à fait industriel.
Enfin pour celui de Gand en particulier, je n’ai pas vraiment constaté en visitant leur site une grande prise en compte de l’écologie et par exemple du recyclage des matériaux et appareils usagers.
Je vous laisse apprécier le « feu de saint-jean » évoqué sur le site de Timelab via cette vidéo :http://vimeo.com/25507227.
Il s’agit tout de même de cramer de vieux trucs pour faire de la place aux nouveaux. On a vu plus responsable.
Il serait utile par ailleurs de rappeler les nuisances de la combustion de certaines matières.