En 1999, le gouvernement bolivien décide de continuer ses réformes néolibérales et de privatiser la distribution de l’eau à Cochabamba, la 4e ville du pays. Le but annoncé : apporter l’eau potable au tiers des habitants qui n’y ont pas accès. Avec l’appui de la Banque Mondiale et l’accord des autorités locales, la gestion de l’eau est confiée à Bechtel, la plus grande entreprise d’ingénierie des États-Unis. Le prix de l’eau devient très vite inabordable (jusqu’à 300% d’augmentation) et sa marchandisation scandalise une population qui considère l’eau comme un bien commun et sacré. En janvier 2000, se crée une coordination pour l’eau et la vie composée d’un large front d’associations, de syndicats et de paysans. Elle n’est pas entendue et pendant des mois, un rapport de force se crée avec le gouvernement.
Elle organise des manifestations et des blocages de rue auxquels toute la population participe. Le gouvernement tente de réprimer la contestation en déclarant l’état de siège et en arrêtant les dirigeants du mouvement. Loin de calmer les esprits, la colère monte et les manifestations qui suivent font un mort et des centaines de blessés. Pour éviter l’effet de contagion dans tout le pays le gouvernement est contraint de négocier et accepte toutes les revendications de la Coordination. Bechtel a dû partir et le gouvernement a dû modifier la loi sur l’eau.
La société américaine n’ abandonne cependant pas la partie et 18 mois plus tard, porte plainte à Washington devant le tribunal commercial de la Banque Mondiale (CIRDI) pour réclamer au gouvernement bolivien 25 millions de dollars. Une somme jugée équivalente aux bénéfices escomptés pour les 40 ans de la concession.
La Bolivie a perdu la première bataille juridique car la plainte a été jugée recevable mais c’est sans compter sur la mobilisation de centaines d’associations aux États-Unis et dans le monde qui ont fait pression sur Bechtel. L’entreprise a sans doute estimé que le million de dollars investi et prétendument perdu à Cochabamba ne valait pas les pertes liées à son image. En 2005, elle abandonne donc sa plainte pour en finir avec cette histoire.
Une victoire partielle
Cinq ans après le soulèvement, seulement 55 % des Cochabambins sont branchés au réseau d’eau potable du SEMAPA, l’entreprise publique assurant le service. Celle-ci était endettée de 20 millions de dollars et malgré sa démocratisation, elle n’ a pas reçu les moyens pour desservir tous les habitants.
Aussi, 25% de la population s’approvisionnent auprès des centaines de comités de quartiers auto-gérés ; 20% de la zone Sud parmi les plus pauvres doit se procurer l’eau à prix fort auprès des micro entreprises de citernes. La Coordination a réussi à chasser Bechtel mais pas à obliger l’État à fournir l’eau aux populations qui n’ont pas les moyens de payer les factures.
Dix ans après, ce qui fut appelé la Guerre de l’eau et malgré l’accession au pouvoir d’Evo Morales en 2006, il y a peu d’avancées et une partie de la population ainsi que des associations sont fort déçues.
1. Se méfier de la propagande des entreprises et des politiques qui, pour vendre une privatisation, disent qu’ils n’ont pas le choix, promettent une baisse des tarifs et une eau de qualité pour tous grâce à leur technologie… A Bruxelles, par exemple, pour la Station d’Epuration Nord déléguée à Veolia, la Région bruxelloise a invoqué les critères de Maastricht limitant ses capacités d’emprunt pour faire appel aux investissements privés et signer un contrat avec la société Veolia. L’inauguration a été faite en grande pompe pour vanter le savoir-faire de Veolia, les qualités technologiques et écologiques de la nouvelle station… Vous connaissez la suite…
2. S’informer et exiger la participation aux décisions concernant la gestion de l’eau (transparence des PPP, surveillance des tarifs, proposition de lois…)
3. La mobilisation à Cochabamba a réussi grâce à un front large impliquant la population, et de manière horizontale où tout le monde pouvait s’exprimer.
4. Pour voir aboutir ses revendications le mouvement n’a pas hésité à utiliser des moyens d’action radicaux face à la répression du gouvernement et de l’armée. Une volonté inébranlable, un courage immense et la capacité de maintenir la mobilisation dans le temps ont été des facteurs déterminants pour gagner cette campagne.
5. Une défense juridique face à ces grandes compagnies n’est pas suffisante, elle doit être accompagnée de campagnes publiques qui peuvent leur faire perdre beaucoup de clients.
6. On ne peut pas se contenter d’une opposition aux entreprises privées, il faut que le droit à l’eau se concrétise par un service public efficace avec la gratuité pour les plus pauvres.
Kim Lê Quang, Aquattac
Article publié dans Bruxelles en mouvements (n°247-248, avril-mai 2011), le périodique d’Inter-Environnement Bruxelles (IEB)
Merci passé une bonne année
[...] la lutte de la population de Cochabamba, Bolivie, pour récupérer la gestion de l’eau : L’histoire d’une victoire exemplaire, mais partielle, contre la privatisation de l’eau. Tweet Share ‹ [...]
Comme beaucoup d’entre nous (citoyens européens), j’ai découvert cette « guerre de l’eau » à Cochabamba uniquement grâce au film Même la pluie (Tambien la lluvia).
Merci à votre site de remettre au gout du jour ce fait marquant de l’histoire bolivienne pour que les gens n’oublient pas le prix de l’eau, que si de notre côté, l’eau peut nous paraître « gratuite », dans certaines régions du globe, son prix y est beaucoup plus élevé et parfois inaccessible.