Sous le ciel de l’Afrique, de l’Amérique latine ou de l’Asie, les populations subissent, comme partout, des maladies et des accidents. La différence, c’est que les pays sont moins riches et ont souvent plus de difficultés à résoudre les problèmes de santé. Et quand le Nord veut aider, il se fourvoie souvent, au risque d’empirer la situation.
Sida, tuberculose, choléra, la vision donnée du Sud effraye. Serait-il donc tributaire de tous les maux ? Décimé par de grandes épidémies inextinguibles sans l’aide des pays riches ? À se contenter d’une telle perception, le risque est grand d’oublier que ces états sont eux aussi confrontés aux appendicites, césariennes, accidents de la route et autres maux communs. Le Professeur Bruno Dujardin, médecin de santé publique et responsable de l’unité « Politiques et Programmes de Santé en Pays en Développement » de l’Ecole de Santé Publique de l’ULB, explique : « La vision qu’on a de la santé dans le Sud est une vue très centrée sur la malnutrition, les infections et sur certaines pathologies. Or, les problèmes sont bien plus généraux que cela et ils sont sous-estimés. Et donc, quel est l’intérêt de vacciner un enfant contre la rougeole si après il attrape une pneumonie, se fait écraser car aucune précaution n’est prise contre les accidents de la route ou se retrouve à la rue ? » La santé, là, comme ici, entre dans le contexte du développement durable. Il y a bien sûr les facteurs médicaux, mais aussi ceux liés à l’organisation des services, à l’équipement médical, à l’accès aux soins, et puis tous les aspects sociaux : le travail, la reconnaissance et les relations sociales, Car qui est malade quand il est amoureux ? Le bien être médical dépend du bien être social. Au Nord comme au Sud.
Soigner les peurs
Mais face à ces problèmes, les gouvernements du Sud sont souvent dépourvus. Le système de santé, comme dans les pays riches, coûte cher. Même si la sécurité sociale est quasiment inexistante. Il faut payer les professionnels de la santé (des fonctionnaires dans la plupart des pays du Sud), les équipements, les structures. Un appareil pour faire des radios, ça ne s’achète pas avec de l’argent de poche ! Or, le secteur de la santé n’est pas riche. Certains pays ne possèdent pas les moyens financiers d’y consacrer plus d’argent. D’autres n’y prêtent pas assez attention. Alors, l’aide du Nord s’avère nécessaire. Et si elle est mauvaise, les conséquences peuvent se révéler impitoyables. « Nous tentons d’aider les pays du Sud, mais pour ce qui nous fait peur, et donc pour les épidémies. Parce que leurs problèmes de transfusion, de traumatisme, etc., eux, ne nous effraient pas », estime Bruno Dujardin. « Ainsi, le Fonds global de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria se monte à 8 milliards de dollars. Cet argent risque de déstabiliser les systèmes de santé du sud. » Pourquoi ? « Prenons l’exemple de l’Ethiopie. Le budget du Ministère de la Santé pour l’an prochain sera constitué à 40% de l’argent de ce Fonds. Le système éthiopien va travailler en majorité sur trois pathologies et laisser le reste, tout aussi prioritaire, de côté. Des déséquilibres vont s’installer, et il vaudra mieux être tuberculeux qu’avoir l’appendicite ! »
Des patients pris en otage
Autre façon d’aider les pays en développement: les ajustements structurels. Une des conditions pour les obtenir est de diminuer les salaires des fonctionnaires, donc ceux des professionnels de la santé. « J’ai vécu cette situation quand j’étais au Cameroun. De 92 à 96, les médecins camerounais ont vu leur salaire divisé par quatre. Ces personnes vivaient à l’occidental et si elles voulaient donner à leurs enfants une bonne éducation, elles devaient trouver un complément. » Elles ont commencé à introduire des paiements non prévus lors des consultations, à appliquer « une corruption systématique et généralisée », juge le Professeur Dujardin. Infirmières, chirurgiens, portiers de l’hôpital : tous réclament leur dû. Le patient est pris en otage : s’il veut bénéficier de soins de qualité, il doit payer. « Les plus riches, eux, ne se plaignent pas. En plus, si nécessaire, ils viennent en Europe.»
Un emplâtre sur une jambe de bois
Quelle est la place, dans ce contexte et en pleine crise économique, de la coopération et des ONG ? « Le mal être social est tel que le bien être médical qu’elles apportent n’est qu’un emplâtre sur une jambe de bois qui en plus cause parfois plus de tort que de bien. » « Une organisation comme MSF sert beaucoup en situation d’urgence et en termes de pression, notamment dans le cas des médicaments essentiels. Cependant, elle sert aussi de bonne conscience pour le monde occidental, qui dort en paix quand il lui a versé 5 euros. Et puis, elle, comme d’autres, contribue à la fuite des cerveaux. Les médecins, pauvres quand fonctionnaires, quittent la fonction publique pour ces associations qui paient mieux. Mais comment les critiquer ? Moi aussi je serais content de continuer à exercer un travail de qualité tout en subvenant aux besoins de ma famille. »
Cette vision du Sud n’est-elle pas trop négative ? « Elle est réaliste, rétorque le Professeur. Et comme c’est parti, je ne vois pas de lueur d’espoir à court terme. »
Quel est l’âge du professeur Bruno Dujardin? Où a-t-il fait ses études secondaires et ses études supérieures?
Merci