Eparpillées dans les plaines vallonnées de l’Attert, de petites maisons multicolores égayent la campagne luxembourgeoise. Beckerich, à l’image de ces villages typiques de la région, semble avoir gardé son caractère conservateur. Hmm ? Conservateur ? Pas tant que ça ! Voici 20 ans, avec quelques riverains, le village s’engageait sur la route du Développement Durable. Rencontre avec un bourgmestre pas vraiment comme les autres.
« Le Développement Durable ne se fait pas du jour au lendemain. Ce que nous avons réalisé est le fruit de vingt années de travail », souligne l’affable bourgmestre Camille Gira, en nous accueillant dans la maison communale de Beckerich. Dès son entrée au conseil communal en 1982 — à 23 ans — l’homme essaye d’introduire ses idées écologistes. Des idées pas facile à faire passer auprès d’un Conseil plutôt conservateur. Alors, pour commencer, il s’attelle à des actions ponctuelles, des classiques comme la gestion des déchets. En 1990, élu bourgmestre, il couche sur le papier le premier programme de développement écologique de la commune. Le processus est enclenché. Cette fois, le Conseil est acquis à sa cause.
10 fois plus loin que Kyoto
Pour Camille Gira, l’énergie est la pièce-clé du Développement Durable. En 1995, à côté d’autres communes européennes, Beckerich adhère à l’Alliance du climat, s’engageant à réduire ses émissions de CO2 de 50 % à l’horizon 2010 par rapport à 1990. Pour rappel, le Protocole de Kyoto table sur une réduction moyenne de 5% en dessous des niveaux de 1990. « C’est bien que les chefs d’Etat se réunissent et tiennent de beaux discours, mais ce sont les communes qui doivent implanter le Développement Durable, et faire changer les mentalités sur le terrain », souligne le bourgmestre. A Beckerich, on n’a pas froid aux yeux : on a carrément visé une diminution de moitié des émissions de CO2. Première action d’envergure : réduire la consommation d’énergie dans la commune. Profitant d’une campagne régionale sur les économies d’énergie adressée aux citoyens, une ASBL est créée, avec un conseiller énergie à plein-temps chargé de porter la bonne parole et de conseiller les habitants des dix communes. Résultat des courses : au bout de trois années, la consommation d’énergie de ces habitants avait baissé de 4% alors que la tendance au niveau luxembourgeois est une augmentation de 1 à 2 %. Un premier pari remporté.
Grâce au gaz des vaches
Mais c’est vrai qu’on a toujours besoin d’énergie même si on essaye d’être moins gourmand. Pour rester dans une logique de Développement Durable, la solution, ce sont les énergies renouvelables. « Un bureau d’étude a conclu que notre commune avait un gros potentiel pour l’énergie solaire et le biogaz, raconte Camille Gira. Le biogaz, c’est grâce aux éleveurs de la commune, car beaucoup ont de grosses exploitations comptant plus de 200 têtes de bétail. Le principe : à partir d’un mélange de lisier et de paille porté à fermentation, on peut obtenir du méthane, qui va faire tourner un groupe électrogène, produisant de l’électricité et de la chaleur. » Bientôt, le biogaz des vaches de Beckerich fournira de l’électricité à 700 ménages. Quant à la chaleur, les citoyens qui en font la demande pourront être raccordés au réseau de distribution de chaleur ; c’est déjà le cas du hall sportif flambant neuf, du nouveau centre pour autistes et de la société d’eau minérale de la commune. « Je pense qu’il faut aller loin en Europe pour dénicher une commune qui produit assez d’énergie renouvelable pour chauffer et éclairer les ménages et les autres bâtiments, poursuit fièrement le bourgmestre. Avec ce succès, l’idée a germé de se diriger vers l’autonomie totale. Nous y travaillons, avec d’autres projets en tiroir : gazéification du bois, construction de quatre éoliennes. Sans oublier le soleil, même s’il est souvent timide sous nos contrées. Notre asbl de l’énergie a créé une société anonyme qui propose aux habitants de prendre des parts des panneaux voltaïques installés sur les bâtiments communaux. Aujourd’hui déjà, neuf familles sont propriétaires d’une partie de l’installation solaire de l’atelier communal. Ils n’ont eu qu’à donner leur argent, la société anonyme s’occupe du reste. Au final, ça motive plus les gens à investir car ils n’ont pas de démarches à effectuer, notamment pour les subsides », explique encore Camille Gira. Outre la diminution des émissions de CO2, l’Alliance du climat vise la solidarité avec les pays du Sud. Dans ce cadre, le conseil communal de Beckerich investit chaque année 17 % de ses rentrées ordinaires dans des projets dans le Sud.
Financements à la source
Mais comment une commune rurale se débrouille-t-elle pour financer tous ces projets ? Est-ce parce qu’on est au Luxembourg ? « Sûrement pas, répond du tac au tac le bourgmestre ; en 1989, lorsque nous sommes arrivés, les caisses communales étaient vides. Alors, on a simplement cherché ce que la commune pouvait offrir. Un peu par hasard, le bourgmestre d’alors a découvert que l’eau de notre source possèdait une composition quasi identique à celle de Vittel ou d’Evian. Après une série de démarches, nous avons créé une société pour commercialiser notre eau. Une aubaine évidemment : plus de 100 millions de bouteilles sont vendues par an et soixante-cinq emplois ont été créés. Mais nous n’avons à dire merci à personne car cette idée est venue de chez nous ; il y a des richesses partout, il faut les trouver, les développer. Les Ardennes belges, par exemple, pourraient faire beaucoup au niveau de l’énergie renouvelable avec leur bois, et pourtant rien ne se passe. Pour assurer la soutenabilité d’un projet, il me paraît aussi important que les retombées économiques restent locales, en finançant nous même les projets, notamment en suscitant la participation financière des citoyens. Nous avons veillé à cela pour la source, mais aussi pour le projet éolien et les installations photovoltaïques. L’installation de biogaz, ce sont 19 agriculteurs qui en sont propriétaires et gestionnaires.» Ces projets n’ont donc pas seulement des répercussions sur les émissions de CO2, ils créent en outre de l’emploi, de la richesse régionale qui permet d’investir dans de nouvelles initiatives.
Mettre les habitants dans le coup
D’accord, à Beckerich, on a trouvé un bon filon avec la source ; mais quand même, ça ne suffit pas à embarquer quasi tout un village sur la route du Développement Durable ! « En effet, reprend Camille Gira, la clé du succès, a été la participation active de la population. Nous avons été la première commune du Luxembourg à ouvrir les commissions consultatives — jusque là réservées aux conseillers municipaux — aux citoyens. Au début, en 1982, les conseillers étaient réticents, de peur de perdre une partie de leur pouvoir. Vingt ans plus tard, une douzaine de commissions fonctionnent avec quatre-vingt citoyens permanents. Ça me paraît essentiel de motiver les gens d’une commune à apporter leurs connaissances, leurs compétences à des actions concrètes pour l’avenir de la collectivité où ils vivent. Nous avons appris aussi à ne pas négliger la communication. Ainsi, faire passer un message en faveur de l’environnement, c’est bien, mais il est important aussi que les gens qui s’impliquent reçoivent un feed-back.»
A titre d’exemple, chaque habitant qui a investi dans des panneaux solaires pour sa maison a reçu une petite plaque indiquant « Nous, on a l’énergie du soleil ». Pourquoi ne pas utiliser le sentiment de fierté des gens… Dynamique, engagé, et … malin, le bourgmestre de Beckerich n’est jamais en panne d’idées dès lors qu’il s’agit d’amener ses administrés à penser et agir en faveur du Développement Durable. Encore un exemple ? L’organisation de la récolte des déchets chimiques (restes de peinture, médicaments, piles…) patinait… Pendant des années, cette mission fut assurée quatre fois par an par une société privée pour le compte de l’Etat. Mais les résultats étaient maigrichons. La commune a proposé que les pompiers fassent une fois l’an une collecte en porte-à-porte. Cette fois, pour le village, ils ont amassé 1 mètre cube de déchets. « En faisant ça, non seulement on participe efficacement au tri mais en plus, on réalise une action de sensibilisation, commente Camille Gira. Si demain le Luxembourg fait une réforme de la caisse maladie, les pompiers de Beckerich et beaucoup d’habitants vont illico faire le lien avec tous ces médicaments non utilisés qu’on collecte chaque année. » CQFD : la philosophie du « premier citoyen » de Beckerich, c’est qu’il n’y a pas que les actions qui comptent mais aussi la manière dont on les mène et leur implication durable dans la tête des gens.