Et concrètement, comment faire pour sortir les naveteurs de leur voiture ? Quels sont les outils à notre disposition ?
Revaloriser les transports publics, le vélo et la marche à pied. C’est le rôle du politique. Par exemple, via la politique du stationnement : on ne stationne plus au centre-ville plus de deux heures. Vous réduirez fortement les automobilistes naveteurs. En plus, vous développerez le commerce puisqu’une seule place pourra voir défiler minimum cinq clients potentiels, au lieu d’un seul auparavant. Si les contrôles et les sanctions suivent, c’est terriblement efficace. Mais ce moyen est détesté des politiciens, car très impopulaire.
Autre outil, les plans de circulation qui hiérarchisent les voiries avec par exemple des zones 30 à l’intérieur des quartiers, que l’on peut combiner avec des ralentisseurs. Cela renvoie le transit sur les grands axes, lesquels vont être alors très chargés et décourager bon nombre d’automobilistes.
Il y aussi les outils formidables de régulation des feux. On peut à la fois donner des priorités aux bus et aux trams, et faire du contrôle d’accès. Le « contrôle d’accès », c’est quoi ? Lorsque le centre urbain arrive à saturation, on coupe le robinet d’entrée dans la ville en diminuant le temps vert. On ne laisse ainsi entrer que ce que le centre peut encore digérer pour rester fluide. Il va se créer des files d’attente en périphérie. Les automobilistes verront alors que les transports publics en site propre et prioritaires aux feux vont plus vite que leur voiture…
Comment les pouvoirs publics peuvent-ils associer les citoyens ?
En communiquant un maximum. La communication a trois mamelles : information, consultation et concertation. L’information, c’est un sens unique : le politicien décide et communique à tout le monde. En mobilité, cette information est nécessaire de A à Z, elle doit être généreuse, complète, objective, originale…
La consultation, c’est une circulation à sens alternatif : on entame un dialogue avec les gens, pour savoir ce qu’ils vivent, leurs sentiments, leurs idées… Elle est indispensable pour nourrir le diagnostic, au-delà du quantifiable. Mais attention : en matière de mobilité, les sentiments des gens sont complètement contradictoires. Une même personne n’aura pas les mêmes aspirations qu’elle soit dans sa voiture ou, 5 minutes plus tard, sur un trottoir. Il est très difficile d’en dégager une vérité, car chacun a des raisons valables. Autre danger : comment organiser ? On ne pourra jamais consulter tout le monde, il faut donc réaliser des échantillonnages représentatifs de la société, exercice très périlleux. Si on ne le fait pas, que l’échevin dit « chers concitoyens, mardi prochain grande réunion à la maison communale… », ne viendront que les mécontents et les personnes âgées.
Enfin, troisième volet, la concertation : on implique le citoyen dans la réalisation concrète. Par exemple, il a été décidé de faire une zone résidentielle dans le centre de ma commune, et on demande aux habitants où ils veulent mettre les 20 places de parkings, la verdure, etc. En Suisse, certaines communes ont même fourni la pelle, la brouette et le ciment aux habitants pour construire les infrastructures. C’est un outil éducatif incroyable.
Peut-on faire évoluer les comportements autour d’une question aussi tendue que la sacro-sainte utilisation de la voiture ?
Oui, par l’éducation et la formation ! Et ce au niveau tant de l’usager qu’à celui du décideur.
Cela commence dès l’école. En Belgique particulièrement, la mobilité scolaire est aberrante : chaque jour, c’est l’embouteillage devant les écoles. Une grande majorité des parents y conduisent leur enfant en voiture. Lorsque l’on connaît la force de l’exemple, cela équivaut à former de futurs automobilo-dépendants. L’origine ? L’une des différences avec la Suisse et la France, c’est la particularité belge du libre choix de l’école. Il en résulte qu’une famille du Sud de Bruxelles, par exemple, peut envoyer ses enfants dans une école au Nord, même s’il y a de nombreux établissements accessibles en vélo ou à pied depuis le domicile. Par ailleurs, il y a aussi cette recherche, souvent exagérée, de sécurité : « Je conduis mon enfant à l’école parce qu’avec toutes ces voitures, c’est trop dangereux »… quitte à grossir ainsi le flot de voitures et donc le danger. Les transports publics sont au moins tout aussi sûrs.
Par ailleurs, former les élus me paraît essentiel. Le médecin, le commerçant, l’assistant social qui au lendemain des élections se retrouve échevin de la mobilité, est rarement un connaisseur du domaine. Or, il devient le décideur. Nous lançons donc en juin une formation d’élus. L’idée est surtout de leur expliquer les différents outils possibles, leurs effets, les difficultés et les avantages…
La mobilité de demain ?
Une mobilité consciente, civique, sensible. C’est une meilleure prise de conscience de l’intérêt collectif quitte à sacrifier un peu l’intérêt particulier. Je pense qu’une mutation est en cours…
Christophe Dubois, article publié dans la revue Symbioses, n°67
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