L’art en prison libère
Juriste de formation, Alain Harford s’est très tôt intéressé au milieu carcéral. Engagé d’abord sur le terrain en tant que formateur, il est passé depuis quelques années au travail de lobbying et de consultance. Il coordonne actuellement trois organisations qui luttent en faveur des droits des délinquants et des ex-délinquants : l’Organisation pour l’emploi des personnes ex-délinquantes (OED), un réseau belge francophone, créé en 1998 ; le Réseau Art et prison, en collaboration avec Culture et démocratie, et le Réseau pour une réforme globale du régime carcéral belge, en partenariat avec la Commission Justice et paix (3). Ces trois filières différentes se rencontrent dans le but de la réinsertion sociale des détenus.
Mais quel rôle l’art peut-il jouer dans cette démarche ? « Des expériences anglo-saxonnes ont permis d’apprendre que la pratique artistique et culturelle produit des changements profonds dans la personne délinquante, explique Alain Harford. S’agissant souvent de personnes qui ont l’habitude de fonctionner sur la défensive, dans un environnement violent, s’investir dans un projet créatif où ils doivent faire appel à d’autres parties d’eux-mêmes, les force également à travailler en équipe, à écouter et à respecter les autres. » Actuellement, Art et prison mène, avec d’autres partenaires, des projets dans les prisons d’Ittre et de Nivelles. La démarche artistique est vue ici comme un élément déclencheur d’un projet pour des personnes qui n’ont jamais baigné dans une culture du travail. « Les détenus – poursuit-il- proviennent souvent de milieux dans lesquels ils cumulent un maximum de handicaps sociaux, la prison étant le handicap social ultime. 90 % d’entre eux ne perçoivent l’emploi que comme une finalité lointaine : il y a d’abord tout un travail de réinsertion sociale à accomplir ».
Les organisations membres de l’OED ne voient pas l’insertion professionnelle de l’ex-détenu comme leur objectif le plus important. Pour elles, précise Alain Harford, « le travail est accompli quand un ex-détenu a trouvé une réponse à ses besoins sociaux, personnels et familiaux, que ce soit par rapport au logement, à l’endettement ou à la toxicomanie. Il est question ici de leur apprendre à savoir-être plutôt qu’à savoir-faire, car sur le plan des compétences, le résultat est moyen. Par ailleurs, le pourcentage de détenus qui ont la chance de trouver un emploi durable chez un employeur privé est très faible. Avant d’aboutir dans un circuit normal de travail, ils passeront par le milieu plus protégé des structures d’économie sociale ».
Alain Harford cite une étude britannique montrant qu’un ex-condamné qui aura réussi une formation qualifiante et aura trouvé un emploi stable courra trois fois moins de risques de récidiver (4). Pourtant, ajoute-t-il, en Belgique, la prison reste, avant tout, une punition. On constate néanmoins certaines améliorations dans ce domaine. Grâce notamment au travail du Réseau pour une réforme globale du régime carcéral belge, une majorité parlementaire est prête à faire passer, au cours de cette législature, une loi qui reconnaît une série de droits pour les détenus. « Le principe général de cette loi, explique-t-il, est qu’une personne privée de sa liberté reste un citoyen ayant droit à la santé, à la formation. Il faut savoir que, jusqu’ici, la vie pénitentiaire était régie par un vieux règlement général de l’administration pénitentiaire sur lequel s’étaient superposées des centaines de circulaires ministérielles. On avait un régime tout à fait différent d’une prison à l’autre ».
L’attitude de la société vis-à-vis des délinquants et des ex-délinquants a-t-elle pour autant évolué ? Difficile à dire, répond Alain Harford. Certaines enquêtes en France ont montré qu’une majorité des gens considèrent qu’il faut aider les détenus à se réinsérer. Mais, d’autre part, le sentiment d’insécurité a augmenté auprès de la population. « Cette perception est disproportionnée par rapport à la réalité, rétorque-t-il. Ces quinze dernières années, les longues peines ont augmenté, le taux d’emprisonnement a augmenté alors qu’on n’est pas dans une société plus délinquante qu’il y a quinze ans. Il y a des mouvements d’extrême droite qui exploitent le sécuritaire, et les partis traditionnels rentrent dans cette dynamique pour les contrer. Pourtant, conclut-il, le pourcentage de détenus qui représentent un danger à vie pour la société est infime. La grosse partie des condamnations tourne autour de la drogue, du trafic notamment et 70 % des détenus sont âgés de moins de trente ans ».
Bonjour,
Nous avons décidé de supprimer les échanges trop personnalisés en lien avec cet article…
Mondequibouge.be est un site d’échange de bonnes pratiques et de réflexion autour des enjeux sociaux et environnementaux, et non un forum de discussion touchant à des personnes et faits précis.
Merci pour votre compréhension,
Céline
Pour Mondequibouge.be