Quels mécanismes influencent nos attitudes et nos comportements, que ce soit pour un monde durable ou détestable ? Début de réponse avec Olivier Corneille, psychologue social et professeur à l’Université Catholique de Louvain.
Les publicitaires jouent fortement sur nos émotions. Comment ça marche ?
Les émotions et les affects peuvent influencer nos préférences, nos jugements et nos décisions de multiples manières et la recherche dans le domaine est réellement foisonnante. Ce sur quoi j’ai récemment fait des recherches, c’est ce que l’on appelle « le conditionnement évaluatif ». L’idée générale, c’est d’associer quelque chose de neutre avec quelque chose qui est plaisant ou déplaisant. Vous avez par exemple l’ours Coca-Cola, qui est sympathique, qui sourit, qui est très positif. On lui associe quelque chose qui est relativement neutre : le Coca-Cola. En associant quelque chose de très positif à quelque chose de neutre, la chose neutre va commencer à acquérir des propriétés positives. Il n’y a aucune raison a priori pour que ça soit le cas, mais nous fonctionnons comme ça.
A ce propos, je pense qu’il est intéressant de noter que l’on craint beaucoup les manipulations subliminales, mais qu’on estime normales et peu dangereuses des manipulations plus explicites. Je vais prendre un exemple : pendant la campagne de Bush contre Al Gore, dans un spot télévisé, au moment où on présentait Al Gore, apparaissait le mot « rat » (de democRAT) à l’écran de manière subliminale, c’est-à-dire sans que les gens en soient conscients. Lorsque cette stratégie a été remarquée par un téléspectateur passant au ralenti le spot télévisé, on a crié à la manipulation mentale. Ironiquement, pourtant, des études récentes suggèrent que lorsque les personnes ne sont pas capables de dire à quoi une chose neutre a été associée, il est peu probable que cette chose soit conditionnée. En d’autres termes, il est peu probable que cette chose neutre acquière la valeur de ce qui lui a été associé.
La technique subliminale utilisée par Bush était donc probablement inefficace. Par contre, dans ce même spot on voit Bush apparaître avec pour fond d’écran un beau ciel bleu et le drapeau américain. On ne va pas s’insurger de manière très forte devant ce type d’associations explicite. Pourtant, celles-ci sont probablement beaucoup plus efficaces, et donc problématiques si elles affectent les intentions de vote.
Vous donnez un cours sur les changements d’attitude. Pourriez-vous nous en parler brièvement ?
Une attitude c’est une évaluation. Mais comment les gens en viennent à faire une évaluation de quelque chose ? Une évaluation peut être positive ou négative ; porter sur une personne, sur des objets concrets (une voiture) ou sur des choses abstraites (des principes, des valeurs).
Il y a en gros trois voies de modification des attitudes : la voie affective, on se base sur les sentiments des gens ; la voie cognitive, qui fait davantage appel à leur raisonnement, aux questions qu’ils se posent ; et la voie comportementale, où on va se rendre compte que dans un certain nombre de circonstances les gens se comportent d’abord, et sur base de ce comportement, ils vont commencer à développer des attitudes.
On peut avoir l’impression que tout comportement est le fruit d’une décision bien consciente, analysée, délibérée, mais les recherches récentes montrent que souvent, par pur automatisme, on s’engage dans certains comportements bien précis sans trop savoir pourquoi. Et on arrive à contrôler, à prédire, mais également à manipuler la probabilité qu’une personne présente des comportements complexes en exposant cette personne à des indices environnementaux assez subtils.
Quel comportement changeriez-vous chez vous ?
En vue de promouvoir le développement durable, j’essaie d’être rationnel dans mes choix. Concrètement, j’évite de prendre ma voiture quand je peux marcher, mais je l’utilise sans doute plus souvent que je ne devrais.
Rationnellement, je me dis également qu’il vaut mieux que j’évite un aller-retour sur les Etats-Unis en avion plutôt que de me donner bonne conscience à prendre le bus plus souvent. Normalement, je vais chaque année aux Etats-Unis, pour des congrès. Et bien, il m’est arrivé de décider de ne pas y aller, car ma décision était en équilibre sur des tas de paramètres et l’aspect développement durable a fait tomber la balance vers le non. Non, je n’y vais pas parce qu’une bonne raison supplémentaire pour ne pas y aller, c’est qu’un vol aller-retour pour les USA génère un volume de pollution tel que probablement je peux me permettre de prendre cent fois ma voiture plutôt que de prendre cent fois le bus pour compenser.
Peut-être que plutôt que de fonctionner de manière plus émotionnelle, engagée, on devrait se poser la question de savoir exactement quelle est l’efficacité de nos démarches, et peut-être se donner un peu plus de mou sur des choses qui nous semblent détestables, mais pour récupérer sur des choses un peu moins difficiles mais qui in fine apportent une contribution beaucoup plus déterminante au problème de la pollution.
En général, les gens fonctionnent de manière très émotionnelle. Prenons l’exemple de la grippe aviaire. Et bien , je suis étonné de voir comment on représente certains cas de grippe aviaire dans les médias. On va représenter des pays entiers en rouge alors qu’on a trouvé un seul canard affecté dans ce pays. Donc, les Belges risquent de moins s’inquiéter car la Belgique n’est pas en rouge pour l’instant, et ce, même si la France est en rouge et que en réalité le canard affecté a été retrouvé beaucoup plus près de la frontière belge que de Marseille par exemple. C’est typiquement quelque chose qui risque d’influencer les gens de manière tout à fait irrationnelle dans leurs décisions. Et mieux comprendre ces mécanismes nous aide, je pense, à changer les choses.
Olivier Corneille tiendra une conférence au colloque « Changements de comportements », les 16 et 17 mars 2006 à l’Arsenal de Namur