Candido Grzybowski a participé à la naissance du premier Forum social mondial (FSM) et suit le phénomène de près. Depuis 1990, il dirige l’Institut brésilien d’analyse socio-économique (IBASE) à Rio de Janeiro (Brésil). Gryzbowski est membre du comité organisateur du FSM et membre du secrétariat international du FSM depuis le premier Forum. Avec lui, nous faisons un point sur la situation, cinq ans après le premier Forum social mondial au Brésil.
Les Forums sociaux sont-ils un nouveau phénomène ?
Non, ils s’intègrent dans un processus plus large. Au cours des années 90, les grandes conférences des Nations unies ont amené beaucoup de monde dans la rue et des mouvements de protestation existaient déjà à l’époque, comme contre l’endettement par exemple. Des mouvements thématiques à caractère mondial ont également vu le jour, tels que les mouvements féministes ou écologistes. Ils ont commencé à partir des réseaux internationaux et ont modifié les méthodes d’action classiques, organisées au niveau national. Les Forums sont l’occasion de rassembler ces acteurs ainsi que d’autres.
D’où vient le succès des Forums ?
Ils tirent profit d’une nouvelle prise de conscience au niveau mondial, notamment à propos du fait que le système néo-libéral impose la même culture partout et ne reconnaît pas la diversité de l’homme ni de la nature. Lors des Forums, nous ne recherchons pas que des alternatives à ce néo-libéralisme ; nous nous rendons compte qu’en tant que citoyens du monde, nous n’avons pas suffisamment abordé nos problèmes et nous les avons laissés aux autres. Nous tentons de créer une nouvelle culture politique, un mélange de valeurs connues comme la démocratie et le « bien public », traité d’une manière tout à fait nouvelle qui garantit le respect de la diversité. Il ne s’agit donc pas d’une politique d’état ou de parti, mais de l’idée de citoyenneté active, capable de changer les choses et de résoudre les problèmes. Cela nous oblige à repenser la nature des structures.
Quels sont les thèmes principaux abordés lors des Forums ?
Faire un résumé des thèmes abordés est impossible, mais il existe un courant commun. Un Forum combine la démocratie directe et participative avec l’idée de développement durable. C’est de là que proviennent la plupart des thèmes, car cela implique un autre partage du pouvoir, d’autres types d’institutions, l’importance des droits humanitaires, de l’environnement, de la diversité…
Les Forums ont-ils déjà abouti à la réalisation de choses concrètes ?
L’idée des Forums est encore très jeune, donc, si ce n’est que l’on parle davantage de nos thèmes, les réalisations concrètes ne sont pas nombreuses. Mais, nous nous écartons de la pensée uniforme du néo-libéralisme et les gens prennent de plus en plus conscience qu’ils peuvent contribuer à changer les choses, ce qui est essentiel au niveau de la citoyenneté.
De nombreuses discussions sont en cours quant à savoir si les Forums doivent devenir une entité politique… La diversité est la grande force des Forums et c’est la raison pour laquelle le Forum ne peut se transformer en une entité politique mondiale, alors trop de groupes se retireraient. Cette question politique a mené à de nombreux débats et veille à ce que nous nous renouvelions continuellement. L’idée des Forums est encore jeune et nous n’avons aucun modèle sur lequel nous baser.
Ce débat met-il les Forums en péril ?
La surabondance d’activités durant un Forum constitue un grand danger. Le Forum 2005 comptait environ 5.000 activités. Cela n’est plus gérable. De plus, les participants se trouvent souvent rassemblés en un endroit, mais sans qu’existe un sentiment d’unité. Cela ressemble plutôt à Babel qu’à un événement basé sur le dialogue. C’est pourquoi nous essayons de réunir les activités tout en gardant à l’esprit la volonté de respecter la diversité. En outre, cela n’est-il pas l’essence même de la démocratie ?
Au lieu d’organiser des centaines de séminaires sur le thème de l’eau, il ne devrait y en avoir que cinq. Cela permet à des gens d’horizons différents de se rencontrer, ce qui incite au dialogue. Ces rencontres mèneront également à des propositions d’actions concernant des projets de plus grande envergure et auront donc plus d’impact que la centaine de petites actions actuelles. De plus, réunir la matière discutée et les décisions prises pendant un Forum est un problème de taille. La richesse en information est considérable, mais nous ne parvenons pas à la capter et à la distribuer.
Comment sont financés les Forums ?
L’argent est un gros problème. Lors du premier Forum à Porto Alegre en 2001, nous avons reçu le soutien d’organisations internationales de développement, telles que Novib (Oxfam hollandais) et d’autres Oxfams. L’expansion des Forums a demandé davantage de moyens et nous les avons reçus de la part des autorités locales et fédérales, du gouvernement Lula au Brésil et du gouvernement Chavez au Venezuela. Mais ce type de financement n’est pas bon, parce qu’il menace notre indépendance. Pour ces mêmes raisons, nous devons prendre nos distances vis-à-vis des grandes entreprises. Nous pensons organiser une campagne par e-mail en demandant à chaque personne ayant participé à un Forum de nous accorder un jour de salaire afin de nous soutenir. Celui qui gagne 1 dollar par jour, nous donne 1 dollar, celui qui en gagne 50 en donne 50. D’ailleurs, chacun devrait payer un droit d’inscription. Nous souhaiterions faire évoluer le sentiment d’appartenance chez les participants : « Le Forum est à nous ! » Cela ressemble peut-être à un débat logistique, mais, dans le fond, c’est un choix politique.
Comment envisagez-vous l’avenir des Forums ?
L’avenir des Forums dépend des participants ! En 2006, nous avons essayé le Forum polycentrique. Tout le monde n’est pas capable d’accueillir le FSM et c’est pourquoi nous avons décidé de rapprocher le Forum des gens. Surtout dans les « zones à problèmes », c’est-à-dire les Caraïbes (Caracas), le monde arabe (Maroc) et l’Asie profonde (Pakistan). Le Forum au Maroc s’est réduit à une réunion parce que les organisations demandaient plus de temps pour se préparer et le Forum a été déplacé au Mali. Vu le peu de temps de préparation qu’ont reçu Caracas et Bamako, les Forums ont été quelque peu chaotiques. Mais à travers tous les problèmes, les organisations locales se sont rapprochées. C’est un point positif, car le point de départ d’un Forum réussi c’est de créer un tissu social solide.
En 2007, le Forum social mondial se déroulera à Nairobi, au Kenya. L’organisation demandera de très gros efforts, aussi bien financiers que logistiques, car les infrastructures sont loin d’être idéales. Nous devons convaincre le monde qu’il a besoin de l’Afrique, c’est un continent à redécouvrir !
Quel est le lien entre le FSM et le Forum social européen (FSE) ?
Le FSE s’est toujours organisé de manière indépendante. Il a des problèmes avec le monde politique : il se trouve plus sous l’influence des partis de gauche ainsi que d’extrême gauche. On a pu très clairement le constater à Londres. Ce problème est complexe. Les partis ne peuvent en soi pas participer à un Forum, mais de nombreuses organisations affichent clairement leur tendance politique et les participants amènent aussi leurs convictions politiques au Forum…
L’approche du FSE est-elle différente ?
Je respecte la différence du FSE mais je la critique tout autant ! Selon moi, le FSE est caractéristique de l’ancienne politique. Le Manifeste de Porto Alegre a été rédigé en 2005, et il a été reconsidéré à Caracas. C’est pour moi l’exemple de la politique dépassée de l’Europe : un petit groupe d’intellectuels qui pensent avoir trouvé la solution pour sauver le monde. En tant que FSM, nous affirmons que les gens doivent donner leur avis, de même que les paysans, les ouvriers et les apatrides… C’est une énorme différence. Nous restons aussi stupéfaits lorsque nous voyons comment les Européens semblent incapables de faire face au problème de l’exclusion au sein de leur propre société. La violence en France, avec ces jeunes allochtones qui se battaient pour leur dignité, n’apparaît pas dans leurs théories. Ils débattent du Sud, mais ils semblent incapables de parler de leur propre société.
Cette différence est-elle source de problèmes ?
Ces différences nous obligent à débattre, à reconnaître que nous avons d’autres visions, d’autres racines historiques… Le plus grave serait de ne pas accepter cette différence. Nous faisons partie de la même histoire, mais dans une autre réalité. Aujourd’hui, on assiste en effet en Amérique Latine à un grand bouleversement politique vers la gauche. Le Forum en est une partie. Chaque gouvernement est différent, mais tous cherchent à leur manière, avec leurs imperfections, des alternatives au néo-libéralisme. Nous ne savons pas encore bien comment nous y prendre avec les autorités. Nous sommes nés en tant que mouvement en opposition aux pouvoirs en place et désormais, nous constatons que plusieurs autorités cherchent à se rapprocher de nous. Comment éviter que les pouvoirs politiques ne reprennent le Forum à leur compte, alors que nous engageons un dialogue constructif avec eux ?
Qui participe au FSM ?
Selon les enquêtes menées par IBASE (dont Grzybowski est le directeur, ndlr) depuis 2003, c’est le plus souvent l’élite des mouvements altermondialistes qui assiste aux Forums. Le problème lié à la période, aux moyens, à l’organisation, etc. en est la cause. Nous devons donc tenter d’atteindre la base. En 2005, on a recensé des participants présents à Porto Alegre venant de 149 pays, parfois avec seulement 2 ou 3 personnes par pays. Ils ne représentent bien sûr pas les acteurs sociaux de leur pays. C’est de là qu’est née l’idée des Forums polycentriques.
Cette formule est-elle celle de l’avenir ?
Nous pensons à organiser le FSM uniquement au niveau local, c’est-à-dire de créer des Forums locaux à la même date partout dans le monde. Mais étant donné que nous sommes nés pour faire contrepoids au Forum économique de Davos, organiser une réunion à ce moment précis reste essentiel pour beaucoup. De plus, le contact personnel et le dialogue direct attirent beaucoup les participants. Donc peut-être assisterons-nous à une combinaison des deux : une année, un FSM totalement décentralisé et l’année suivante, un Forum centralisé. Mais quoi qu’il en soit : tout le monde doit le soutenir, cela ne peut en aucun cas devenir une contrainte. Travailler ensemble pour changer le monde est très stimulant et les gens participent parce que cela donne du sens à leurs vies. Et cela reste le plus important, vous ne trouvez pas ?
Propos recueillis par Lieve Reynebeau, Oxfam solidarité
Article publié dans la revue Globo, mars 2006
(j’aurai bientôt un site)
le fsm et le fse sont un bon outil pour lutter contre la standardisation et l’agressivité des activités commerciales libérales.
Le président de l’OMC a déclaré hier sur Arte que les socialistes dans le monde (mais pas les français) voyaient la mondialisation et les nouveaux échanges commerciaux comme de bonnes « opportunités ».On pourrait débattre et creuser l’idée d’intégrer certaines activités des FSE et FSM dans cette nouvelles activité commerciale incluant des nouvelles puissances comme la Chine, l’Inde, Dubaïe, le Brésil…ne faut-il pas craindre de se marginaliser en restant hors-jeu économique? Ou bien y-a-t-il une possibilité de créer une économie intégrant les préoccupations – essentielles – des FSM et FSE?
Pour me présenter rapidemment, je suis musicien et créateur d’instruments de musiques faits au départ artisanalement avec des matériaux bon-marché, tels des tuyaux en pvc (essentiellement des flûtes), et actuellement je me reconvertis en créateur d’instruments créés à l’échelle industrielle, de qualité, mais résolument moins chers que ceux existant actuellement (flûtes basses faites en argent, en or, etc, aussi chers qu’une voiture). Mon associé ingénieur et moi avons décroché (surpris on était!) un deuxième prix dans un concours pour sociétés industrielles; cela ne nous empêchera pas de continuer dans notre voie initiale, la création d’instruments démocratiques qui vont concurrencer les instruments existants: élitistes et chers. Les créateurs n’ont pas que le fric en tête, ils sont désireux aussi de créer du sens…
Pierre Coulon
Certes le forum de Bamako était un peu cahotique, je dirais plutôt qu’il manquait des liaisons entre les différents sites et de la lisibilité dans chaque site mais nous y avons rencontré la société civile africaine et notamment malienne, bien différente des images et des reportages véhiculés par les médias. Je fais référence aux ateliers des jeunes, des paysans et surtout de l’économie informelle. Cependant je suis persuadé qu’il faut renouvelé la formule du FSM polycentrique, elle permet aux peuples locaux du pays organisateur et des pays proches de se retrouver et de créer des liaisons inter société civile, ce que nous avons vu émerger entre les pays d’Afrique de l’Ouest, c’est à la fois un gage d’enracinement, de perspective d’action régionale et d’ouverture au monde sans oublier l’espoir d’un autre monde…