Des fleurs qui donnent le change aux chancres ? Dans les rues de la capitale, des habitants ont décidé de semer leurs graines pour enraciner la cohésion sociale et l’interaction ville-nature.
« Verduriser sa rue, ce n’est pas seulement pour faire joli. C’est avant tout cultiver la participation citoyenne et la convivialité « . Isabelle Hochard s’emballe lorsqu’elle parle de « Quartiers Verts », l’appel à projets qu’elle coordonne au sein d’Inter-Environnement Bruxelles (IEB), avec le soutien financier de la Région bruxelloise. Depuis 5 ans, cette opération a soutenu plus de 37 initiatives d’habitants ou d’associations visant à fleurir leur lieu de vie. Tous ces projets de dynamique urbaine ont été élus sur base de cinq critères : participation collective, longévité des variétés choisies, originalité, partenariats et intérêt « nature » (espèces indigènes, sauvages, invitant la faune). Les habitants investissent ainsi leur lieu de vie, de façon très variable, d’une rue à un quartier entier, du bac de fleurs au véritable espace vert. « C’est à la portée de tout le monde, car cela ne fait appel à aucun savoir spécifique : planter se fait dans toutes les cultures et à tous les âges. Cela fait partie de notre mémoire commune, parfois lointaine. Il y a là potentiel énorme de liens humains, de passerelles interculturelles et intergénérationnelles, reste à les construire en allant sonner chez le voisin pour l’inciter à entrer dans le projet, en y associant la commune, les associations locales, les commerçants… »
Une jolie ville dans un pot de fleurs
Cureghem, l’un des quartiers de la capitale les plus stigmatisés par l’exclusion sociale et ses corollaires, misères morales (délinquance, toxicomanies… ) et environnement délabré. Ici, au coin de la rue de la Poterie, à deux pas de la Porte d’Anderlecht, la rupture est spectaculaire : la grisaille habituelle des lieux et les multiples chancres laissent soudainement place à d’étranges poteries fleuries accrochées aux façades. Cinq petits pots s’agrippent au nº 18. Deux grandes vasques suspendues chez le voisin. »Au n°6, c’est le gamin qui a fait son numéro de maison. Nous avons réalisé tout cela avec les femmes et les jeunes du quartier, au sein de l’atelier de poterie que j’anime à l’association La Rosée. » Henri Deprez, 71 ans, potier émérite de son Etat, humble Président du Comité de Quartier Renaissance-Lemmens, raconte l’origine du projet « Quartier vert » dont il est le tuteur. » Il y a eu des émeutes dans le quartier, avec les jeunes. Avec quelques habitants, on a alors voulu réagir constructivement et proposer des alternatives. C’est de là qu’est née notre collaboration avec La Rosée, qui propose des cours d’alphabétisation, une école de devoirs, des activités culturelles… » Le bâtiment de l’association, avec ses plantes grimpantes et son bas-relief en grès, est ainsi le point de départ tant chronologique que visuel du projet.
« Nous avons fabriqué ces poteries avec les habitants, puis ensemble nous avons planté des graines et des plantes un peu partout. En été, les fleurs embellissent toute la rue… Regarde là ce houblon qui monte le long du mur, comme c’est courageux« . Un vieux marocain interrompt Henri : « Regarde, Monsieur Deprez, là on a cassé… « . C’est aussi cela la force du projet : des liens inattendus se tissent entre habitants, une ambiance sort de terre, emmenant une préoccupation commune d’un environnement partagé. « La difficulté est de sortir du syndrome de la personne locomotive tirant le projet » nuance notre TGV de guide, avant d’ironiser sur les inévitables pots volés et fleurs assoiffées. L’an prochain, il pourra se reposer, Henri, car un Comité de Quartier tout proche prendra le relais. Pour Isabelle Hochard, cet effet tache d’huile est important: « Passer dans un Quartier Vert donne envie de semer devant chez soi. La verdurisation de la ville s’étend ainsi progressivement« .
La vie en pratique
Tous ces projets reçoivent le soutien et les conseils d’IEB et l’aide financière de la Région (entre 200 et 3200 € par projet en 2004). « Mais nous conseillons également aux habitants candidats que la commune ou une association soit partenaire, histoire de bénéficier d’un appui professionnel local« , précise la coordinatrice. « Cela permet aussi d’élargir son champ d’action, comme pour cet autre projet où des habitants sont entrés en partenariat avec l’asbl Magic, s’associant ainsi à des jeunes devant effectuer des travaux d’intérêt général imposés par Tribunal de la jeunesse« . Une façon de déconstruire les perceptions d’insécurité et de délinquance.
Si Quartier Vert permet d’investir son lieu de vie, d’être valorisé et d’améliorer la qualité de vie en ville, il est aussi formatif. Pour Isabelle Hochard, ancienne animatrice en éducation à l’environnement, « participer à Quartier Vert, c’est la vie en pratique, et l’occasion de parler de la pollution, des relations nord-Sud, de la biodiversité… ça devient alors un véritable support pédagogique à l’écologie en milieu urbain« .
Christophe Dubois,
Article publié dans la revue Symbioses, n°69