Quelle est la place des différentes « éducations à… » (à la citoyenneté, l’environnement, la santé, la solidarité…) dans l’école. Quel rôle doit jouer le corps enseignant face aux enjeux du développement durable ? Quel partenariat tisser avec le monde associatif ? Regard de Rudy Wattiez, enseignant et secrétaire générale de ChanGements pour l’Egalité (CGé), mouvement socio-pédagogique visant l’égalité et l’émancipation sociale.
Ne pensez-vous pas que la sensibilisation de tous les jeunes à des problématiques telles que la citoyenneté, l’environnement, la santé, etc., devrait se faire davantage au sein de l’école, lieu de rencontres et d’échanges ?
J’ai envie de poser la question: « Pourquoi l’école serait-elle la seule à s’occuper de ces différentes ‘Educations à …’ ? ». L’école est un lieu d’opportunités pour tous les jeunes, tout le monde y passe. Mais en même temps, l’école ne peut pas tout faire. A mon sens, il faut bien s’approprier ce que l’on appelle « les missions de l’école ». L’école doit se centrer sur les apprentissages de type scolaire, qui sont définis par les pouvoirs publics, par des programmes et quelque part par l’ensemble de la société.
En outre, au sein d’une classe, trois éléments sont mêlés : les apprentissages, la socialisation et l’éducation. Dans ce cadre, quelle est la place des messages provenant du monde associatif ? Car il y a d’une part l’enseignant, qui se centre sur des objectifs de type scolaire, et d’autre part les associations, qui ont d’autres objectifs. Et donc, à un moment donné, il faut savoir jusqu’où les deux peuvent se concerter et rencontrer des objectifs communs. Mais il ne faudrait pas qu’il y ait une frustration de part et d’autre, voire même une instrumentalisation : l’ONG ou l’association qui arriverait dans l’école avec pour seul objectif de « vendre » sa sensibilisation, son produit, etc. Et de l’autre côté, avoir un enseignant qui se décharge de sa mission d’enseignant, de ses objectifs d’apprentissage et qui sous-traite à une association. Ce que l’on plaide, c’est de mettre en place des partenariats négociés.
Quels genres de partenariats ?
Là, je voudrais faire référence à une fiche publiée il y a quelque temps par feu le Réseau d’éducation au développement. Ce qu’on avait essayé de faire, c’est de fournir des balises pour construire ces partenariats.
Dans cette fiche, on pose la question de savoir s’il faut éduquer au développement à l’école. En gros, la réponse est non s’il s’agit uniquement de charger l’école de sauver les meubles ou de donner bonne conscience à une société qui ne trouve pas d’issue face à une mondialisation de plus en plus destructrice.
C’est oui, si on s’appuie vraiment sur les outils de l’école ; si les projets sont envisagés dans une perspective socio-constructiviste ; s’il s’agit de faire vivre un projet collectif avec une approche interdisciplinaire, une évaluation formative, etc.
Le rôle social et émancipateur de l’école est l’un de vos fers de lance. Quid des jeunes qui proviennent de milieux défavorisés et qui n’ont pas toujours accès à ces « éducations à… » ?
Il semble que leurs préoccupations sont autres. Leur rapport à l’Ecole et aux savoirs est tout autre. On sait que l’enseignement en Belgique fonctionne par filières de relégation et ces jeunes se retrouvent plus facilement dans l’enseignement professionnel par non choix. Donc, pour eux, que le professeur vienne avec un cours de mathématiques ou avec un projet d’éducation à l’environnement, ils mettent tout dans le même sac. C’est une forme de rejet face à l’école, face à une société qui leur impose des choses. Ils se sentent discriminés dans leur propre école. Ils ne sont pas dupes de toute la hiérarchisation au sein des écoles. Ils savent qu’ils sont dans des écoles qu’ils qualifient eux-mêmes d’écoles-poubelle.
Une école qui se veut neutre dans ses enseignements ne risque-t-elle pas d’inhiber la capacité de jugement des jeunes ?
Au fond, une école est-elle vraiment neutre ? Au départ, je pense que l’école est un projet culturel et politique par et pour une société. Et donc, on ne peut pas dire que c’est neutre, qu’il n’y a pas de valeurs là-dessous. De plus, dans le mouvement pédagogique, on défend l’idée que tout acte pédagogique sous-tend un acte politique au sens plein du terme. Le type de pédagogie choisi par une société se réfère à des valeurs. Donc, la pédagogie n’est pas neutre. D’autre part, les savoirs que l’on transmet à l’école ne sont pas neutres non plus, tout cela est un construit social.
Cependant, l’école se veut neutre quand même, n’est-ce pas ?
C’est vrai, le professeur n’est pas là pour faire du prosélytisme ou pour donner ses opinions politiques. Mais selon moi, l’école permet de développer l’esprit critique et de peser le pour et le contre. En ce qui concerne le développement de l’esprit critique, les partenaires extérieurs (associations, mouvements, ONG, …) ont tout à fait leur place au sein de l’école, mais toujours en concertation avec l’enseignant, pour qu’il y ait un échange d’idées dans un but d’apprentissage. A ce moment-là, j’ai vraiment l’impression qu’on fait évoluer la capacité des jeunes à réfléchir, à s’insérer dans la société, à prendre leur place et à agir en tant que citoyens.
Que pensez-vous des pédagogies dites actives (Freinet, Decroly, …) ? Sont-elles davantage favorables à une éducation plus citoyenne et plus engagée de tous les jeunes ?
Une pédagogie active est avant tout une pédagogie qui rend l’élève acteur de ses apprentissages. Dans le mouvement pédagogique, on pense que certaines approches pédagogiques, telles que la pédagogie institutionnelle, la construction des savoirs et une attention aux rapports aux savoirs, sont susceptibles de développer cet élève acteur de ses apprentissages. La pédagogie institutionnelle permet de soigner les relations dans la classe, et met en place des lieux, des temps, des petites institutions, qui font en sorte que chacun dans la classe se trouve à sa place. Ici, on touche à la question de la citoyenneté : se sentir citoyen, c’est se sentir exister. Et exister pour un élève, ça commence à l’école, dans sa classe. C’est se sentir responsabilisé, libre et respecté. Personnellement, la pédagogie institutionnelle m’aide beaucoup, elle m’a permis d’établir des petits conseils de classe, de donner des responsabilités aux élèves, de les faire se sentir concernés par la vie en classe.
Pour ce qui est des savoirs en tant que tels, on s’oppose, au sein du mouvement pédagogique, à une vision purement transmissive des savoirs. On se positionne davantage en faveur de la construction des savoirs. On se base sur ce que l’élève sait déjà et on construit autour de ça, en le faisant interagir avec ses pairs via des « conflits socio-cognitifs », des débats, des situations-problèmes. C’est une co-construction des savoirs.
Et donc, on a la prétention de croire que ces ‘pédagogies actives’ sont favorables à une éducation plus citoyenne et plus engagée des jeunes. Ils se sentent plus concernés par ce qui se passe dans la classe et par ce qu’ils apprennent.
En tant qu’enseignants, nous nous inspirons de ce genre de pédagogies et, dans notre mouvement, nous nous efforçons de les diffuser via des formations et notre périodique
Etes-vous favorable à l’inclusion d’un cours de citoyenneté dans les programmes scolaires ?
A priori, non. Concevoir un cours qui traiterait exclusivement de citoyenneté risquerait d’être contre-productif, dans le sens où le côté plutôt ‘théorique’ passerait très mal pour certains élèves. On plaide beaucoup plus pour quelque chose de transversal, de ‘vivre la démocratie à l’école’. Je dirais que c’est dans tous les cours que ce genre de dispositif où l’élève doit se sentir à sa place doit se faire. Tout cela doit s’inscrire dans des pratiques pédagogiques. Par exemple, au sein de ces petits conseils de classe, on peut se poser la question de savoir comment on élit un délégué, à la majorité simple, absolue ? Pourquoi vote-t-on ? A partir de là, on peut développer le thème de la citoyenneté et le rendre plus concret.
- site web de ChanGements pour l’Egalité
- « L’éducation au développement en milieu scolaire : quelles pratiques aujourd’hui ? », fiche 2003/1, Les ateliers de l’éducation au développement du RED Nord-Sud (fiche complète disponible sur demande à CGé, 02/2183450, info@changement-egalite.be)