Le 13 juillet dernier, le Sénat adoptait l’inscription du développement durable dans la Constitution. Mais qu’est-ce que cela va changer dans le quotidien des Belges ? Pourront-ils l’invoquer devant les tribunaux ? Est-ce réellement « original » ? Réponse avec Marc Pallemaerts, professeur de droit de l’environnement à l’ULB.
Constitution, Article 7bis :
« Dans l’exercice de leurs compétences respectives, l’État fédéral, les communautés et les régions poursuivent les objectifs d’un développement durable, dans ses dimensions sociale, économique et environnementale, en tenant compte de la solidarité entre les générations. »
L’introduction du développement durable dans la constitution belge, qu’est-ce que cela va changer concrètement ?
Concrètement pas grand chose. La disposition constitutionnelle telle qu’elle a été rédigée n’aura pas d’effets directs, précis. Cependant, symboliquement c’est important. Cela renforce l’assise institutionnelle du développement durable au niveau fédéral, et cela devrait orienter les politiques communautaires et régionales. La constitution est la seule norme qui lie tous les niveaux de pouvoirs.
Vous ne pourrez pas invoquer devant les tribunaux le développement durable comme étant un droit ?
Non, cela est d’ailleurs précisé dans « les développements », c’est-à-dire les raisons pour lesquelles les sénateurs ont déposé cette proposition de modification. Cela dit cet article peut par ailleurs servir d’interprétation d’autres normes plus spécifiques, comme le droit à la santé, à un logement décent,…
La Constitution est la norme qui définit nos droits fondamentaux. Le développement durable ne sera pourtant pas encore le droit fondamental de chaque Belge ?
Non, car la Constitution est divisée en différents « titres » et « chapitres » : un définissant le cadre institutionnel, un autre les droits fondamentaux, etc. Ici, le Sénat à décidé de créer un nouveau chapitre, définissant les objectifs généraux de la politique publique.
C’est justement ce que reprochait l’Ecolo Isabelle Durant, qui s’est abstenue de voter pour cette modification, en soulignant que la Constitution n’était pas un catalogue de bonnes intentions, mais une charte des droits et des lois fondamentaux. Qu’en pensez-vous ?
Il est vrai que cela reste « une intention », et que, historiquement, chez nous, on n’avait jamais mis d’objectif dans la Constitution, alors que cela se fait dans beaucoup d’autres pays. Certes, en créant ce chapitre, les auteurs n’ont pas voulu d’effets immédiats. Mais ce n’est pas sans intérêt pour autant, car ce nouveau chapitre comprend un seul article, ce fameux article 7bis relatif au développement durable. Autrement dit, actuellement, sous l’intitulé constitutionnel « objectifs généraux de la politique publique », seul le développement durable est spécifié.
L’autre originalité, c’est qu’ici l’on rappelle bien les trois dimensions du développement durable – économique, sociale et environnementale – ainsi que la solidarité entre les générations. Dans d’autres Constitutions – suisse, norvégienne, polonaise …- nous trouvons aussi des évocations du développement durable, mais dans un contexte uniquement environnemental.
Pourrions-nous néanmoins rêver de pouvoir un jour invoquer notre « droit au développement durable » devant un tribunal ?
Non, pas en ces termes, c’est trop général que pour être opérationnel. Cela équivaut par ailleurs à la pleine application des droits économiques, sociaux et environnementaux, à mon sens déjà garantis par l’article 23 de la constitution : chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine : le droit au travail dans des conditions et à une rémunération équitables ; le droit à l’aide sociale, médicale et juridique ; le droit à un logement décent ; à la protection d’un environnement sain ; à l’épanouissement culturel et social…
- La constitution belge : http://www.senate.be/doc/const_fr.html