Fortement inspiré de l’idéologie du philosophe et pédagogue sud-américain Paolo Freire, le centre de formation pour le développement et la solidarité internationale (ITECO) a pour objectif la défense d’une éducation populaire, outil de changement social pour un monde plus juste. Entretien avec Adélie Miguel Sierra, formatrice chez ITECO.
S’adressant à un public large mais privilégiant la formation des personnes relais tels que les animateurs, les membres d’ONG ou les travailleurs sociaux, ITECO vise à ce que chaque participant devienne acteur de sa propre formation et moteur conscient de la société dans laquelle il vit.
Que signifient les termes d’« éducation au développement » au sein d’ITECO ?
Pour nous, éducation et développement sont deux termes ambigus et très complexes, deux termes à constamment réfléchir, à confronter à leur évolution et à nos pratiques. Comme on a coutume de dire, il n’y a pas une pratique ; il y a des éducations au développement. Notre mission principale est donc de se poser la question de « quelle éducation pour quel développement ? ». Le rôle principal du formateur en éducation au développement est d’essayer d’accompagner son public à se poser cette question. Bien sûr, ITECO a sa propre vision des choses. Nous avons trois axes éducatifs : l’éducation sociopolitique (aider à comprendre le monde dans lequel on vit), l’éducation interculturelle (comprendre qui je suis et qui est l’autre), l’éducation à la solidarité (comment, à partir de ma compréhension du monde et de l’autre, construire des solidarités collectives, par exemple entre toutes les femmes du monde pour un accès équitable aux ressources). Ces trois axes forment pour nous les trois composantes essentielles pour un autre développement.
Sur quelle vision pédagogique fondez-vous cette démarche éducative?
En tant qu’organisme d’éducation permanente, ITECO pense que toute personne dans la société a le droit de comprendre le monde tel qu’il est. Or pour y parvenir, il y a différentes méthodes. L’idéologie d’ITECO a ceci de particulier qu’il nous importe de remettre le citoyen au centre d’un processus de développement individuel mais aussi collectif. Il est nécessaire de tenir compte des besoins individuels des gens, de partir de ce qu’ils sont et d’où ils viennent mais, à partir de là, nous cherchons à passer à une réflexion plus globale, plus internationale. Chacun a son histoire, ses représentations. Il faut dépasser ça pour comprendre ce qui fait malaise dans le monde. Nous tenons donc toujours compte de l’individu – son identité en tant qu’homme, femme, son identité de citoyen – mais nous tenons compte aussi de la société dans laquelle cette identité s’inscrit et du cadre institutionnel sous-jacent. Il s’agit toujours d’articuler mes besoins individuels à ceux de la collectivité.
Vous pensez donc que les changements de comportements individuels restent limités ?
Je pense qu’il existe des enjeux politiques à l’éducation au développement. Eduquer est un acte de neutralité mais vouloir changer le monde, c’est de la politique. L’éducation au développement doit donc être un vecteur de transformation sociale. Lorsqu’on fait une animation, il ne faut jamais oublier cette finalité. Il est en effet important de sans cesse se demander en quoi ce que je fais participe à une amélioration du monde. Est-ce que mon action participe oui ou non à réduire les inégalités Nord/Sud ? Quand on prend conscience de cette finalité, on réalise qu’on a une responsabilité collective au-delà de notre petite individualité. Prenons un exemple : trier ses déchets. C’est très bien mais si on reste seul à le faire, ça sert à quoi ? A ITECO, nous voulons pousser, un peu comme les lobbys, à des prises de responsabilités collectives et politiques. (Pourquoi ne pas obliger les supermarchés à ne plus vendre de produits préemballés, pourquoi ne pas taxer tout ce qui est plastique, etc. ?) Au-delà de mes actions individuelles, il y a des enjeux de société. Je trouve donc important de voir comment, à partir de ma petite individualité, je participe à la construction du monde.
Est-ce que, selon vous, l’éducation au développement a encore un réel impact aujourd’hui ?
Face au contexte actuel, à l’influence des médias entre autres, c’est vrai qu’il est devenu plus compliqué d’éduquer correctement. Mais pour moi aujourd’hui, toute éducation qui vise à transformer cette société productrice d’injustices est devenue une question d’obligation. On ne peut pas y échapper. Puis je suis une optimiste et je suis déjà touchée par plein de choses qui se passent. Je pense que de plus en plus les gens, pour pouvoir fonctionner, intègrent dans leur réflexion cette dimension internationale, ce « plus loin que mon quartier ». Car tout le monde aujourd’hui voit les effets directs de la mondialisation (par exemple le mélange des cultures au sein de sa propre rue). Ce qui reste difficile, c’est le passage de l’information à l’engagement citoyen au niveau mondial. L’engagement citoyen est trop localisé, trop individualisé. Là où il y a par contre une forte évolution, c’est dans la mise en réseau Nord/Sud ; on est beaucoup plus qu’avant dans une situation d’échange. Les gens qui vivent une même situation d’inégalité au Nord comme au Sud partagent plus qu’avant. On a construit un regard croisé. On se rend compte qu’il faut se mettre ensemble pour avancer. C’est le contexte mondial qui veut cette évolution et qui nous pousse à partager nos ressources et nos faiblesses. Ces nouvelles formes d’échanges sont surtout de nouvelles formes d’expériences éducatives. C’est ça qui est passionnant et qui finira par déranger les décideurs.
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ITECO, excellent !
Splendide !