François Polet est chercheur au Centre Tricontinental. Il a notamment étudié le budget participatif de Porto Alegre, ainsi que l’état des résistances dans les pays en développement. Son analyse du Sud a de quoi interpeller le Nord. Interview.
Le budget participatif de Porto Alegre, au Brésil, est souvent présenté chez nous comme un nouveau mode de gouvernance dont il faudrait s’inspirer. Pouvez-vous décrire ses racines ?
C’est un dispositif qui permet la participation de la population aux décisions importantes concernant le budget de la ville et les priorités d’investissement. Historiquement, ce qui est spécifique à Porto Alegre, c’est que c’est issu d’une revendication populaire. Au sortir de la dictature, étant donné l’immense passif en termes d’investissements publics dans de nombreux quartiers, un réseau d’associations de quartier a revendiqué son mot à dire dans le montage du budget municipal. Le Parti des travailleurs – un parti de gauche fortement lié aux associations de quartier, aux syndicats, aux mouvements paysans et étudiants – a intégré cette idée de participation communautaire à son programme et à sa campagne. En ’89, lorsqu’il a été élu, il a cherché à mettre sur pied un système permettant à la population de co-gérer la ville. Mais aujourd’hui, suite aux élections et à la victoire de la droite à Porto Alegre, après 16 ans de fonctionnement, le budget participatif a été vidé de sa substance.
Comment cela fonctionnait-il ?
Au début cela a été compliqué : trouver les moyens, l’équilibre, l’efficacité. Le système de participation finalement dégagé comportait deux versants. Le premier part des préoccupations très locales. Dans chaque quartier, la population se réunit, discute des problèmes rencontrés, de là où il faudrait intervenir, et dégage une liste de priorités. En confrontant ces priorités à celles des autres quartiers, des délégués affinent la liste à l’échelle du district, puis, à l’échelle de la ville. Cette liste sera transmise à la « préfecture », qui mettra sur pied un projet de budget allouant les ressources de la ville en fonction des priorités globales données par la population. Enfin, l’argent est redistribué entre les districts, puis les quartiers, suivant une série de critères objectifs : degré de carence en la matière, importance démographique, etc.
Le problème de ce premier versant, c’est que la gestion de la ville est envisagée de manière très fragmentée, uniquement en fonction des problèmes très locaux. Ainsi, un second versant du budget participatif sera chargé de porter une vision plus globale de la gestion de la ville – transports, politique de santé… – dépassant le côté « Nimby » (ndlr : « Not In My Back Yard » – pas dans mon jardin). Ici, nous retrouvons davantage de gens travaillant déjà sur ces thématiques plus globales : des syndicalistes, des profs d’unif, des associations professionnelles, etc.
Sur la question de la représentativité, il est intéressant de constater que la majorité de la population appréciait le budget participatif, reconnaissait sa légitimité démocratique, alors que 9 personnes sur 10 n’y participaient pas !
En quoi ce système est-il plus démocratique que la démocratie « représentative » habituelle ?
Malheureusement, dans beaucoup de pays du Sud, le clientélisme et la corruption engendrent un déficit de représentativité au sein des pouvoirs exécutifs et législatifs. Dans certains contextes, la population pauvre organisée a exigé de pouvoir intervenir dans le processus politique duquel elle s’est sentie exclue. Dans le cadre de Porto Alegre, le budget participatif a permis de rééquilibrer le processus de décision politique en faveur des pauvres.
C’est surdéterminant : un projet de participation ne s’imagine pas indépendamment d’un projet de politique sociale. On ne demande pas aux gens de participer pour participer, comme on le voit parfois ici où la participation devient une fin en soi et où l’on dépasse rarement le niveau de la « consultation ». Il faut un rapport de force, que les associations apportent du contenu et influent réellement sur le politique. Sinon, il n’y aura pas la tension nécessaire pour avoir un travail créatif, pour dépasser l’image de la boîte de résonance des projets du politique.
Vous venez de publier « Etat des résistances dans le sud 2007 », une sorte d’inventaire de l’extrême diversité des luttes des pauvres dans les pays du Sud. On y voit que « participation » et « résistance » sont fortement liées.
Oui, dans le cas de Porto Alegre, c’est la résistance qui s’est mue en participation. On retrouve cela à l’échelle nationale dans beaucoup de pays d’Amérique latine.
Par contre, en Afrique, on assiste peut-être au phénomène inverse : les contre-pouvoirs, les résistances sont menacées de dilution dans les stratégies « participatives » des techniciens du développement. Les grandes institutions internationales et organismes de prêt (Banque Mondiale, FMI, PNUD, coopérations nationales…) imposent aux gouvernements africains de faire de la participation, même si la société civile y est faible ou parfois inexistante. Résultat : des organisations sont créées de façon opportune pour participer au processus de participation, même si elles sont superficielles, même si elles ont un ancrage populaire beaucoup moins profond, même si elles sont des relais du pouvoir.
Pouvez-vous nous donner des exemples de fortes résistances populaires à dimension environnementale ?
Il y a en a beaucoup. Ce sont des mouvements très intéressants souvent soutenus par les organisations environnementales du Nord, comme les Amis de la Terre notamment. Il y a des mouvements des « victimes du développement » dans de nombreux pays de Sud, de la Chine au Chili : les populations qui s’opposent à un projet de déforestation comme en Equateur, le mouvement « Hugh the trees » où l’on voit des Indiennes étreindre les arbres pour empêcher qu’ils soient abattus, les populations déplacées lorsqu’il y a construction de barrages, celles victimes des pollutions des sols ou des mers…
A côté des revendications économiques et sociales – « Laissez- moi ma terre qui est mon moyen direct de subsistance » – il y a aussi là une résistance face à l’usage aveugle des ressources. Ce n’est pas dire « On ne touche pas à la nature », mais c’est se battre pour que les rythmes naturels de son renouvellement soient respectés.
Propos recueillis par Christophe Dubois
Interview publiée dans la Gazette des 11es Rencontres de l’ErE (Education relative à l’Environnement), en mars 2007. Organisées tous les deux ans, ces Rencontres sont l’occasion pour les acteurs de l’ErE de prendre le temps d’échanger, d’apprendre ensemble, de se ressourcer… Plus d’infos sur le site du Réseau IDée
« Etat des résistances dans le sud 2007 », un ouvrage collectif visant à mettre en évidence l’émergence et le développement des luttes sociales et citoyennes dans le Sud qui s’opposent aux politiques néolibérales et à l’arbitraire politique. Réalisées par des auteurs locaux – chercheurs ou militants – dans un style concis, chacune des 35 contributions propose au lecteur de plonger dans des réalités souvent mal connues – Argentine, Kenya, Indonésie, Péninsule arabique … – pour identifier les acteurs, les enjeux, les résultats et le devenir de ces résistances.
Points de vue du Sud, collection « Alternatives Sud », Editions Syllepse – Centre Tricontinental vol. XIII (2006), n° 4
Centre Tricontinental (CETRI) – 010 48 95 60 – www.cetri.be
bonjour
je suis un etudiant a l’universite de montreal j’ai un travail sur les enjeux de la durabilite a porto alegre
je souhaite juste si il y a moyen que je puissent avoir des informations sur ce sujet
(site internet ….)
merci