Auteur de plusieurs ouvrages sur le développement durable, Sylvain Allemand propose, dans « Les paradoxes du développement durable », de faire un état des lieux du concept à l’heure de son 20ème anniversaire. Le journaliste français y explore les enjeux, défis et perspectives. Quelles sont les contradictions inhérentes à ce type de développement ? Comment l’intégrer dans notre économie de marché actuelle ? Éléments de réponse.
Comment faire face à l’urgence écologique et sociale quand la solution réside dans un changement de société au processus long ? Comment concilier impératif au court terme et évolution au long terme ?
Voilà une question cruciale. Il est vrai que la situation est préoccupante, mais il faut faire bon usage de l’urgence et se méfier des scénarios catastrophes. À trop tirer la sonnette d’alarme, on risque d’inhiber les bonnes volontés et d’entretenir l’opinion publique dans la peur, ce qui n’est pas propre à susciter les mobilisations les plus adéquates. Quand on se tourne vers l’histoire, il faut reconnaître que beaucoup de visions apocalyptiques ne se sont finalement pas produites. Il ne faut cependant pas les discréditer. Certaines hypothèses ont probablement permis l’action nécessaire à neutraliser le scénario catastrophe. En se préparant au pire, on peut faire face à des problèmes moindres. Dans cette situation, l’action du politique est essentielle. Le rôle des dirigeants politiques est crucial pour gérer et arbitrer le débat public. Il est de leur responsabilité d’organiser les débats pour faire apparaître les enjeux à l’opinion. Il ne s’agit pas d’imposer des restrictions mais de susciter une mobilisation pour montrer que chacun peut avoir une contribution utile. La responsabilisation est souvent plus efficace que la contrainte.
Si le développement durable nous encourage à limiter notre consommation, n’est-il pas alors incompatible avec la croissance économique et le modèle néo-libéral ?
Son objectif n’est pas contradictoire avec la croissance capitaliste qui repose sur l’accumulation de richesse. Le développement durable veut améliorer le bien être quand bien même il passe par l’acquisition de nouveaux biens. C’est une nouvelle conception de la production de richesse plus soucieuse du coût engendré pour l’environnement et la société. Le véritable enjeu est en fait de produire mieux sans exclure la possibilité de rester ancré dans l’économie marchande. Pour avoir un réel impact, le développement doit aller de pair avec la promotion de nouvelles approches comme, par exemple, l’éco-conception. Il ne suffit plus de traiter les déchets, il faut penser en amont en envisageant le produit dans l’ensemble de son cycle de vie, de sa conception à son recyclage en passant par ses modes de fabrication et de consommation.
Les trois grands piliers du développement durable (social, environnemental, économique) sont parfois en compétition. C’est le cas dans de nombreuses situations, lutte contre le travail des enfants qui privent de revenus certaines familles, réglementations écologiques qui limitent la production de certains producteurs…. Peut-on concilier ces différents volets ou sont-ils nécessairement contradictoires ?
Il est vrai que les acteurs se concentrent le plus souvent sur un ou deux piliers. Mais est-ce si utopique d’envisager un mode de développement où l’on se préoccupe des implications au plan environnemental et auquel le plus grand nombre puisse accéder ? La contradiction apparaît moindre si on l’envisage sous cet angle que si on pose la question en termes de piliers. Ce n’est pas évident, mais il ne faut pas y renoncer : le développement durable est un autre mode développement qui nous invite à regarder les choses autrement. Prenons la voiture comme illustration. Si on reste enfermé dans une vision écologique, la voiture est un facteur de pollution et consomme de l’énergie non renouvelable, il faudrait donc la bannir. Cependant, le développement durable nous invite à considérer aussi les implications économiques et sociales pour lesquels la voiture est un élément positif. Le défi est donc de minimiser l’impact de la voiture tout en conservant ses avantages.
On observe à travers cet exemple que des solutions existent comme l’intermodalité. C’est à dire utiliser sa voiture plus judicieusement et la combiner dans ses déplacements avec d’autres modes de transport moins préjudiciables à l’environnement (vélo, transports en commun).
Qu’entendez-vous par « faire passer la civilisation moderne du stade de développement à celui de la durabilité » ? Comment cette transition se traduit-elle dans les faits ?
Depuis que le développement durable est introduit dans le débat public, il est décliné en plusieurs notions, consommation durable, mobilité durable, tourisme durable, etc. Cette idée de développement n’est peut-être que transitoire pour nous imprégner de la nécessité d’envisager la durabilité. Il faut à présent se demander à chaque fois « Est-ce durable pour nous et les générations suivantes ? ». Il est important de ne pas commettre les mêmes erreurs qu’auparavant quand on s’est lancé dans la construction d’infrastructures sans se préoccuper de l’irréversibilité de nos choix. Et cette idée d’irréversibilité est essentielle. Quelque chose de durable c’est quelque chose qui n’est pas irréversible au point de nous condamner et de réduire nos capacités de choix dans le futur.
L’éducation au développement durable à l’école sous-entend une interdisciplinarité tant les sujets abordés sont larges. Est-il nécessaire de réformer le système scolaire vers des matières moins cloisonnées pour imposer le développement durable dans les programmes ?
Il est vrai que les enseignants se heurtent au défi de travailler avec d’autres collègues, mais c’est aussi passionnant pour eux. En présence de ce défi de pluridisciplinarité, il ne faut pas sous-estimer la capacité des enseignants à s’ouvrir. Reste à savoir s’ils en ont les moyens. Les lourdeurs du système éducatif, avec toute sa hiérarchie et ses procédures complexes, pèsent beaucoup sur les réformes nécessaires. Je pense qu’il faut être en permanence vigilent sur l’évolution du sujet et lever les obstacles au cas par cas. Il est important d’avoir une approche pragmatique qui permette d’avancer à petits pas.
Propos recueillis par Julie Mandrille
Vingt ans après son apparition, le développement durable doit aujourd’hui faire face à ses limites. Il devient de plus en plus difficile de concilier les différents volets du phénomène. Sylvain Allemand s’interroge donc. Et si nous étions en train de rentrer dans une nouvelle phase du développement durable ?
L’auteur se penche sur la question en soulevant les ambiguïtés du phénomène. Du commerce équitable à la finance solidaire en passant par les OGM, l’énergie ou encore l’urbanisation, l’auteur décline le développement durable sous tous ses aspects et en dégage les éléments clefs. Enjeux et tendances sont traités de manière à la fois précise et accessible pour tous. Particulièrement intéressantes, les dernières pages évoquent les problématiques qui gravitent autour du concept et les débats en cours.
« Les paradoxes du développement durable » Sylvain Allemand, éd.Le cavalier bleu, 2007, 191 p., 22€