« Regards croisés » ou l’odyssée de l’Education relative à l’environnement (ErE) et de l’Education au Développement (ED) qui se rencontrent, échangent, s’apprivoisent et co-construisent.
Vous avez dit « Education au Développement » ?
Face à l’inégale répartition des richesses dans le monde, l’Education au Développement vise à proposer une analyse et une réflexion critique sur les mécanismes qui régissent les relations Nord-Sud au niveau politique, économique, social et culturel. Au-delà de ses missions de sensibilisation et d’information, ce processus éducatif encourage à réfléchir aux conséquences des actes que chacun pose quotidiennement et à provoquer des changements de valeurs et d’attitudes sur les plans individuel et collectif, en vue d’un monde plus juste, dans lequel ressources et pouvoir sont équitablement répartis. L’Education au Développement se réalise tant au Nord qu’au Sud, en s’appuyant sur une collaboration entre les acteurs du Sud et du Nord.
Sources : Quinoa, Acodev et ITECO
Tout commence début 2005. Alors qu’au Burkina Faso se profile le 3e Forum Planet’ERE (1), auquel participent plusieurs organisations belges, au niveau mondial, la Décennie de l’éducation au développement durable est lancée. Il n’en fallait pas plus pour que, en Belgique, une douzaine d’associations (2) entament les premiers pas d’une synergie visant à échanger leurs pratiques. Ces associations émanent de deux secteurs distincts, l’Education relative à l’Environnement (ErE) et l’Education au Développement (ED). Deux secteurs qui, s’ils ne s’ignorent pas, cohabitent sans trop partager leurs débats. L’objectif de ces réunions informelles sera donc de se connaître pour se renforcer mutuellement. Une démarche qui se poursuit et se renforce encore aujourd’hui, si ce n’est que les méthodes ont pris un tournant beaucoup plus tangible.
Des premiers constats…
D’emblée, au cours de ces premières rencontres entre acteurs de l’ErE et de l’ED, des convergences surgissent, sans l’ombre d’un doute. Les deux secteurs oeuvrent, notamment, pour des finalités communes : « agir sur les comportements à partir d’une vision critique des mécanismes de consommation, de modèles de développement destructeurs, de pillages des ressources, de domination et d’exploitation de certaines populations… » (3).
Un champ d’action à nuancer. L’ErE part majoritairement des individus et de leurs comportements, de leurs gestes au quotidien, pour ensuite passer aux enjeux globaux. L’ED, quant à elle, adopte une approche plus collective et militante. Elle décortique d’abord les mécanismes générateurs d’inégalités pour conclure seulement par les possibilités d’actions. Constat qui en appelle un autre : là où le terrain d’action de l’environnement est local (les changements commencent « ici », dans mes habitudes alimentaires, ma consommation d’énergie, mes déplacements…), celui du développement est moins palpable (même si l’éducation se fait ici, ça se passe « là-bas », dans le Sud). L’ED prône également le partenariat et la dimension collective des enjeux de la solidarité internationale en tant qu’acte politique.
… à la co-construction
Ces premiers constats ne font que conforter l’idée d’un apport complémentaire et indispensable entre ces deux mondes, pour renforcer leurs pratiques. Les « Regards croisés » poursuivent donc leur cheminement, en empruntant un virage plus concret cette fois. Dès 2007, une nouvelle stratégie voit le jour : la mise en place de journées co-construites par deux associations, l’une de l’ErE, l’autre de l’ED. À trois reprises, ces ateliers invitent animateurs, enseignants, formateurs ou toute autre personne déjà impliquée ou non dans l’ErE et/ou l’ED, à se plonger dans une thématique. Le CRIE de Liège et ITECO se penchent sur le développement durable ; le CRIE d’Harchies et le SCI explorent le court métrage « L’île aux fleurs » ; et enfin, Tournesol et Quinoa clôturent ce cycle en abordant le thème de la consommation. Chaque duo organisateur se lancera le défi de décloisonner les thématiques, en veillant à garder les spécificités propres à leur secteur.
Après avoir apporté sa griffe à l’organisation et observé certaines de ces journées, Nadine Liétar, formatrice, a aiguisé son regard sur la démarche générale d’échange de bonnes pratiques entre ErE et ED. « En termes de valeurs, il n’y a pas de grandes divergences entre les animateurs et formateurs des secteurs présents, souligne la formatrice. Ils n’ont d’ailleurs pas rencontré trop de difficultés pour construire ces journées. » En témoigne l’exercice auquel se sont prêté les deux animatrices de la journée « L’île aux fleurs ». Leurs associations respectives (SCI et CRIE d’Harchies) partagent des valeurs communes de solidarité, tolérance, autonomie, responsabilité, esprit d’initiative, respect humain et environnemental ou encore coopération.
Quant aux thématiques abordées par les deux secteurs, la tendance semble être à la convergence, en tout cas pour certains grands enjeux. L’eau sous l’angle Nord-Sud (accès à l’eau pour tous) ou l’eau à travers l’œil environnemental (cycle de l’eau, pollution…) se rencontrent souvent dans la construction d’animations. L’alimentation ou la consommation en sont d’autres exemples. Les outils utilisés sont souvent identiques, de même que la manière de les exploiter. Tant dans l’ErE que dans l’ED, l’approche systémique, visant à souligner les interdépendances entre les composantes d’un système, est privilégiée. Dans les deux camps, le monde est donc observé dans sa globalité.
« Même si chacun reconnaît l’importance de faire des liens, le choix se fait de cloisonner certaines thématiques, dans le but de ne pas trop complexifier les choses, poursuit Nadine Liétar. Les institutions internationales (FMI, OMC…), par exemple, sont souvent perçues comme étant du ressort du développement, et les changements climatiques de l’environnement. » Bien que depuis peu, urgence et attention des médias aidant, la question climatique creuse son nid plus implicitement dans le monde du développement (sécheresses, inondations, réfugiés climatiques, etc.).
Consolider les acquis
En s’attardant un instant sur les approches pédagogiques et méthodologiques, les différences se soulignent ici aussi. « Dans l’ErE, on est plus dans le ressenti et l’imaginaire, alors que l’ED est plus dans la connaissance et les procédures », enchaîne la formatrice. D’où l’intérêt d’une synergie entre ces deux mondes. « Ce rapprochement, c’est s’enrichir de visions différentes au niveau des pédagogies adoptées et des thématiques abordées, mais aussi de visions différentes de la société et de la place de l’individu dans la société. »
Les participants à ces trois journées d’ateliers l’ont bien compris : échanger pour mieux cerner qui est l’autre est un premier pas. Maintenant il s’agit de passer à l’acte, en créant des animations ensemble, en consolidant des partenariats, en suivant une formation proposée par l’autre secteur, en toquant à la porte de Madame Environnement pour l’inviter à construire conjointement une activité d’ED, en fixant un rendez-vous avec Monsieur Développement pour l’intégrer à une formation en ErE…
Céline Teret
Article publié dans Symbioses (dossier « Et le Sud dans tout ça ? » – n°76), le magazine d’Education relative à l’Environnement du Réseau IDée
(1) Organisé par la Fondation Nature et Vie, le 3e Forum Planet’ERE (le réseau francophone des acteurs de l’éducation à l’environnement) s’est tenu du 18 au 26 juillet 2005 et a rassemblé plus de 2000 participants issus de plus de 43 pays
(2) Côté « Environnement » : Réseau IDée, WWF, Institut d’Eco-Pédagogie (IEP), Cerise, Centres Régionaux d’Initiation à l’Environnement (CRIE) d’Anlier et d’Harchies, Coren, Tournesol. Côté « Développement » : ITECO, Service Civil International (SCI), Iles de Paix, Entraide & Fraternité, Quinoa, Louvain Développement.
(3) Stephan Grawez, Entraide & Fraternité, dans l’Infor’IDée n°1/2006