Formateur à Media Animation, Yves Collard décortique la pub et, par extension, la société. Aux enseignants et animateurs, ce mordu d’éducation aux médias propose des grilles d’analyse malléables, dans un monde où règne l’omniprésence d’une pub aux allures avant-gardistes. Un exercice qui se veut sans jugement de valeur.
Éduquer à la pub, en la décodant ou en la faisant faire ?
Les deux ! C’est typique de l’éducation aux médias, il faut analyser, puis produire, ou l’inverse. En matière de publicité, je commence toujours par l’analyse, en amenant des concepts que les enseignants ne connaissent pas toujours : l’insight, la promesse, le bénéfice, la signature… Ce que les profs globalisent généralement sous le terme « slogan ». On aborde également la question des représentations. Je préfère la notion de « représentation » à celle de « mensonge », qui est à mes yeux un jugement de valeur. Lorsque les enseignants ont fait leur révolution copernicienne en matière d’analyse de la publicité, on se penche sur la manière de travailler des agences de pub, sur les métiers de la pub et les différentes étapes de création d’une publicité. À partir de ce moment-là, les enseignants peuvent envisager la création publicitaire.
La pub semble toujours avoir une longueur d’avance. Comment suivre au niveau éducatif ?
Les outils pédagogiques en matière d’éducation à la pub sont trop souvent purement analytiques. Une annonce presse ou une affiche est auscultée dans une perspective très scolaire, très disciplinaire. Bien souvent, les grilles d’analyses disponibles datent un peu et ne sont pas adaptables à toutes les pubs. Or, il faut pouvoir analyser plusieurs types d’annonces, même le carton indiquant « Moins 50% sur l’achat d’un bac de bière ». Quand un prof demande à ses élèves de venir avec des publicités, ils ne se munissent pas d’une vieille pub analysée sans fin sur internet. Lors de mes formations, je propose aux enseignants des grilles d’analyse adaptables.
Quelques définitions publicitaires…
De plus en plus de techniques marketing utilisent le consommateur lui-même pour vanter leur produit. Citons : le « marketing viral » qui joue sur la surprise et le bouche à oreille, en envoyant par mail, par exemple, la vidéo d’une pub marrante ; le « buzz » qui fait que l’on discute d’un produit, lors d’une soirée, sur les blogs (sites personnels) ou les forums internet, avant même que le produit ne soit sorti ; le « street marketing » qui prend par exemple la forme d’échantillons distribués lors d’une soirée ; le « marketing d’influence » qui génère du bouche à oreille en impliquant des leaders d’opinion (jeunes branchés, stars…) ; le « guérilla marketing » où l’on paie des gens pour démolir des produits sur les forums de discussion sur internet…
D’autant que la pub est de plus en plus là où on ne l’attend pas…
En effet. Seul un tiers des investissements publicitaires en Belgique ou ailleurs est consacré aux médias dits classiques : TV, radio, internet… À l’intérieur de ces médias, les investissements en matière d’affiches ne représentent que 10%. Le prof pour qui l’analyse de la pub passe par celle de l’affiche ne se penche que sur 3% du phénomène publicitaire. Les deux tiers restants des investissements passent dans tout ce qui est hors support traditionnel: action de sponsoring, buzz, street marketing, etc. (voir encadré). Les agences publicitaires sont de plus en plus créatives en matière de supports et de méthodes communicationnelles. Ces nouvelles publicités, il faut aussi en tenir compte en classe.
La pub comme point de départ à l’éducation aux médias ?
Ce n’est pas le plus simple de commencer par la publicité pour arriver aux autres médias. Un journal télévisé, par exemple, raconte la société, là où la publicité raconte la société en essayant de précéder légèrement les tendances de celle-ci. Si on veut bien comprendre la publicité aujourd’hui, il faut faire une espèce de petite « sociologie sauvage » afin de repérer quelles sont les tendances de la société, quels sont les référents, les publics, etc. Quant au journal télévisé, il est descriptif et on s’attache surtout à essayer de découvrir comment le monde y est décrit.
Faut-il veiller à tout prix à ce que la pub ne franchisse pas le seuil des écoles ?
Je ne peux pas me mettre à la place des responsables d’établissement. S’il faut effectivement mettre certaines balises, il me semble cependant que les interdictions ont toujours une guerre de retard sur la publicité. Si l’école limite les distributeurs, que mettra-t-elle à la place et les élèves n’apporteront-ils pas les mêmes produits de chez eux ? La pub peut se déguiser très facilement. Alors, l’école doit-elle être un espace hypocritement privilégié, où on exclurait la pub en sachant qu’elle passera par ailleurs ? Ou doit-elle agir de manière plus militante, en se donnant pour mission de rester un lieu protégé et en refusant la pub ? Dans les deux cas, ça n’exonère pas l’école de faire un travail d’éducation aux médias. Si l’école accepte la pub, elle doit expliquer ce que c’est. Si elle ne l’accepte pas, elle doit fournir les armes nécessaires aux élèves qui seront exposés à la pub une fois sortis de l’école. Les jeunes qui, après une formation à la pub, se jettent quand même sur le distributeur à la sortie des cours le font en connaissance de cause. Ils savent que la pub les manipule. C’est la définition même de l’éducation aux médias : rendre l’individu autonome et responsable dans ses choix de consommation médiatique.
Propos recueillis par Céline Teret
Article publié dans Symbioses (dossier « La publicité en questions » – n°77), le magazine d’Education relative à l’Environnement du Réseau IDée
- Parmi ses activités d’éducation aux médias, l’asbl Media Animation organise des formations d’éducation à la publicité.
- Yves Collard est auteur pour le CEM de « Comprendre la publicité – Education critique », un outil pédagogique dont la publication est imminente.
[...] absolument la supprimer/la purger du paysage, il est plus important d’améliorer l’éducation des gens face à ce média, de façon à les faire devenir plus critiques, exigeants (en un sens ça relèvera aussi le niveau [...]
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