Pour répondre aux carences de l’État et à l’absence d’investissements privés, des organisations paysannes maliennes se sont unies pour mettre en place une filière semencière digne de ce nom. Le défi est de taille. Mais l’enjeu est vital.
Améliorer la santé, dispenser une éducation populaire, constituer des caisses d’épargne… Partout en Occident, les acteurs de l’ « économie sociale » ont vu le jour au sein des couches populaires pour assurer la prise en charge des besoins fondamentaux.
Ce schéma ne diffère pas fondamentalement en Afrique de l’Ouest : pour faire face à la déliquescence de l’économie et à la dégradation des structures traditionnelles d’entraide, de nouvelles formes associatives y ont émergé et se sont multipliées. A un point tel que qualifier l’action de ces millions d’associations d’« économie sociale » y semble moins pertinent, tant elles sont majoritaires dans la sphère économique de nombreux pays.
Coopérer, s’améliorer
Le secteur agricole du Mali illustre bien cette situation. Alors que près de 80% de la population y vit de l’agriculture (et de la pêche), aucune politique solide de production et de commercialisation de semences n’a été mise en place par les autorités. On compte certes un Service Semencier National, mais celui-ci ne produit qu’une infime partie des semences requises par les paysans. De même, le Conseil National des Semences, chargé notamment de la détermination des semences « certifiables » et autorisées dans le pays, semble aujourd’hui totalement déconnecté des réalités paysannes… et ne se réunit d’ailleurs même plus !
Disposer de bonnes semences et d’une politique semencière efficace est pourtant vital pour les paysans maliens dont les cultures sont peu intensives et pour qui l’accès aux intrants agricoles reste très souvent difficile. Une mobilisation de la base s’imposait donc. Depuis 2004, l’Association des Organisations Professionnelles Paysannes (AOPP), partenaire d’Oxfam-Solidarité au Mali, s’attache à la constitution d’une filière paysanne de production et de commercialisation de semences. Pour cela, l’AOPP aide ses organisations membres à mettre sur pied des coopératives capables de produire et d’écouler des semences variées et de qualité, pouvant être certifiées par les instances officielles tout en restant à la portée des paysans les plus démunis.
En pratique, les producteurs des sept organisations impliquées dans le projet vendent leurs semences par l’intermédiaire des coopératives, celles-ci leur retournant ensuite la recette correspondante. Des coopératives répartissent même la recette de certaines variétés à égalité entre producteurs-vendeurs, encourageant par là les producteurs les plus rentables à aider leurs confrères moins productifs dans l’amélioration de leurs récoltes.
« Grâce à ce système, nous pouvons aujourd’hui mettre des semences certifiées à disposition des paysans locaux, près de chez eux et à bas prix », explique Bakary Fofana, à la tête de la section régionale de l’AOPP à Ségou, au sud du Mali. « Au total, douze variétés de semences adaptées à notre zone sont proposées. Cela facilite grandement l’approvisionnement en semences des paysans. Ceux-ci ne doivent plus parcourir des centaines de kilomètres pour s’en procurer. En outre, les variétés de semences proposées sont plus productives, ce qui permet d’améliorer la quantité des récoltes. »
Les défis de demain
Actuellement implanté dans la région de Ségou, le projet vise à s’étendre dans d’autres régions du Mali afin de rendre les semences accessibles à davantage d’exploitations familiales. Mais un volet politique accompagne aussi l’ensemble du processus. « Établir un réseau de coopératives ne suffit pas », explique Faliry Boly, Secrétaire général de l’AOPP. « Il est également fondamental de faire entendre la voix des paysans auprès de l’État et des parlementaires pour parvenir à l’élaboration
d’une politique semencière favorable aux exploitations agricoles du Mali. »
Pour cela, les coopératives impliquées ont mis sur pied, début 2008, une Union des Coopératives Semencières. Sorte de « bras semencier » de l’AOPP, cette union chargée de la stratégie de développement de la filière devra, à terme, être capable d’avancer les priorités à prendre en considération par le monde politique. Actuellement financée par Oxfam-Solidarité et le Fonds belge de Survie, l’Union devra également œuvrer à l’autonomisation financière de la filière (cotisations…) tout en garantissant une solidarité économique entre les coopératives. Comment en effet répartir les frais de fonctionnement entre producteurs de riz – une culture très rentable – et ceux de mil, céréale peu rentable mais fondamentale dans l’alimentation des paysans ? Les défis à relever sont encore nombreux…
Quelle que soit la dénomination attribuée à ce type d’initiative (économie sociale », « économie solidaire »…), ce qui compte avant tout, c’est que des organisations comme Oxfam-Solidarité et l’AOPP parviennent à s’unir pour mettre en place des alternatives économiques et sociales durables. Des alternatives qui rendent un autre monde possible pour des milliers d’hommes et de femmes.
Luc Woitrin, gestionnaire de programme Mali
Article publié dans la revue Globo d’Oxfam-Solidarité
Photo: Oxfam-Solidarité
- Dossier “Oxfam et les défis de l’économie sociale” de la revue Globo n°23 (09/08) – Oxfam-Solidarité
excellente initiative car la crise alimentaire mise en évidence en 2008 a bien montré que certains pays avaient tendance à stopper leurs exportations alimentaires vers l’étranger pour les consacrer à leur population propre.
Etre autosatisfaisant du point de vue alimentaire (agriculture, élevage et pêche) est la base de toute civilisation. Cela permettra aux pays en voie de développement d’éviter les famines ainsi que les conséquences du repli des produits alimentaires des autres pays en cas de prochaine crise.
Cette sécurité alimentaire peut se faire de différentes manières : via la mise en place de coopérative, via le travail des ONG, via le microcrédit qui agit directement sur les paysans et qui permet de sensibiliser une frange importante de la population, …
Cette action devrait faire des émules dans les autres pays en développement.