Face à la crise annoncée de l’énergie et de la mobilité, se dessinent aujourd’hui des alternatives pleines de promesses. L’habitat groupé est l’une d’elles qui, en plus de permettre d’évidents bénéfices écologiques, ouvre surtout l’individu à des « micro-sociétés » où se partage un projet commun. Bavardons, pour en savoir un peu plus, avec l’architecte Hubert Sauvage, membre du groupe des professionnels de l’écobioconstruction de Nature & Progrès…
Habiter groupé ? De tout temps, l’homme n’a-t-il pas eu besoin de ses semblables pour survivre ? La misanthropie et l’individualisme ambiants auraient-ils, aujourd’hui, anéanti une pulsion aussi profonde, chez l’homme, que son instinct grégaire ? Qu’aimons-nous plus, il est vrai, que nos petits égoïsmes et nos petites voitures ? Serait-ce, cependant, au point qu’il est nécessaire aujourd’hui de rappeler cette évidence ? Eh oui, vivre ensemble a encore de gros avantages…
Un simple critère pratique, tout d’abord
« D’un point de vue strictement technique, dit Hubert Sauvage, l’habitat groupé permet de rentrer un seul permis de bâtir qui décrit plusieurs logements à la fois ; logements à l’horizontale ou à la verticale, ou même mixte des deux en fonction du terrain, du cadre… Une telle formule offre l’intérêt d’éviter le lotissement où l’on doit prévoir des lots ayant une forme précise, avec des zones à bâtir, des zones de jardin, etc. On sort alors difficilement de la juxtaposition de maisons individuelles type ‘quatre façades’… En rentrant un seul permis groupé, il est possible de diviser le terrain après avoir construit le gros œuvre ouvert, c’est-à-dire grosso modo l’enveloppe extérieure, jusqu’aux toitures. Le principal problème qu’on rencontre – non pas en rénovation, mais en partant de nouvelles constructions – c’est de rassembler suffisamment d’argent pour atteindre ce stade, avant que chacun dispose de sa propre part. Des règles extrêmement strictes sont donc indispensables dès le départ, quelle que soit la formule qui réunit les futurs habitants, co-propriété, société… »
D’un point de vue purement juridique, de nombreuses formules existent. Nous n’en parlerons pas ici afin de ne pas entrer dans des détails trop techniques. Du reste, l’habitat groupé n’est pas une formule toute faite ; tout est possible pourvu que les « promoteurs » le souhaitent…
« On rencontre même des gens qui se bornent à créer le cadre, puis qui vendent, dit Hubert sauvage ; ils veulent simplement doter le projet d’une dimension écologique, par exemple, afin qu’il diffère du vulgaire lotissement. En fait, tout tient dans la faculté qu’à l’architecte de pouvoir penser les choses dans leur ensemble, dans la relation nouvelle et intégrée qui va exister entre les différents logements, entre les différents habitants… »
La volonté souveraine de partager des choses
Mais alors, un immeuble à appartements est-il un habitat groupé ? Non, bien sûr, dans la mesure où on n’a fait qu’y empiler les logements les uns sur les autres !
« Pour moi, un habitat groupé se conçoit d’emblée avec le groupe qui va l’occuper, en fonction du projet qu’il développe. D’où la nécessité de créer préalablement un cadre de vie qui va s’appeler le règlement d’ordre intérieur, ou la charte, afin d’aider ces gens à vivre en commun, quoi qu’il arrive. Tout est possible ensuite. On peut se borner à partager le terrain, mais on peut faire beaucoup plus : partager des communs, un potager, ou même un projet culturel dans des locaux conçus spécifiquement… Cela peut aller jusqu’à de la production commune de maraîchage ou de fruits, ou même de l’élevage… Le point commun de tout cela est juste la volonté de partager des choses. On est donc aux antipodes de la maison dortoir : je rentre du boulot, je mets la voiture au garage, je rentre chez moi par ma porte intérieure et j’allume ma télévision ; je n’ai pas vu un seul voisin et je n’ai parlé à personne… Tout au contraire ! Ce modèle-là est précisément celui qui fait fuir ceux qui rêvent d’un habitat groupé. Ils veulent quitter le schéma imposé du ‘quatre façades’ avec haie de thuyas et pelouse passée au Roundup, de la piscine personnelle qui sent le chlore… Bien sûr, tous ont une façon originale d’y arriver en fonction des projets qu’ils développent. Mais je pense qu’il y a toujours, là-derrière, la volonté de changer de modèle de société, de partager des expériences, de se regrouper autour d’un lieu et de préoccupations communes. La présence féminine est, par exemple, très forte dans l’habitat groupé, alors que le monde de la construction reste traditionnellement très masculin. Beaucoup de dames seules y trouvent une certaine notion de confort, une certaine entraide aussi qui n’existerait pas autrement… »
La place de l’architecte
La lenteur est le principal problème de l’habitat groupé ! Un projet d’une telle ampleur doit absolument englober les volontés de tous et l’architecte se trouve rapidement confronté aux problèmes d’expression des futurs habitants. « Souvent, les clients ne savent pas exactement ce qu’ils veulent, regrette Hubert Sauvage, ou n’arrivent pas à l’exprimer correctement. L’architecte doit donc quasiment acquérir des compétences de psychologue et de linguiste ; son rôle devient énorme car le projet peut capoter uniquement à cause de la difficulté à gérer le groupe. Il est fréquent, par exemple, que personne n’y soit à même de mener une réunion ou qu’il y ait une incapacité chronique à prendre des décisions. Seul l’architecte est alors en mesure de rattraper la sauce. Evidemment, certains groupes s’autogèrent très bien mais, dans d’autres, tout peut soudain s’écrouler si on n’y prend pas garde… Il y a aussi des problèmes de rythme de travail ; certaines personnes qui traînent par rapport à d’autres qui accélèrent beaucoup trop… »
Hubert confie alors que les personnes les plus fragiles sont souvent celles qui sont à la base du projet ; tout simplement parce qu’elles y ont placé de gros espoirs et sont susceptibles d’être les plus rapidement déçues lorsqu’elles n’atteignent pas leurs objectifs. Ceux qui ont l’air de prendre les choses un peu à la légère, par contre, sont souvent plus difficiles à perturber ; ils vont de bonne surprise en bonne surprise…
« Un maximum de choses doivent absolument être verbalisées d’emblée, continue Hubert Sauvage ; il faut veiller à ne pas laisser s’épanouir l’une ou l’autre mauvaise idée qui avancerait parallèlement au reste. Les désillusions sont énormes quand il faut montrer qu’elles sont impossibles. Le rôle de l’architecte est donc de mettre rapidement les balises et les limites, d’essayer de comprendre où va le projet et de l’exprimer pour le groupe. C’est très compliqué, mais très passionnant. Avec un groupe, le moindre dérapage est plus difficile à rattraper qu’avec un client particulier car ce sont dix ou vingt personnes qu’il faut pouvoir convaincre au lieu d’une seule… Les plus grosses difficultés surgissent quand certains habitants s’installent un ou deux ans avant les autres ; ils commencent à voir les choses en terme de vie alors que les autres sont toujours occupés à gérer techniquement leur chantier. Ce sont souvent des moments assez tendus car ne sont plus du tout les mêmes attentes qui sont partagées… »
Très riche au niveau du concept, l’habitat groupé ne s’improvise donc pas et le rôle de l’architecte est prépondérant. D’autre part, il faut énormément de motivation de la part de ceux qui se lancent dans l’aventure. « On ne rentre pas là-dedans comme dans un projet standard», conclut Hubert.
Vive la diversité !
Il est possible de mettre énormément de choses en commun au sein d’un habitat groupé, mais elles dépendent toujours du projet que développent ensemble les futurs habitant. Concernant la gestion de l’eau, par exemple, on peut imaginer une seule citerne commune d’eau de pluie, on peut imaginer que chacun ait la sienne, ou encore que certains en aient et d’autres pas. On peut même ne pas en mettre du tout ! Tout est possible et tout dépend uniquement du niveau d’exigences de départ. Tout est ouvert a priori et il n’existe pas de réponse standardisée.
« La notion d’habitat groupé ne sous-entend pas qu’il il aurait ipso facto une sorte de canevas écologique de base, dit Hubert Sauvage ; tout dépend, je le redis, de la volonté initiale et des buts de ceux qui portent le projet. On voit même naître d’importantes disparités, du point de vue de l’écologie, dans la façon dont chacun des occupants développe son propre logement. Il n’en reste pas moins, cependant, que les projets de départ concernent souvent l’écologie et les économies d’énergie… »
La richesse d’un habitat groupé sera évidemment de regrouper des gens qui ont des profils très différents. L’idéal est de brasser les générations et les milieux socioculturels afin que le projet ressemble véritablement à une micro-société. « Il est primordial que les participants aient quelque chose à s’offrir mutuellement, dit Hubert Sauvage. Il faut absolument éviter, dès le départ, de concentrer de jeunes couples d’universitaires, par exemple, avec enfants en bas âge. J’ai personnellement vécu un cas où une dizaine de jeunes couples se sont implantés dans un petit village. L’école communale devenait évidemment trop petite puisqu’on accroissait, d’un seul coup, la population d’une dizaine de pour cents ! Mais pourquoi l’aurait-on agrandie ? De toute façon, ses locaux se seraient vidés, une dizaines d’années plus tard, une fois que tous ces enfants auraient grandi sans qu’une nouvelle génération soit venue les remplacer ? Il faut comprendre que les choses doivent avoir un sens et qu’elles bougent rapidement, qu’il faut toujours que des projets de vie aussi importants répondent à des visions à long terme, pertinentes tant au niveau individuel qu’au niveau social… »
Des choses qui s’imposent d’elles-mêmes…
« Lorsque le pas est fait, certaines évidences architecturales s’imposent pourtant rapidement, assure Hubert Sauvage. L’habitat groupé donne, tout d’abord, l’occasion d’accoler les bâtiments. Un mur commun d’une cinquantaine de mètres carrés permet, d’emblée, une économie de six ou sept mille euros. Ca compte toujours dans un budget, surtout quand on peut les consacrer à autre chose… Il permet aussi de partager aisément des espaces : cela peut aller de la simple buanderie ou du garage à vélos, par exemple, à – carrément ! – un séjour commun avec des appartements privatifs autour, un peu comme dans les kots d’étudiants à Louvain-la-Neuve. Une telle solution offre notamment l’avantage de ne pas devoir chauffer cette grande pièce quand personne ne l’utilise… L’évolutivité de l’habitat est également mieux garantie : on rêve souvent d’un logement pour une famille entière et il devient inutilement grand quand les enfants ‘quittent la maison’… En fait, une multitude de formules sont possibles à mettre en œuvre pour peu qu’on ait suffisamment d’ouverture aux autres. Or, dans l’esprit, l’habitat groupé, c’est cela avant tout. »
Bien sûr, le partage de techniques est également une opportunité, qu’il s’agisse de chauffage ou de gestion de l’eau, par exemple. Soit on garde des infrastructures individuelles, soit on centralise pour une redistribution générale, mais centraliser permet souvent de recourir, à moindre coût, à des technologies beaucoup plus intéressantes. « A l’inverse, certains habitats groupés récents sont tellement bien isolés, constate Hubert Sauvage, que le chauffage commun devient superflu ; les gens se contentent sans problème de solutions qui étaient vues initialement comme des appoints, un poêle à bois, par exemple. »
Enfin, l’habitat groupé permet quasi toujours de mieux rentabiliser l’espace, permettant, par conséquent, une re-densification de l’espace urbain, par exemple. Il est d’ailleurs intéressant de s’implanter dans des zones bien équipées en termes de transports en communs, de commerces et de services, par exemple… « J’insiste toujours auprès des porteurs de projets, assure Hubert Sauvage, pour qu’ils réfléchissent très profondément au lieu où ils vont s’installer ; c’est aujourd’hui une donnée absolument primordiale. L’habitat groupé doit impérativement aller de pair avec une vision renouvelée de la mobilité. Les contraintes économiques nous obligent déjà à penser de nouvelles solutions, mais le problème, c’est encore et toujours que les gens les plus précarisés ne seront pas prêts pour de tels changements. En grande partie, parce qu’aucune vision politique n’aura su les y préparer. C’est classique ! »
Voir plus loin…
Nouvelle façon de penser comment se loger, habiter groupé crée aussi les circonstances pour mettre en place d’autres alternatives. « Pourquoi, par exemple, dans de telles conditions, payer encore chacun sa voiture individuelle, questionne Hubert Sauvage ? On peut le faire, bien sûr, si on le souhaite vraiment. Mais cela n’a plus rien d’obligatoire ! La groupe peut choisir, par exemple, d’acheter ensemble et de partager deux ou trois petites urbaines, ou même un seul gros véhicule utilitaire si c’est le besoin qu’on identifie ? En fait, on se donne vraiment les moyens de faire ce qu’on décide et on n’est plus le jouet d’une sorte de fatalité. Le regroupement et le partage d’expériences permettent d’avoir une influence réelle sur le mode de vie, alors qu’elle est nulle ou presque quand on est isolé. L’habitat groupé sera donc certainement une des réponses à la crise énergétique que nous allons connaître ; une parmi d’autres… »
Bien sûr, l’habitat groupé permet aussi la convivialité. Il la permet et ne l’impose évidemment jamais à ceux qui aiment aussi les moments de solitude… « On fait littéralement de l’aménagement du territoire au sein d’une parcelle, dit Hubert Sauvage ; on articule les choses, ce qui est tout différent d’y mettre une maison toute seule en ignorant complètement ce que vont faire les voisins, ce qui est tout de même aberrant… A présent, ce qui est important, c’est la force de l’exemple : il faut montrer qu’on peut vivre autrement… Et qu’on peut vivre très bien autrement ! Il faut bousculer certaines normes architecturalement trop bien établies pour montrer qu’il est vraiment possible d’aller vers un mieux. Bâtir, par exemple, une maison avec un K45 – la nouvelle norme wallonne en matière d’isolation – ne peut même plus constituer un objectif en soi. Il y a dix ans, au moins, que je n’ai plus fait une seule maison qui ne soit pas en-dessous de ce K45. Nous avons donc encore une marge de manœuvre énorme pour évoluer. Mais il faut, pour cela, un minimum de courage politique… »
Dominique Parizel, Nature & Progrès
Article publié dans la revue Valériane (n°73 – septembre/octobre 2008) de Nature & Progrès
Photo 1: Le Verger, à Temploux (Architecte : Hubert Sauvage).
Photo 2: Tarlatane, à Virginal (Architecte : Bénédicte Dossin). Rénovation d’une ancienne école.
- Le site Habitat Groupé, avec des fiches projet, des documents utiles, des outils, un forum…
- L’ouvrage « Habitat Groupé : Ecologie, participation, convivialité », de Christian La Gange, éd. Terre vivante.
PROPOSITION D’HABITAT GROUPE – REGION DE MARCHE-EN-FAMENNE
Nous sommes actuellement quatre couples, familles ou isolés et proposons à deux partenaires supplémentaires d’adhérer au projet. Nous ne sommes rattachés à aucune idéologie, mais nous sommes tous sensibles aux enjeux environnementaux et désireux de retrouver l’énergie que donne la vie solidaire. Un subtil équilibre entre respect de la vie privée et actions communes et dynamisantes serait notre idéal.
N’hésitez pas à nous contacter pour en savoir plus… Qui sait ?
hgmarche@caramail.com
Bonjour N&P
Ne manquez surtout pas le site web de l’HG du Bois del Terre (www.boisdelterre.be) et l’excellent dossier paru ce mois dans Tu bâtis Je rénove. 20 pages de régal !
Le livre de Christian Lagrange est vraiment à recommander.
Le 15 mars 2009, Fête des Habitats groupés à Louvranges (www.habitat-groupe.be)