9 milliards d’êtres humains sont annoncés sur la planète à l’horizon 2050. Si la production mondiale actuelle est potentiellement suffisante pour satisfaire les besoins de chacun, comment faire face à la demande alimentaire à venir ? Notre agriculture a-t-elle vocation à nourrir le monde ?
C’est pour en débattre que le Centre d’Etudes pour le Développement d’une Agriculture Plus Autonome et Solidaire (CEDAPAS) a organisé une ferme ouverte en novembre dernier, dans le cadre de la campagne Alimen’Terre. A partir de l’exemple d’une ferme du « nord », nous avons essayé de comprendre les liens entre nos modes de développement agricole et la situation alimentaire mondiale. Et comme l’alimentation, et donc l’agriculture et les politiques qui l’orientent, sont l’affaire de tous, la Confédération Paysanne, Artisans du Monde, ATTAC et le CCFD se sont associés à cette journée.
L’année 2008 a vu resurgir des émeutes de la faim dans les villes des pays du sud, en Egypte, en Haïti, au Cameroun… liées à la forte augmentation du prix des aliments de base, suite à l’envolée des prix des matières premières agricoles au niveau mondial. Cette actualité dramatique remet l’agriculture au cœur des débats : au niveau mondial, 45 % de la population vit du travail de la terre. Et même si la situation est devenue intenable pour des millions d’urbains pauvres, la faim et la pauvreté dans le monde touchent encore essentiellement le monde rural : sur 963 millions de personnes qui souffrent de la faim (1 personne sur 6 !), 70 % sont des ruraux, vivant du travail de la terre. La situation ne s’améliore pas, le nombre de personnes sous-alimentées augmente tous les ans.
L’AUTONOMIE : Une condition de la souveraineté alimentaire
L’autonomie, qui est au cœur de notre projet d’Agriculture Paysanne, c’est la capacité à vivre sans dépendre du pouvoir agro industriel (et n’être qu’un maillon d’un processus de production industrielle). C’est aussi une valeur humaine, qui consiste à être maître de son devenir. Elle implique la responsabilité de nos choix vis-à-vis de notre environnement social, naturel…
Faire le choix d’une agriculture plus autonome au Nord, c’est garder plus de valeur ajoutée pour le revenu agricole, et c’est donc permettre à plus de paysans de vivre de leur travail. C’est aussi moins faire pression sur les pays du Sud pour qu’ils nous approvisionnent en matière premières à bas coût comme le soja.
L’autonomie, c’est donc aller dans le sens d’une souveraineté alimentaire pour tous, mais c’est aussi une des conditions essentielles pour une souveraineté alimentaire effective: A quoi servirait d’obtenir au niveau international le droit de choisir sa production agricole et alimentaire, celui de choisir ses modes de production, si dans un pays, l’agriculture est complètement dépendante de quelques multinationales pour ses semences, ses intrants, ses techniques… (exemple des OGM) ?
Des pratiques plus autonomes, c’est aussi un progrès pour l’environnement naturel car l’autonomie repose sur la valorisation des ressources du milieu, elle nécessite donc d’avoir des pratiques respectueuses et adaptées au milieu. Moins d’intrants, c’est moins d’énergie, moins de transport, moins de contribution à l’effet de serre…
Une politique agricole pour une agriculture durable, au Nord comme au Sud
Des paysans de la région, et notamment dans notre réseau d’Agriculture Paysanne, mettent concrètement en place des alternatives qui vont dans le sens d’une agriculture durable. Mais l’orientation de l’agriculture passe aussi et surtout par la mise en place de politiques solidaires qui permettent à tous les pays de se développer et de répondre aux besoins alimentaires de leurs populations.
L’échéance du bilan de santé de la PAC (Politique Agricole Commune) fin novembre nous a donné l’occasion de faire le point sur le rôle de notre politique agricole commune sur la situation actuelle, et de faire entendre une autre voix pour réaffirmer que des alternatives existent et sont possibles ! On peut produire, transformer, consommer… mais aussi échanger autrement !
Le budget de la PAC est de 50 milliards d’euros : c’est un levier fort pour faire évoluer l’agriculture européenne… à condition de se fixer des objectifs clairs :
- Mettre la souveraineté alimentaire comme priorité de la politique agricole
- Promouvoir au nord un mode de développement cohérent avec les territoires, encourager une agriculture autonome, notamment en protéines, revoir profondément nos systèmes d’élevage
- Favoriser l’emploi et le développement local par une répartition plus équitable des aides, en lien avec l’emploi agricole, et encourager les filières locales
- Permettre aux pays ou groupes de pays de protéger leurs productions locales par des barrières douanières
- Cibler la production européenne sur la satisfaction du marché intérieur, abandonner l’objectif de se placer sur le marché mondial pour les produits de consommation courante
La PAC a permis dès les années 70 à l’Europe d’atteindre l’autosuffisance alimentaire grâce à l’intervention publique et la protection des frontières. En garantissant un revenu stable aux producteurs, elle a permis l’investissement en agriculture et l’augmentation de la productivité. En tenant compte des erreurs du passé, elle pourrait être un exemple pour des régions du Sud, si on leur laissait l’opportunité de s’organiser et de se protéger !
Jean-Luc Malpaux et Emeline Gaborieau, du Centre d’Etudes pour le Développement d’une Agriculture Plus Autonome et Solidaire (CEDAPAS) – Nord Pas de Calais
Article publié dans Le 23, le journal d’expression des associations du réseau MRES – Maison Régionale et de l’Environnement des Solidarités (n°195, printemps 2009)
Photo : GRDR
Echange d’articles dans le cadre du projet EnviroDoc
Union européenne: Fonds européen de développement régional