Dans un quartier anderlechtois, habitants, propriétaires, commerçants et associations observent sous un angle nouveau leurs rues, trottoirs et places. Aux côtés des pouvoirs publics et services communaux, ils dressent le diagnostic de l’espace public et entrent en dialogue, afin d’identifier si les choix d’investissements envisagés par la commune correspondent bien aux priorités des acteurs du quartier.
Rue Haberman. Ligne droite traversant le quartier Lemmens de la commune bruxelloise d’Anderlecht. Passage tonitruant de deux et quatre roues en tout genre. Un petit groupe se presse sur le trottoir et observe. Les regards se déplacent du pavé au lointain, puis repassent par une carte redessinant la rue sous un nouveau jour. Les aménagements proposés sur papier visent à dissuader les véhicules empruntant le quartier comme raccourci et à limiter l’entrée des camions semi-remorques dans la rue. « Ce qui est prévu, c’est de placer des chicanes et plateaux tout le long de la rue, notamment devant la sortie de l’école, afin de ralentir le trafic. Le quartier deviendrait une zone limitée à 30 km/h. Quant au trottoir, il devrait être élargi jusque-là. » Patrick, de l’asbl Periferia, pointe un trait de peinture blanche fraîchement marqué au sol. « Il est prévu aussi de planter des arbres, tous les 8 mètres. Voyez, ils sont dessinés là, sur la carte. Vous en pensez quoi ? » Le groupe acquiesce. « C’est bien les chicanes, parce qu’ici, en été, les motos foncent à du 120 à l’heure », lance l’épicier du coin de la rue. Le président du Comité de quartier enchaîne: « Au moins deux fois par mois, des camions se retrouvent coincés dans la rue. Au passage, ils écrasent les piquets et abîment les trottoirs. » Alors que Laurent, responsable du projet au sein du service rénovation urbaine de la commune, débat des aménagements projetés avec des personnes du quartier, à quelques mètres, Loïc, de Periferia, accoste les passants, carte et dessins à la main. L’avis de tous a son importance : ces jeunes à la sortie du foot, ce père de famille d’origine étrangère, ce couple de propriétaires de passage dans le coin…
Penser les espaces publics
Cette visite de la rue Haberman s’intègre dans un processus global de participation. Il y a près d’un an, la commune d’Anderlecht prend contact avec Periferia, association active dans la mise en place de dispositifs participatifs et animatrice de démarches de capacitation citoyenne (lire p.7-8). La commune, et particulièrement les services travaux publics et finances, souhaite mettre en débat un Contrat de quartier, qui finance un programme de transformation du quartier pour 4 ans. C’est plus précisément le volet « espaces publics » qui est concerné par ce processus participatif. Logique : qui dit espaces publics, dit lieux censés apporter bien-être et convivialité auprès de l’ensemble des acteurs du quartier.
La volonté première est de penser les espaces publics du quartier Lemmens à partir d’une analyse budgétaire. Deux espaces de travail voient le jour : le groupe Budget et les Ateliers de Travail Urbain. Inspiré de l’expérience latino-américaine en matière de budget participatif, le groupe Budget, ouvert à tous, s’attelle essentiellement à la compréhension et à la lisibilité du budget communal pour les citoyens. Motivation générale des participants : « comprendre d’où vient l’argent public et à quoi il est affecté », mais aussi mieux cerner les décisions politiques, développer un sens politique (entendu comme « prise en charge du devenir de la cité ») auprès du citoyen et rétablir un lien de confiance entre les citoyens et les institutions. Le travail du groupe Budget a donc permis à sa quinzaine de participants d’y voir plus clair lors des discussions et des propositions débattues aux Ateliers de Travail Urbain. Mieux comprendre et avoir accès à des données concrètes, telles que le coût de la réalisation d’un mètre carré de trottoir ou le coût de l’entretien de la place du quartier, c’est aussi prendre conscience de l’importance de ces investissements et se positionner de manière plus éclairée.
Les Ateliers de Travail Urbain, eux, ont démarré avec une promenade diagnostic en septembre 2008, afin d’observer les espaces du quartier Lemmens et d’identifier les problèmes rencontrés et améliorations souhaitées (lire aussi Symbioses n°80 – p.10). Un état des lieux qui sert désormais de fil rouge à ces rendez-vous mensuels. Six mois plus tard, c’est donc la rue Haberman qui est à l’ordre du jour de ce 6e Atelier de Travail Urbain. Ils sont environ une trentaine à avoir répondu présent : une bonne moitié d’habitants, commerçants et propriétaires, ainsi que quelques associations de quartier et des représentants de différents services de la commune (environnement, travaux publics, rénovation urbaine…). Patrick anime l’atelier. D’emblée, il pose le contexte : « L’idée est qu’ensemble, on est plus fort que tout seul. On ne va pas prendre des décisions lors de ces ateliers, mais discuter. Ensuite, on verra si ce qui se dégage des débats est réalisable au sein de la commune. On est ici pour établir des cahiers de recommandation concernant les investissements nécessaires pour le quartier. »
La mise en débat des aménagements de la rue Haberman peut commencer. Quels principes de mobilité ? Quelles options concernant les pistes cyclables ? Elargissement du trottoir ? Implantation d’arbres ? « Et des barrières autour des arbres pour les protéger ? » lance un habitant dans un français approximatif. « Ca coûte cher et elles vont être directement volées. On a eu le coup dans un autre quartier », rétorque un membre du personnel communal. L’éclairage pour plus de sécurité, des bancs pour plus de convivialité… Quelques nouvelles idées rebondissent d’un coin à l’autre de cet espace de dialogue. Tout est scrupuleusement noté. Patrick recadre de débat et propose de passer à la question des revêtements de sol. Un représentant du service travaux publics décrit et montre le panel de matériaux disponibles. Ceux qui le souhaitent donnent leur avis. Tout au long de la séance, l’équipe de Periferia illustre les propos par des cartes, photos et dessins, pose des questions, s’assure que les informations dispensées soient bien comprises, veille à ce que la parole soit donnée à tous…
A terme, les propositions nées des différents ateliers devraient faire évoluer les choix politiques envisagés par le Collège des bourgmestre et échevins dans le cadre du Contrat de quartier. Il s’agit donc de s’assurer que les investissements prévus par la commune correspondent bien aux priorités des habitants.
Céline Teret
Article publié dans le dossier « Participation, résistance : on fait tous de la politique » de Symbioses (n°82 – printemps 2009), magazine d’éducation à l’environnement du Réseau IDée
Periferia aisbl: 02 544 07 93 – www.periferia.be et www.capacitation-citoyenne.org