Sans attendre des réorientations politiques et économiques qui tardent à s’opérer, des citoyens ont décidé de prendre leur avenir en main et d’œuvrer, au niveau local, à la construction de la société de « l’après-pétrole ».
Tout a commencé en 2006, à Totnes, ville de 7 700 âmes située dans le Devon, à l’extrême sud-ouest de l’Angleterre. Quelques habitants se sont regroupés autour de Rob Hopkins pour mettre en œuvre le concept de « transition town » (« ville en transition ») développé par cet enseignant en permaculture (1).
Pour Hopkins, il appartient à chaque communauté, à chaque entité locale, de construire la résilience (2) qui lui permettra d’encaisser les bouleversements sociétaux générés par le pic pétrolier (3) et la crise climatique. Il s’agit de préparer dès aujourd’hui un futur moins gourmand en énergie en élaborant des systèmes de production, de consommation et de vie en commun conciliables avec les contraintes écologiques, économiques et sociales qui s’annoncent.
La ville en transition s’articule autour d’une vision alternative positive qui sert de fil rouge à l’élaboration d’un Plan d’action de descente énergétique (Pade). La mise en œuvre de ce plan répond à trois mots d’ordre : autonomie (alimentaire, énergétique), relocalisation (de la production, des emplois) et solidarité. Ses promoteurs savent que c’est une démarche de longue haleine ; les objectifs portent sur le long terme, car on ne peut espérer changer en quelques années l’ensemble des paramètres constitutifs d’une société. La notion de transition traduit ce travail sur la durée : on est en marche vers un autre modèle, le changement est en cours mais loin d’être achevé.
Mode d’emploi
A Totnes, comme ailleurs par la suite (152 initiatives ont rejoint à ce jour le réseau officiel Transition network et plusieurs centaines d’autres s’apprêtent à le faire), le processus de transition a respecté une série d’étapes clairement défi nies. Pour commencer, un groupe temporaire de pilotage se crée et jette les fondations de la démarche. Il lui appartient également de lancer un programme de sensibilisation aux deux problématiques imposant l’action : le pic pétrolier et les changements climatiques.
Lorsque la communauté apparaît suffisamment sensibilisée (ce qui prend de six mois à un an) et que des contacts avec des groupes déjà actifs (essentiellement des associations environnementales et sociales) ont été noués, les pilotes organisent une grande fête.
La dynamique et l’énergie libérées lors de cet événement permettent au mouvement de s’agrandir, puis de se structurer autour de groupes de travail axés sur la mobilité, l’énergie, l’enseignement, l’alimentation, le logement… Chacun de ces groupes désigne un représentant, ces délégués formant le nouveau groupe de pilotage en charge de suivre l’évolution du processus.
Arrivé à maturité, le travail sur les thématiques est collectivisé et débouche infine sur la rédaction d’un Plan d’action de descente énergétique qui porte sur le moyen terme (15 à 20 ans), mais prévoit les échéances intermédiaires à respecter pour atteindre l’objectif final. Ce n’est qu’au terme de ce processus d’élaboration que la communauté entre véritablement dans la phase de transition, laquelle sera évolutive en fonction des retours d’application du Pade (difficultés non prévues, changements du contexte politique, économique ou social, etc.).
Un mouvement citoyen
La spécificité des villes en transition réside dans le fait qu’elles émanent de la population et non d’une initiative des autorités communales. Ce qui n’empêche pas que des ponts soient établis entre ces différents acteurs d’une même réalité. En effet, il ne s’agit pas de se substituer à l’action des collectivités locales, des entreprises, des associations existantes ou encore de l’Etat. Le concept a plutôt pour ambition d’assurer un rôle d’inspirateur, de facilitateur ou de coordinateur, et de fournir un « toit » commun à l’action des uns et des autres.
La ville en transition fédère les énergies, elle s’appuie sur les réalisations déjà en cours sur le territoire, encourage et soutient les nouveaux projets. Elle permet à chaque citoyen de s’engager dans le processus, à son niveau, selon ses souhaits et ses possibilités. Peu importent les différences en termes de profils, d’âges et de compétences : le mouvement accorde une grande importance à la relation, à la discussion, à l’enrichissement mutuel. Tant les plus jeunes que les plus anciens sont valorisés : les premiers parce qu’ils construiront la société de demain, les seconds parce qu’ils ont l’expérience d’une vie dans un monde moins dépendant du pétrole.
Passage à l’acte
Pionnière de la démarche, Totnes est logiquement la plus avancée dans le processus et on y trouve un large éventail d’alternatives positives. En voici quelques exemples en vrac.
Une monnaie, la « Totnes pound », a été créée afin d’encourager l’économie et le commerce locaux. L’utilisation de cette devise s’accompagne d’une incitation à réfléchir aux dépenses et à en parler, élément important dans une démarche de sevrage des habitudes de (sur)consommation. Un « garden share scheme », programme de partage des jardins privés, a été mis sur pied. Toute personne possédant un terrain inutilisé est invitée à conclure un contrat avec des planteurs-jardiniers pour qu’ils cultivent cet espace. Objectif : développer la production de fruits et légumes sur le territoire. Côté mobilité, des pousse-pousse indiens ont été adaptés et équipés de moteurs utilisant un carburant produit à partir d’huile de cuisine recyclée localement.
Après avoir essaimé en Grande-Bretagne et en Irlande, le concept de transition town a fait des émules aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande, au Japon et au Chili. Des projets sont en gestation en France et en Italie. En Belgique aussi, les choses commencent à bouger. Du côté néerlandophone, l’association Aardewerk a lancé, à l’automne 2008, les premières séances d’information sur la démarche. En Wallonie, ce sont Les Amis de la Terre qui ont pris la main pour impulser des « Comités de transition » avec une première concrétisation à Ottignies-Louvain-la-Neuve et d’autres initiatives sont attendues à Amay, Floreffe, Nivelles et Saint-Josse.
Anne Thibaut et Pierre Titeux, Fédération Inter-Environnement Wallonie
Article publié dans Imagine demain le monde (n°74 – juillet & août 2009)
(1) La permaculture est un concept complexe que ses fondateurs, Bill Mollison et David Holmgren, présentent comme suit : « Ethique visant à prendre soin de la Terre et des humains, à limiter la consommation et à redistribuer l’excédent. (…) La permaculture est l’agencement et la maintenance de manière consciente d’écosystèmes productifs d’un point de vue agricole et ayant l’endurance, la diversité et la stabilité des écosystèmes naturels. »
(2) La résilience est la capacité d’une communauté (ou d’un individu) à absorber un choc, à résister aux perturbations provoquées par son environnement extérieur.
(3) Voir www.aspo.be
Photo: un jardin partagé à Manaihant, en région liégeoise.
- Le site du réseau anglophone: www.transitiontowns.org
- Le site du réseau francophone: www.villesentransition.net
- En Belgique francophone, Les amis de la Terre Belgique: www.amisdelaterre.be
- En Flandre, Transitie Steden en Dorpen: www.transitie.be
[...] de Totnes http://www.mondequibouge.be/index.p…; , là où tout a commencé en 2005-2006 : favoriser l’économie locale et le commerce local par [...]