Environnement et inégalitésClés pour comprendre

30 mai 2010

S’il paraît logique d’investir dans des équipements collectifs énergétiquement performants, la même logique ne s’applique pas forcément aux individus. Attention aux modèles de comportement en vogue et à leur lot de culpabilisations déplacées. Vaut-il mieux être riche et écolo ou pauvre et irresponsable ?

En 2007, l’équipe du Groland de Canal+ diffuse une vidéo (1) mettant en scène deux personnages : d’un côté un pauvre, chômeur, et absolument « non-conscientisé » aux problèmes du climat ; de l’autre un cadre plus si jeune, conscient quant à lui de « ses responsabilités ». Le ton est directement donné : le pauvre sera accusé de tous les maux environnementaux, allant jusqu’à lui reprocher de manger de la viande, donc du pétrole. Le riche quand à lui, conscient et actif, faisant efforts sur efforts car « faut savoir ce qu’on veut » : panneaux solaires, voiture électrique, exigence d’une cantine bio au sein de « l’entreprise », etc. Ces deux personnages sont accompagnés d’un « compteur de CO2 » qui affiche, tout au long de la vidéo, la consommation respective des personnages. Celle du pauvre ne cesse de grimper, lentement mais sûrement, celle du riche restant paisiblement proche de zéro. Jusqu’au moment où le riche décide se payer un week-end « bien mérité » de golf dans le nord de l’Afrique. À ce moment, la tendance fait plus que s’inverser. Conclusion de la vidéo : « contre l’effet de serre, mieux vaut parfois être pauvre et irresponsable que riche et écolo ».

Au-delà des clichés véhiculés par la vidéo et de son caractère anecdotique, on peut trouver une étude de l’ULB datant de la même année et portant un titre proche de la conclusion de cette vidéo (2). Cette étude portant sur des ménages belges met en avant le fait qu’au-delà du niveau d’éducation et de la sensibilisation (aux primes disponibles, aux gestes à faire, etc.) le principal déterminant de la quantité d’énergie consommée est le revenu du ménage. En bref, en Belgique, plus on est riche, plus on pollue, que l’on soit ou non « sensibilisé ».

Effets désirables et indésirables de la richesse

Le principal mécanisme pointé du doigt par les auteurs de l’étude est ce qu’ils nomment l’effet rebond, que l’on peut décliner selon deux modes. Tout d’abord, un objet consommant moins, nous sommes tentés de l’utiliser plus, annulant l’effet positif que celui-ci pourrait avoir. Mais le deuxième effet est plus pervers : même si on économise de la consommation dans un secteur, l’économie réalisée sera souvent réinvestie ailleurs. En faisant le bilan global sur l’ensemble des consommations des ménages, les plus hauts revenus sont de facto ceux qui émettent le plus de CO2 lié à leur consommation énergétique.

Face à ce constat, plusieurs réactions sont possibles. La piste glissante et immédiate serait de blâmer les riches, voire de s’auto-blâmer en tant que représentant d’une classe moyenne qui aura toujours bien plus pauvre qu’elle. Nous voudrions éviter cette voie et proposer plusieurs analyses rapides.
Tout d’abord, il est frappant de voir à quel point les problématiques environnementales, si elles ne sont pas activement connectées à des problématiques sociales, peuvent tout simplement redoubler, voir aggraver, les inégalités sociales. Devant les problématiques environnementales, nous ne sommes pas tous égaux. Les conséquences sont toujours supportées d’abord par les plus faibles (au niveau mondial c’est bien entendu évident, mais c’est également vrai au sein d’un pays comme la Belgique ou les disparités sont moindres). Face à ce problème, les auteurs de l’étude ne nous invitent pas à tous devenir pauvres (et indiquent que pour bien des choses il est toujours plus avantageux d’être riche), mais bien à abandonner l’idée que la conscientisation est suffisante pour le changement, et à sortir d’une politique d’éducation venant du haut pour adopter de véritables changements structurels.

Ensuite, il est également instructif de voir comment le choix d’échelle qu’on adopte lorsqu’on parle de pollution peut radicalement changer la conclusion que l’on va en tirer. Par exemple, si on se focalise sur les appareils électroménagers, on en viendra rapidement à considérer qu’il est bon de remplacer un appareil peu performant énergétiquement par un appareil plus performant. On pourra ainsi calculer à partir de quand il est plus judicieux pour l’environnement ou économiquement rentable de se débarrasser de son ancien frigo pour en acheter un neuf (3). On pourra dire que cette question ne concerne que ceux qui ont déjà les moyens d’investir dans des appareils neufs, pour qui l’économie à long terme est un facteur suffisant pour les pousser à agir. Mais en changeant d’échelle et en se concentrant sur les ménages, on peut observer que la consommation globale d’un ménage peut très bien ne pas changer ! De même, un petit frigo énergétiquement peu performant peu très bien consommer globalement moins qu’un grand frigo américain classé A+.

Ne pas chercher des coupables, mais trouver des lieux d’apprentissage

Enfin, dans la vidéo de Groland, l’humour induit par le ton du discours du commentateur est tout aussi important que le comique induit par la conclusion. Le discours culpabilisant, désignant le pauvre, le chômeur, fainéant et sale, responsable de toute la pollution du monde, redouble ainsi le discours déjà culpabilisant qui leur est renvoyé avant même l’introduction de la question environnementale. Autant l’étude que cette vidéo ont l’intelligence de positionner le débat un peu autrement. Non pas pour retourner la situation et culpabiliser le riche, ni pour empêcher toute action. Mais plutôt pour se demander de qui on peut le plus apprendre.

En effet, ceux dont nous pourrions sans doute tirer le plus de sagesses aujourd’hui sont ceux qui vivent autrement, en consommant moins. Qu’on soit chômeur ou décroissant, par choix ou non, cela n’importe pas. Le point qui importe ici est l’invention de manières de vivre qui ne sont pas que des palliatifs techniques à des problèmes techniques. Ainsi, à travers les expériences de collectivisation des biens et d’échanges de services par exemple (aujourd’hui encore interdites aux chômeurs). En collectivisant un bien, on économise sur l’énergie incluse dans sa fabrication, son transport, etc. (énergie grise). Acheter une foreuse à plusieurs, même si celle-ci n’est pas la plus performante, sera sans doute globalement moins polluant que d’en acheter plusieurs écologiquement performantes.

Pour éviter l’effet rebond induit par les économies d’échelles, que faire ? Des tas de propositions existent, de l’allocation universelle à l’intégration des coûts environnementaux en passant par les quotas de CO2 pour les particuliers. Il est nécessaire de faire dépendre mutuellement les solutions techniques, sociales (4) et même mentales, comme le suggérait Guattari (5). Un premier pas pourrait être de stopper la chasse aux chômeurs, et de se mettre plutôt en situation d’apprentissage par rapport à ceux qui aujourd’hui pourraient nous apprendre comment mettre en place d’autres modes de vie.


Nicolas Prignot

Article publié dans Bruxelles en mouvements (n°233, 10 mars 2010), le périodique d’Inter-Environnement Bruxelles (IEB)

(1) Illégalement visible sur le net : http://www.dailymotion.com/video/x5lp0j_ecolo-bobo_fun
(2) G. Wallenborn et J. Doozi, Du point de vue environnemental, ne vaut-il pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscientisé ?, in Cornut et.al, Ed. Environnement et inégalités sociales, Editions de l’Université de Bruxelles, 2007.
(3) Question très importante notamment pour l’industrie des « gros blancs » (frigo, machine à laver, congélateur, etc) qui pousse les pays européens à encourager l’achat de nouveaux produits.
(4) Les auteurs de l’étude invitent à changer les agencements concrets créateurs de subjectivité et de comportement plutôt que de penser que la seule éducation suffira, en ouvrant ce débat à un processus démocratique.
(5) Guattari F, Les trois écologies, Galilée, 1992.

En savoir plus :

Lisez également le dossier « Précarité: une question d’environnement ? » dans Symbioses (n°80 – automne 2008)

2 commentaires sur “Environnement et inégalités”

  1. [...] et social(n°106) et Précarité (n°80), ainsi que sur Mondequibouge.be les articles suivants : – Environnement et inégalités – Environnement et social, intimement liés – L’environnement, une préoccupation de pauvres? [...]

  2. oleazer dit :

    Désormais il est possible de louer une foreuse ou n’importe quel type d’objets entre particuliers sur oleaz.com (site belge). Une bonne solution pour limiter l’empreinte carbone et amortir au maximum ses objets..