Aménagement du territoire aujourd’hui, quels constats ?
Comme tout acte politique, l’aménagement du territoire, doit être réfléchi dans un contexte planétaire général, avec la vision la plus holistique possible. La durabilité de tout ce qu’on va projeter est pour moi une nécessité absolue. Or, ce que nous réalisons pour le moment s’éloigne fortement de cette durabilité.
La société actuelle s’organise dans un esprit de mondialisation où les interactions entre les différents partenaires se font à des échelles de plus en plus grandes. Nos constructions, nos architectures ont été standardisées pour en faire quelque chose d’identique partout sur la planète. On a balayé tout ce qui est lié à un sol, à un climat, à une culture… pour en faire des produits de consommation coupés de toute émotion, de toute sensibilité. On ne s’ouvre plus à ce qui fait la richesse d’un lieu, on y va pour retrouver nos standards réduits à l’uniformité d’un goût.
De plus, notre société est de moins en moins autonome. Depuis 200 ans, le mouvement est celui de l’abandon de la campagne pour la ville. Alors qu’il y a encore 50 ans, tout continuait à fonctionner via les productions locales, aujourd’hui, notre autonomie énergétique et alimentaire est d’à peine 3 ou 4 jours. Dans un avenir plus ou moins proche ou lointain, on sera contraints, heureusement, de relocaliser, de retrouver ces fonctionnements axés sur ce que le terroir produit, sur les valeurs culturelles et la spécificité d’une région.
La planification de l’aménagement du territoire doit inclure toutes ces questions. Il faut réfléchir à un système de production et de consommation local. Pour moi, l’exemple actuel le plus remarquable, ce sont les « transition towns », ces villes en transition qui cherchent à retrouver des formes de solidarité et d’autonomie au sein de collectivités. Or, pour l’instant, on va dans le sens tout à fait contraire en supprimant les bureaux de poste dans les villages, en regroupant les écoles, etc. Pour les raisons d’une économie, on assèche, on appauvrit, on simplifie…
Ville et campagne de demain, quelles prospectives, quels souhaits ?
Dans les perspectives futuristes très lointaines que j’ai imaginées, la ville va arrêter de s’accroître parce qu’elle aura atteint des tailles de plus en plus difficilement supportables. Il y aura un retour en campagne, car ce sera plus agréable et plus facile d’y vivre. On sortira d’une société de consommation pour aller vers des sociétés où on travaillera moins, où on sera plus créatifs, où on aura du temps pour se nourrir soi-même, pour retrouver des valeurs essentielles. Grâce aux outils technologiques actuels, le contact direct permanent n’est plus indispensable. Le travail décentralisé pourra donc se propager. On conservera, bien entendu, des contacts humains directs, nécessaires et indispensables pour la qualité de la vie.
Ce que j’évoque là, c’est une autre vision, une autre réalité. C’est dans un monde d’après crise, où le système financier se sera effondré. Car le système financier dérape complètement aujourd’hui. Les riches sont de plus en plus riches, les pauvres de plus en plus pauvres. Ce que gagnent certaines personnes, c’est complètement ahurissant ! On a jamais atteint de tels sommets. Même pour des choses aussi populaires que la loterie, les prix se chiffrent en centaines de millions… Que peut-on faire avec cent million d’euros ? Un système qui s’emballe de cette façon-là va à son autodestruction.
Le discours actuel en termes de politiques d’aménagement du territoire est pourtant celui de la recentralisation vers les villes, notamment pour des questions environnementales…
C’est pas parce que qu’on construit dans une zone rurale qu’il faut construire une maisons 4 façades, on peut construire des maisons mitoyennes ou en tout cas regroupées. De plus, une maison 4 façades peut être une maison passive, qui a un bilan carbone de zéro. Ce mouvement actuel de tout regrouper dans la ville tient aussi de cette idée qu’il faut habiter près de son lieu de travail et près de l’école, pour des problèmes énergétiques évidents. C’est pour ça que je réfléchis et propose des solutions avec des regroupements dans des endroits un peu plus campagnards où le travail serait effectué à l’endroit où on habite. C’est pour ça aussi qu’il faut prévoir un réseau de transports en commun suffisamment dense et complet permettant tant aux citadins qu’aux campagnards de se déplacer sans avoir recours systématiquement à la voiture individuelle.
Pourtant l’essentiel de votre travail est porté sur la ville…
Oui, parce que c’est là que le décalage est le plus flagrant, c’est là que le problème est le plus important et c’est là que le plus de gens vivent. Donc, c’est d’abord dans les villes qu’il faut chercher des solutions. Et c’est en ville, plus encore qu’à la campagne, que l’homme doit rétablir un lien avec la nature. C’est pour cette raison que je propose des cités inspirées de l’environnement naturel, dans une perspective positive d’un avenir durable.
Cette nécessité de relier l’homme à la nature est omniprésente dans votre travail.
L’homme a toujours été relié à la nature. Il s’est toujours considéré comme faisant partie d’un grand tout. Depuis 200 ans, on a progressivement et de plus en plus eu la prétention de croire que nous pouvions nous détacher de cela, comme si on passait à un ordre supérieur. Il ne faut pas oublier que l’industrie a avant tout été conçue comme un outil de guerre. On a commencé à fabriquer des usines quand il fallait fabriquer des armements, on a commencé à fabriquer la machine à coudre quand il fallait faire des uniformes pour les militaires. Tout est lié à cette volonté de prétendre au pouvoir et de marquer sa supériorité par rapport à son voisin. Sortir de ce cycle infernal, c’est proposer de retrouver des rapports qui sont égalitaires. L’homme est d’abord un être biologique, de la matière vivante. Pourtant, il ne s’entoure que de mécanismes, de choses mortes et de productions tellement inférieures à ce que peut produire un environnement naturel. La biologie est quelque chose qui sert à tout le monde et qui remet tout le monde au niveau des besoins essentiels. On a tous besoin de boire, de manger, de respirer… Nous sommes dans un énorme dérapage et il est vraiment temps de se créer des voies de sortie, on peut trouver des alternatives.
Mobilisation pour les berges de la Vesdre
Depuis près de quatre ans, Verviers et sa rivière, la Vesdre, sont menacées par l’implantation d’un centre commercial. Un projet immobilier, économiquement alléchant pour le promoteur multinational et les autorités communales, qui risque de compromettre l’avenir de la cité et pose question quant à ses répercussions sociales et environnementales. Des citoyens verviétois se mobilisent (interpellations des responsables politiques, pétition, conférence, concerts, expos…) pour lutter contre ce projet démesuré. Ils ont fait appel à Luc Schuiten (projet ci-dessous, réalisé par l’atelier d’Architecture Schuiten) afin d’imaginer les berges de la Vesdre, telles que souhaitées par les Verviétois.
Plus d’infos : Vesdre Avenir asbl – www.vesdre-avenir.be
Quelle place à l’équité sociale ?
La ville avec son regroupement de plus en plus important engendre une délinquance, une violence, une agressivité, parce que les injustices sociales sont plus criantes et les laissés-pour-compte sont de plus en plus nombreux. Dès le moment où les communautés sont plus petites et situées en dehors des grosses agglomérations, l’intégration est plus facile et la structure sociale est plus à même de prendre en charge autrement une certaine marginalité.
En fait, vous êtes un militant… Est-ce que vous avez l’impression d’être entendu par les politiques ?
Oui, je suis un militant. Ce n’est pas vraiment mon problème d’être entendu ou pas entendu. Je dis ce que j’ai envie de dire, ce que j’ai besoin de dire, ce qui me semble nécessaire. J’essaie simplement de retrouver les valeurs qui me manquent le plus et de décrire le monde dans lequel j’aimerais bien vivre. Une image amusante : ma prochaine exposition se terminera avec ceci « Je suis une horloge arrêtée. Une horloge arrêtée marque l’heure juste deux fois par jour. » J’ai marqué l’heure juste, donc en phase avec mon temps, il y a plus d’une trentaine d’années, avec la maison Oréjona. J’ai montré qu’il était possible, au moment de la crise du pétrole, de vivre de manière autonome avec une maison située en pleine campagne, autosuffisante en énergie par l’emploi du soleil et du vent. A l’époque, il y a eu un effet de médiatisation, cette maison a fait le tour du monde. Puis, tout est retombé dans l’oubli. Moi, j’ai continué à travailler sur le principe d’utiliser le vivant comme matériau de construction. 30 ans après, avec le réchauffement climatique, la question se pose à nouveau. Le temps est repassé, je suis de nouveau par hasard à la bonne heure ! Aujourd’hui, je fais des projections dans 50 ans, dans 100 ans, de manière à pouvoir être de nouveau en phase – même si je ne serai plus de ce monde ! – lorsqu’un tour d’horloge aura à nouveau été effectué.
Propos recueillis par Céline Teret
Interview réalisée dans le cadre du dossier « Aménagement du territoire ou territoires à ménager ? », de Symbioses (n°86 – printemps 2010), magazine d’éducation à l’environnement du Réseau IDée
Découvrez les travaux Luc Schuiten sur www.archiborescence.net et www.citevegetale.net
Je suis Verviétois, et heureux d’avoir rencontré Luc S.dans notre combat d’hommes. Face à nos représentant politiques, il est la seul « pointure » à s’être montré sur le terain. La dignité d’un grand face à l’insignifiance méprisante de la majorité et l’ignorance naïve de l’opposition. On pourrait résumer cela par « on ne jette pas des perles au cochons ».
Cela fait 5 ans que nous sommes dans cette lutte citoyenne stérile.
Merci à Luc de nous avoir soutenu. Qu’il sache que nous n’avons pas baisser les bras.