La rafle de Saint-Gilles
Un matin de juin 2003 au réveil, d’un coup, les Saint-Gillois ont brusquement compté plusieurs dizaines de personnes en moins sur le territoire de leur commune. A l’aube, des familles entières équatoriennes avaient été raflées par la police dans plusieurs immeubles. Très vite, des voisins ont affirmé leur désir de ne pas vivre dans une ville où, pendant leur sommeil, de telles sinistres opérations se déroulent en silence. S’inspirant des Assemblées Populaires d’Argentine tentant de pallier les conséquences de la faillite de l’Etat, sont nées à Saint-Gilles des Assemblées réunissant les proches des victimes de la rafle et leurs voisins. Entre autres choses, nous, les voisins de ces familles, avons pu gérer la récupération des biens restés dans les immeubles, une nécessaire prise de parole après un événement traumatisant ou encore les contacts avec les personnes enfermées par l’Etat. Très importante, une manifestation a été organisée sur les lieux de vie de ces personnes, affirmant plus encore leur statut d’habitants à part entière de leur commune.
Les assemblées de voisins
Le mois suivant, comme souhaité dès le départ par les initiateurs des Assemblées de Saint-Gilles, l’expérience fit tache d’huile dans une commune voisine, afin de venir cette fois en aide aux centaines de sans-papiers afghans occupant l’église de la place Sainte-Croix, dans le quartier Flagey à Ixelles. Ceux-ci luttaient pour une régularisation de leur situation, en pleine guerre menée par les occidentaux dans leur pays, et ils ont volontiers collaboré avec les voisins pour la logistique ou pour les négociations avec les autorités.
Durant tout l’été, ces deux communes bruxelloises ont donc connu une ‘Assemblée de voisins’ hebdomadaire, visant à suivre l’évolution de la situation de personnes réclamant simplement un droit à l’existence et le respect de leurs plus élémentaires droits humains. Par ce type de processus, il s’agissait surtout de sortir des cadres habituels de réunions et d’affirmer dans l’espace public la conception d’un monde plus juste. Durant les années suivantes, des dizaines d’endroits publics ont été occupés par des sans-papiers et partout des voisins se sont mobilisés pour entourer et assister les actions et processus politiques en cours.
Les résultats de la solidarité
L’Histoire gardant difficilement les traces de mouvements ponctuels d’opposition aux politiques publiques, les nécessaires liens ne subsistent pas toujours entre les différentes générations d’initiatives de ce type. Rappelons que de tous temps les Bruxellois se sont engagés aux côtés d’étrangers en lutte. En 1974 par exemple, la première opération de régularisation de 1974 intervenait en conséquence directe d’une action de grève de la faim de travailleurs immigrés dans l’église Saints Jean et Nicolas à Schaerbeek. A l’époque, habitants de la commune et membres du Comité de Quartier Nord ont apporté des aides logistique et politique au Mouvement des Travailleurs Arabes à l’origine de l’action.
Plus discrète est l’histoire de la plupart des comités se mobilisant autour d’une famille, subitement menacée d’expulsion du territoire. Dans ces cas, assez logiquement, les voisins se demandent où sont passés les gens qu’ils côtoyaient quotidiennement, où est passé l’enfant qui étudiait encore la veille dans la même classe que leur fils ou leur fille,… Ces comités ponctuels, nés autour d’une association de parents d’élèves, ou simplement d’un voisin conscient de la possibilité de faire porter sa voix, obtiennent régulièrement gain de cause. Par une simple mise en lumière des politiques publiques, ils obtiennent la libération d’êtres humains subitement enfermés sans jugement par les autorités de notre pays.
Ces initiatives ne représentent rien d’exceptionnel, il s’agit simplement de la plus élémentaire vie en société. Bien entendu, les actions comme celle des Assemblées de voisins n’auront peut-être jamais l’ampleur ni la force de la répression que l’Etat inflige aux étrangers, mais nous avons du pouvoir. Et si c’est une faible force comparée à celle des politiques accablant les étrangers, c’est surtout une force nettement plus belle et respectable.
Gérald Hanotiaux, membre de l’Assemblée des voisins de Saint-Gilles
Article publié dans Bruxelles en mouvements (n°234, 29 mars 2010), le périodique d’Inter-Environnement Bruxelles (IEB)
Photo: Gino Dicandio