A plus de 45 ans, Martine se retrouve sans ressources suite à son divorce. Sans qualification, elle n’a plus travaillé depuis la naissance de ses enfants. « J’avais vraiment besoin de trouver un emploi. Dans ma tête, le CPAS, c’était une forme d’assistance », explique-t-elle. Lors d’un séjour au refuge du Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE), à Liège, elle entend parler d’une formation en informatique proposée par SOFFT, un organisme d’insertion socio-professionnelle (OISP) créé par le Collectif pour orienter les femmes à la recherche d’une formation et d’un travail. Martine se lance et, durant cinq mois, s’initie au b.a.-ba de l’informatique. En même temps, elle bénéficie d’un accompagnement qui lui permet de surmonter certains obstacles personnels et de retrouver confiance en elle. L’année suivante, après des formations complémentaires en bureautique, elle trouve un emploi de secrétaire à temps plein au CPAS où elle s’épanouit depuis cinq ans.
Jean-Claude, lui, perd pied à la mort de sa femme. Après avoir travaillé 20 ans comme chauffeur-livreur pour un proche, il se retrouve au chômage. Il fait quelques intérims, puis, découragé par les conséquences de ce statut sur le montant de ses impôts, il abandonne. « Je n’arrivais plus à mettre un pied devant l’autre, j’étais là à me morfondre, et pourtant, il fallait que je réagisse pour mon fils, que je retrouve du travail », témoigne-t-il. Une rencontre avec un travailleur du Trusquin, une entreprise de formation par le travail (EFT) située dans la région de Marche, va lui permettre de rebondir. Il commence une formation en maintenance environnementale et, durant 12 mois, s’initie au lagunage et à la lutte contre les plantes invasives. Jean-Claude s’accroche, reprend confiance et, attiré par le secteur du bâtiment, enchaîne avec une formation en écoconstruction, toujours proposée par Le Trusquin. « Ces formations, cela a été pour moi une vraie nouvelle chance. Au lieu de courir de boulot en boulot, je me dirige maintenant vers un métier où je vais pouvoir évoluer et continuer à apprendre. Je vois la vie autrement, je me suis ouvert. A 45 ans, je prends un nouveau départ. »
Apprendre par l’expérience
Permettre à des personnes fragilisées par un manque de qualification, une longue période de chômage, un licenciement, des problèmes familiaux ou de santé, de rebondir aux niveaux personnel et professionnel sans pour autant retourner sur les bancs de l’école : c’est la mission poursuivie depuis plus de 30 ans par les organismes d’insertion socio-professionnelle et les entreprises de formation par le travail. Ces structures associatives, issues du courant communautaire et autogestionnaire, ont commencé à émerger dans le contexte de crise de l’emploi qui a suivi le premier choc pétrolier de 1974. « A l’époque, notre idée était de permettre à des personnes en situation de pauvreté, ayant bien souvent un lourd passé, d’acquérir des compétences par l’expérience du travail. L’apprentissage devait se faire par le vécu, la mise en situation réelle », explique Eric Mikolajczak, un pionnier du secteur, aujourd’hui secrétaire général de l’Interfédération des EFT et OISP de Wallonie.
Au départ, les premières entreprises de formation par le travail concernaient la récolte et le recyclage de vieux papiers, d’encombrants, puis elles se sont étendues à des domaines aussi diversifiés que la boulangerie, la menuiserie ou le bâtiment. L’apprentissage y est très concret puisqu’une EFT fonctionne comme une entreprise classique, et doit gérer les relations avec les clients, générer un chiffre d’affaires, respecter des délais. Une différence importante cependant : les travailleurs sont des demandeurs d’emploi en formation. Quelques années plus tard, s’appuyant sur la même philosophie et s’adressant au même public, d’autres structures émergent : les organismes d’insertion socio-professionnelle qui, contrairement aux EFT, ne commercialisent pas de biens ni de services. Ici, on apprend en petits groupes à faire le point sur sa situation personnelle et professionnelle, et à s’orienter vers un emploi adapté. Bien souvent, le passage en OISP est une première étape vers une formation qualifiante, où l’on acquerra des compétences spécifiques à un métier. Même si certaines structures proposent déjà une orientation vers des secteurs tels que le transport, la santé ou l’informatique.
Mieux qu’un psychologue
Mais le cœur de l’édifice de formation de ces organismes, c’est l’estime de soi. Les personnes qui frappent à la porte des EFT et OISP ont en effet très souvent un vécu difficile, côtoient quotidiennement la précarité et, pour la plupart, n’ont pas fini leurs études secondaires. Retrouver confiance en soi est ainsi une étape incontournable pour pouvoir prendre un nouveau départ. « Ces formations permettent à celui qui est au chômage ou qui a eu un coup dur de se relever, de se reconstruire et de recommencer à marcher dans la vie, raconte Jean-Claude. C’est mieux qu’un psychologue ou qu’un médecin ! ». De tels organismes proposent systématiquement un accompagnement individuel qui permet de résoudre certains problèmes psychologiques et sociaux. « Nous essayons de comprendre chaque personne, de partir de son potentiel et de le faire évoluer. Notre approche est individuelle et tient compte du vécu de chacun. Il ne peut pas être question d’appliquer un même programme pour tout le monde », explique Patrick Truccolo, directeur du Trusquin. Dans ces formations, on évite donc de répéter la situation classique « prof-élèves », d’autant que l’école est souvent synonyme d’échecs à répétition. Les méthodes pédagogiques sont originales, participatives, alternant jeux de rôles, débats, mises en situation. On y aborde aussi des questions citoyennes, comme chez SOFFT, qui, dans sa formation informatique, traite des stéréotypes liés au sexe dans un secteur professionnel traditionnellement dominé par les hommes.
Un terreau d’innovation
« Une EFT, c’est un laboratoire, constate Patrick Truccolo. Nous devons constamment nous adapter, pas seulement au public, mais aussi aux réalités économiques puisque, dans notre cas, nous devons être rentables. » Au Trusquin, qui génère un chiffre d’affaires annuel de 600 000 euros, les formations dans le bâtiment ont ainsi progressivement évolué vers l’écoconstruction. Ce choix a permis à l’entreprise de se démarquer et d’acquérir un savoir-faire que ne possèdent pas la plupart des entreprises de construction de la région. « Nous nous sommes spécialisés dans l’isolation bioclimatique grâce à des formations que nous avons suivies en Allemagne et en Autriche par le biais du Cluster écoconstruction. Nous participons à des chantiers de construction où nous utilisons des matériaux d’isolation naturelle tels que la laine de mouton. »
Mais le directeur regrette que cette expertise ne puisse davantage être valorisée, tant vers des entreprises privées demandeuses de formations dans ce domaine, que du côté des stagiaires dont on ne reconnaît pas réellement les compétences acquises. « On nous cantonne dans un rôle de préqualification, dans un parcours d’insertion linéaire qui conduit les demandeurs d’emploi vers la formation qualifiante puis vers l’emploi, alors que sur le terrain les choses sont beaucoup plus complexes. Je pense qu’il serait intéressant de décloisonner notre position. » Comme d’autres opérateurs, il pointe du doigt l’effet paradoxal d’un décret de la Région wallonne entré en vigueur en 2008. S’il a permis au secteur de se professionnaliser et de bénéficier de subventions structurelles, il semble qu’il ait tendance, en même temps, à figer ces organismes dans une position qui freine leur autonomie et leur capacité d’innovation.
Maintenir une justice sociale
L’année dernière, plus de 16 000 personnes ont effectué une formation dans une des 167 structures d’insertion socio-professionnelle (EFT et OISP) qui existent un partout en Wallonie. Avec 30 % de taux d’insertion (remise au travail et reprise d’une formation qualifiante confondues), ces dernières ne prétendent cependant pas offrir un remède miracle à la crise de l’emploi. « La crise ne résulte pas de la seule responsabilité individuelle des demandeurs d’emploi, mais aussi de problèmes structurels », rappelle Pascale Hensgens, responsable de projets chez SOFFT. « Il n’y a pas de travail pour tout le monde et tant que l’on n’abandonnera pas cette illusion d’une société de plein emploi, on sera toujours à côté de la plaque. » Cette crise, d’ailleurs, rend le travail de ces organismes de plus en plus complexe. La paupérisation galopante et les tensions grandissantes qui pèsent sur les demandeurs d’emploi, notamment à travers le Plan d’activation des chômeurs mis en place par le fédéral en 2004, se font durement ressentir. « Assurément, pour certaines personnes, ce plan a pu donner une impulsion positive, explique Myriam Fatzaun, directrice de SOFFT. Mais pour un public fragilisé, c’est totalement contre-productif. Avant notre porte s’ouvrait à des personnes qui venaient avec une vraie demande, une motivation. Maintenant, les personnes arrivent ici sous pression, elles cumulent les difficultés, font face à des démarches administratives de plus en plus complexes, et leur colère se déverse sur les opérateurs qui, comme nous, sont en première ligne. »
Dans cette situation, le secteur demande aux pouvoirs publics de reconnaître et de soutenir davantage leur mission d’accompagnement social. Hélas, ici comme ailleurs, l’heure est à la réduction des dépenses. « Soutenir le secteur des EFT et des OISP, dans le contexte actuel, c’est avant tout montrer sa volonté de maintenir une certaine justice sociale, de donner une chance aux plus fragilisés d’accéder à une formation qui leur permettra de rester en mouvement et de ne pas tomber dans la spirale de l’isolement, conclut Pascale Hensgens. En d’autres mots, s’interroger sur l’utilité de ce secteur, c’est se poser la question de la société que nous souhaitons construire pour demain. »
Amélie Mouton
Article publié dans Imagine demain le monde (n°79 – mai & juin 2010)
Photo: l’Entreprise de formation par le travail (EFT) Le trusquin s’est spécialisée dans la lutte contre les plantes invasives, telles que la berce du Caucase et la Balsamine de l’Himalaya, qui envahissent de plus en plus les campagnes wallonnes.
Interfédération des Organismes de Formation et d’Insertion Wallonie – Bruxelles : www.interfede.be
Bonjour,
Vous pouvez trouver la liste de tous les centres agréés et des formations proposées dans chacun d’eux en suivant ce lien : http://www.interfede.be/index.php?option=com_content&task=view&id=74&Itemid=124
bonjour
je souhaite vraiment m inscrire comment s y prendre…
merci de me donner des informations.