Cinéaste, Coline Serreau a connu un gigantesque succès avec Trois hommes pour un couffin. Elle a aussi réalisé Romuald et Juliette, La crise ou Saint-Jacques… La Mecque, qui tous, par le biais souvent de la comédie, traitent de sujets de société. Elle passe cette fois par le documentaire pour nous parler de notre terre, de ce que nous lui faisons subir, de ce que nous mettons dans nos assiettes. Solutions locales pour un désordre global, en une série d’entretiens avec des gens passionnants (comme la physicienne et féministe indienne Vandana Shiva, l’agriculteur et penseur Pierre Rabhi, les spécialistes en microbiologie du sol Lydia et Claude Bourguignon, João Pedro Stedile, du Mouvement des sans-terre et bien d’autres), ponctués de reportages auprès d’agriculteurs indiens, roumains ou brésiliens, dresse le portrait de notre agriculture mondialisée et intensive, une agriculture qui est en train de détruire notre terre nourricière. Mais Coline Serreau ne s’en tient pas à un constat catastrophique : elle rassemble au contraire dans son film des expériences alternatives qui fonctionnent, des personnes en lutte pour une agriculture paysanne, une agriculture bénéfique pour tous : l’environnement, la biodiversité, les agriculteurs et les mangeurs !
Votre intérêt pour l’écologie n’est pas nouveau – votre film La belle verte, en 1996, en témoigne. Quel est votre parcours dans ce domaine ?
C’est tout un courant de pensée dans lequel j’ai baigné. Je peux rendre hommage à mes parents, qui étaient des résistants, se sont battus pour de grands auteurs après la guerre, ont été très inquiétés durant la guerre d’Algérie… Je suis juchée sur des épaules de géants. J’ai aussi été élevée dans un milieu de femmes protestantes, qui dirigeaient une école complètement révolutionnaire dans son approche du monde, dans ses méthodes, qui ne pratiquaient que l’homéopathie, qui étaient naturistes, steineriennes (1). J’aurais pu renier tout cela à l’adolescence, et me dire que je n’appartenais pas à ce monde-là, mais si, je lui appartenais !
Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de réaliser ce documentaire ?
C’est un film qui ne s’est pas décidé au préalable. Après Saint Jacques… La Mecque, j’ai joué Arnolphe (2) sur scène pendant un an, et je suis sortie de là relativement « rincée ». J’ai décidé alors de prendre une année sabbatique, et j’ai commencé à filmer, avec ma petite caméra HD, des gens que j’aimais, dont j’aimais la parole et dont je trouvais qu’on ne les entendait pas assez. Puis peu à peu le projet a grandi, et en collaboration avec Cyril Dion, le directeur de Colibris (3), on a décidé d’en faire un film international. Ça s’est construit de façon tout à fait organique. J’ai filmé tout de suite toutes mes rencontres – il y a beaucoup d’intervenants qui ne se retrouvent pas dans le film, mais je les ai alors placés dans le livre, qui est plus complet (4) –, puis j’ai taillé au montage.
Comment avez-vous effectué vos choix ?
C’est évidemment un acte politique que de parler de ceci plutôt que de cela. Ce film est nourri par une réflexion sur notre place dans le cosmos, notre rapport aux plantes, à la matière, à l’existence. C’est un film que j’ai voulu pérenne. Et j’ai choisi de parler de la terre parce que c’est le début de tout, c’est la naissance. Au fil du tournage, il est apparu que c’était ça le sujet (même si le livre en aborde d’autres, comme le microcrédit, la théorisation du féminisme, etc.) : l’histoire de la confiscation systématique de la terre et des semences, l’histoire d’une spoliation générale au profit de la pétrochimie.
Voyez-vous votre film comme un outil pour convaincre les spectateurs qu’il est temps de changer, de développer une autre agriculture ? Comment Solutions locales… est-il reçu ?
Mon film n’est pas un outil pour faire « prendre conscience ». Je ne veux surtout pas donner de leçon ! Les gens sont déjà dans la mouise, dans les problèmes de fric, de ceci, de cela, ce n’est pas moi qui vais leur faire la morale. Moi je montre, avec, j’espère, humilité, ce qui se passe. Les gens changent parce qu’ils ont du plaisir à faire autrement. Ce qui mène le monde c’est le désir et le plaisir, et si les gens trouvent du plaisir à manger de bonnes choses, s’ils trouvent la sensualité de l’écologie, ils changeront. C’est l’envie qu’il faut donner, pas des leçons !
Le film provoque des discussions intéressantes, et puis il permet de se compter : dans les salles d’abord, mais aussi en constatant que, de l’Inde au Brésil en passant par ici, des chercheurs, des paysans et d’autres pensent la même chose, se posent les mêmes questions. C’est encourageant. L’isolement est quelque chose de très dur à vivre, il est important de le briser. Il y avait également urgence à dire que nous allons nous en sortir, que tout n’est pas fichu. La dépression des peuples, ça sert les puissants ! Nous ne pouvons pas être pessimistes, il nous faut remplir notre temps sur terre avec des choses de vie !
Propos recueillis par Laure de Hesselle
Article publié dans Imagine demain le monde (n°81 – septembre & octobre 2010)
(1) Philosophe, Rudolf Steiner est le fondateur de l’anthroposophie, visant à « restaurer le lien entre l’Homme et les mondes spirituels ». Ses adeptes le considèrent comme un guide spirituel. La doctrine de Rudolf Steiner est à l’origine de projets aussi divers qu’une méthode pédagogique, l’agriculture biodynamique… ou les produits pharmaceutiques et cosmétiques Weleda.
(2) Dans L’école des femmes de Molière.
(3) Mouvement pour la Terre et l’humanisme, lancé par Pierre Rabhi, www.colibris-lemouvement.org.
(4) Solutions locales pour un désordre global, Actes Sud, 2010.