Vous dites avoir le bonheur d’emmener dehors enfants, ados ou adultes en difficulté physique ou mentale. D’où vient ce plaisir ?
Je crois que ça m’aide à simplifier les choses et aller à l’essentiel. Quand on est avec un public handicapé – en particulier mental – on voit bien que toutes ces histoires à faire passer, ces savoirs, prennent une grande relativité. On est là pour faire notre travail d’éducateur, d’aider des personnes à avoir un peu plus de bonheur, à s’épanouir, à grandir. Pour moi le plus important dans le travail avec les handicapés est que cela nous aide, nous éducateurs, à préciser nos essentiels.
L’essentiel passe au travers d’une relation où il y a moins de normes sociales, d’écrans, de politiquement ou socialement correct. Le bonheur que je ressens lorsque je travaille avec eux, il est aussi dans la richesse de l’échange, plus explicite, plus visible.
Vous dites que cela vous oblige à aller à l’essentiel, à sortir des « savoirs ». Est-ce que cela veut dire que l’on doit se cantonner à une éducation par la nature, et oublier les questions environnementales plus complexes et les enjeux de société ? On aborde par exemple très peu la question des changements climatiques ou du développement durable avec les publics handicapés, en tout cas mentaux…
Il ne faut pas oublier les enjeux de société, ni les mettre en marge, mais ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel, c’est la personne que l’on a en face de nous et cette notion d’éducation, de l’aider à s’épanouir, à grandir, à aller voir ailleurs. Si telle personne handicapée mentale, à l’évidence, ne peut pas intégrer certaines notions, je ne vais pas l’emmerder avec ça. Ce n’est pas une question de dosage de l’un ou l’autre, c’est une question de priorité. Moi je suis éducateur-nature. Ma priorité, c’est l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Toute personne a droit à l’éducation. (…) L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine… ». Et le fait de travailler avec des publics handicapés le met encore plus en évidence.
Vous donnez une formation « Education à l’environnement et handicaps » à l’attention des acteurs éducatifs. Que leur apprenez-vous ?
L’objectif principal est d’offrir aux stagiaires la possibilité d’oser aller vers ces publics, de manière encadrée. Et de découvrir parfois l’immensité d’incompréhension qu’il nous reste et la simplicité des choses. On débloque les appréhensions. On essaie aussi de donner quelques conseils non négligeables pour ne pas faire de bêtise et y aller en confiance. La formation se fait en partenariat avec un centre qui accueille des adultes handicapés mentaux. C’est dans le rapport très étroit avec ces résidents que les participants cheminent le plus, plus qu’avec l’encadrement théorique que je leur apporte. On partage un bout de vie quotidienne avec les résidents, une soirée conte et une animation nature…
Quels sont vos conseils ?
Le plus important : avoir envie d’y aller ! Ne pas être dans la charité-compassion mal placée mais se dire qu’on a en face de nous des personnes, avec leurs qualités merveilleuses et leurs défauts extrêmement désagréables. S’apercevoir qu’ils sont peut-être handicapés, qu’ils ont des difficultés dans la vie, mais qu’ils n’en sont pas moins gentils ou désagréables, de mauvaise foi, joueurs ou plein d’humour. Des personnes singulières mais ordinaires.
Ensuite, une animation avec des handicapés doit être hyper bien préparée, même si généralement on fera totalement autre chose que ce que l’on avait prévu. Adaptabilité perpétuelle et modestie sont alors des compétences bien utiles.
Troisièmement, on dit souvent « soyez simple ». Mais ce n’est pas évident du tout. Moi je dis « oui vous serez mal à l’aise, mais ne vous inquiétez pas, les personnes handicapées ont l’habitude de voir des gens mal à l’aise en face d’eux, qui ne savent pas comment se contenir, s’il faut sourire ou ne pas sourire, avoir de l’humour ou pas. Vous n’avez pas l’habitude, mais eux ils l’ont ». Au fil du temps, on sera plus à l’aise, on ne s’affolera pas que les uns soient extrêmement distants, au visage fermé, et que les autres nous sautent dans les bras et nous embrassent du haut de leurs 70 kilos.
Enfin : on est là pour foncer et faire des propositions. Donnons-nous toutes les audaces puisque nous sommes généralement accompagnés d’éducateurs spécialisés dont le métier est de dire « non pas ça, oui ça on peut y aller ». Osons, d’autant que ce sont souvent des publics surprotégés. Il y a alors encore plus de bonheur à leur offrir quelque chose qu’ils connaissent finalement peu et que l’institution ou la société leur offre peu : le dehors.
Propos recueillis par Christophe Dubois
Article publié dans « Symbioses » périodique trismestriel du Réseau Idée (n°89, premier trismestre 2011)