« J’achète les politiques, j’influe sur les scientifiques, je manipule le grand public, moi mon métier, c’est lobbyiste ». Ce sont les mots utilisés par le « Collectif Artivist » pour dénoncer l’énorme et constante pression subie par les différentes instances européennes. L’union européenne, au fur et à mesure de sa montée en puissance, a fait objet de convoitises grandissantes. Aujourd’hui, on estime que Bruxelles compte plus de 15 000 représentants d’intérêts ou lobbyistes. Concrètement, 70% d’entre eux défendent des entreprises du secteur privé, 20% incarnent les intérêts des organismes publics (états, villes, régions, …) et seulement 10% représentent la société civile (syndicats, ONG, …).
L’avis du haut fonctionnaire
Pour nuancer et apporter un autre point de vue, un haut fonctionnaire de la Commission nous éclaire et donne sa vision de l’influence du lobbying au niveau européen.
On estime qu’il y a entre 40 000 et 45 000 personnes qui travaillent pour les institutions européennes, ce nombre semble conséquent mais en réalité il n’est pas suffisant. Tout au long du processus décisionnel européen, les eurodéputés ont recours à ce qu’ils appellent des « ressources extérieures ». Formées principalement par des lobbyistes ces « sources » seraient indispensables pour garantir la qualité des décisions prises par les différentes instances des 27. En effet, « les groupes d’experts donnent souvent une réelle valeur ajoutée aux débats, à la discussion. Il ne faut pas forcément y voir une volonté de manipulation. Il est important qu’ils participent aussi au débat. On nous reproche souvent de travailler dans notre tour d’ivoire et grâce au lobbying nous bénéficions de ressources extérieures de qualité. »
Comme expliqué ci-contre, il y a peu de contrôle sur les activités exercées par les représentants d’intérêts au niveau européen. Les lobbyistes peuvent s’inscrire sur un registre s’ils le souhaitent. Pour notre haut fonctionnaire, « il ne faudrait pas entrer dans une gestion du lobbying trop lourde et trop administrative. Les fonctionnaires européens doivent respecter des règles internes de bonne conduite (1) . Ce qui, je pense, régule correctement les choses. De toute manière, il y a des règles implicites concernant les liens que les fonctionnaires et les lobbyistes entretiennent et des sanctions sont prévues en cas d’infraction d’une de ces règles. »
Lorsqu’on l’interroge sur le pourcentage impressionnant de lobbyistes représentant des entreprises dites « privées », notre interlocuteur répond : « La Commission européenne est un organisme d’intérêt public, elle représente donc déjà l’intérêt public.Les réformes proposées sont principalement axées sur l’économie de marché. Il est donc normal que des lobbyistes soient membres d’entreprises privées vu que les réformes visent des intérêts privés ! »
(1) Règles tirées du Code de conduite pour les représentants d’intérêts et Règles déontologiques régissant le comportement des membres et agents de la Commission européenne
Dans l’optique d’agir d’une façon plus stratégique et informée, les Artivists avaient convié aux festivités deux experts en la matière : Martin Pigeon et Yiorgos Vassalos, travaillant au sein de la Corporate Europe Observatory. Le CEO est une association qui fait de la recherche et mène des campagnes sur les menaces que fait peser le pouvoir économique et politique des grandes entreprises et leurs lobbies sur la démocratie, l’équité, la justice sociale et l’environnement.
Comment se fait-il que les institutions européennes puissent être autant influencée par le lobbying ? L’une des clés de réponse est donnée par Martin Pigeon : « Ce qui pose vraiment problème, c’est la non-existence d’un espace public européen. Il n’y a pas de média public européen car il y a tout simplement le problème de la langue. Les eurodéputés subissent très peu de pression de la part des journalistes. Les seules pressions auxquelles les eurodéputés, les fonctionnaires de la commission et du conseil ont à faire, ce sont celles des lobbyistes. Ce sont eux qui leur posent des questions, qu’ils voient toute la journée et avec qui ils tissent éventuellement des liens d’amitié ». Les lobbyistes ou représentants d’intérêts font donc partie des ressources extérieures dont la Commission européenne se nourrit lors de la création de nouvelles politiques communes. La Commission s’entoure de groupes d’experts qui la conseillent tout au long du processus décisionnel. Ces groupes sont composés de représentants gouvernementaux et industriels, parmi eux des experts dit « indépendants » que l’Union européenne considère, par la signature d’une déclaration, comme « neutres » et servant l’intérêt général. Pourtant dans la dernière réforme financière commune de l’UE, il est clairement spécifié que cette régulation du marché commun a pour but de servir l’efficacité du marché et la compétitivité et non la stabilité macroéconomique.
L’influence manifeste de ces représentants d’intérêts qui opèrent dans l’ombre ne semble pas inquiéter l’Union qui prend très peu de mesures pour limiter leur impact. Contrairement aux USA, les entreprises ne sont pas tenues de déclarer le budget annuel qu’elles consacrent au lobbying en Europe. Les directives européennes sur les armes, l’industrie pharmaceutique, la santé, l’alimentation, les OGM, les nanotechnologies, les banques, le marché des émissions de CO2, …sont toutes préfabriquées par ces groupes d’experts. Comme le confirmait un participant
« Le problème lobbyiste de l’Europe va en croissant. On s’aperçoit tout de suite que le lobby fait partie du mur qui sépare les citoyens des décideurs ». Après plus de cinq étapes autour des lieux stratégiques du lobbying européen, la visite s’achève au quartier du Parlement, Place du Luxembourg. Martin y donne une dernière information. Il explique que « le Parlement, notamment grâce au Traité de Lisbonne (2009), a de plus en plus de pouvoir. On assiste donc à un déplacement graduel des centres de gravité du lobbying ». Et ensuite, comme promis, sous les battements des casseroles et des tambours de « Samba », la cinquantaine de personnes présentes au rendez-vous s’est dirigée vers le lobbyiste inconnu à goudronner et emplumer.
Cette journée lançait le coup d’envoi d’une série d’actions visant à dénoncer les pouvoirs anti-démocratiques des lobbies industriels. Le lobbying européen demeure en effet une question épineuse. Et le manque de communication et de transparence sur le sujet incite à la suspicion. Le débat reste ouvert, tout comme les portes du quartier européen bruxellois.
Plus d’informations :
www.corporateeurope.org
collectifartivist.blogspot.com
L’article du Soir: « Qui sont les autres eurodéputés corrompus ? »
Article rédigé par Kriss Gutierrez du Réseau IDée asbl