Quelle est l’origine du projet ?
Il y a plusieurs éléments. Au niveau des équipes populaires et du MOC bruxellois, porteurs du projet, il y a eu une attention historique sur la question du droit à l’énergie, en particulier par rapport aux situations de défaut de paiement qui donnent parfois lieu à des coupures. Par ailleurs, on se rend bien compte que pour garantir le droit à l’énergie, l’enjeu est aussi de parvenir à économiser l’énergie. Cependant, en tant que locataire, s’il est nécessaire de s’informer sur les petits trucs et astuces qui permettent d’économiser l’énergie au quotidien sans réaliser de gros investissements, c’est vraiment assez limité comme impact sur les consommations, surtout quand on fait déjà bien gaffe parce qu’on a du mal à payer sa facture en fin de mois. Par ailleurs, les petits gestes se font de façon individuelle, alors qu’il y a des réponses plus collectives qui doivent être apportées pour répondre aux défis tant sociaux que climatiques. Les locataires devraient donc pouvoir bénéficier de mesures plus structurelles, notamment sur l’isolation du bâtiment.
Donc, depuis un an, les Equipes Populaires ont lancé un cycle de « form’action collective » autour des conditions à créer pour que les locataires puissent obtenir de leurs bailleurs les travaux nécessaires à la réduction de leur facture d’énergie.
Des dispositions légales permettant aux locataires de faire des travaux d’isolation existent déjà, non ?
Dans un contexte bruxellois où les pouvoirs publics ont mis en place des primes, des réductions fiscales, des prêts « verts » à taux zéro, on se rend bien compte que les ménages à faibles revenus ont la possibilité quand ils sont propriétaires occupants de mobiliser des fonds pour financer des travaux et réduire de manière consécutive et substantielle la consommation d’énergie (en changeant la chaudière, en isolant la toiture, etc.). Ce sont des investissements qui ne sont pas forcément légers, mais qui ont vraiment un grand impact. Ils apportent une réduction substantielle de la consommation et donc une réponse positive par rapport au changement climatique, pour anticiper la fin du pétrole bon marché ainsi qu’un droit à l’énergie. Mais le constat, c’est que, même s’ils y ont théoriquement accès, les locataires ne parviennent pas à mobiliser ces outils-là, à de rares exceptions près.
Quelles est la méthodologie de cette form’action ?
Depuis le lancement du projet il y a plus d’un an, nous en sommes à la 5e séance. À chaque séance, des locataires, des travailleurs sociaux confrontés à ces questions, des professionnels du secteur du logement ainsi qu’un invité « expert » échangent : on prend connaissance des mesures publiques existantes, on réfléchit ensemble à leurs lacunes, aux pistes de solutions, puis aux possibilités d’action collective pour inscrire ces pistes à l’agenda politique. Le but étant que les séances ne se déroulent pas sous forme d’un exposé ex cathedra mais plutôt d’une réflexion collective.
Qu’avez-vous abordé lors de ces séances ?
On a commencé par demander à Nicolas Bernard (professeur aux facultés universitaires Saint-Louis, spécialistes du droit du logement) de visiter l’ensemble des outils publics existants qui permettraient à un locataire d’obtenir des travaux du bailleur.
On a également abordé les questions d’accès aux prêts vert, avec le CREDAL. On s’est rendu compte que sur 200 dossiers, il n’y avait même pas 10% qui concernaient soit des locataires soit des proprios-bailleurs. Lors d’une autre séance, on a invité Frédéric Degives qui est le premier attaché à la direction régionale du logement, afin d’évaluer si c’était une bonne idée de compléter les normes de salubrité en y incluant un critère de performance énergétique. Ce qui permettrait dans ce cas-là d’obliger le bailleur à faire une série de travaux. On s’est rendu compte que ce n’était sans doute pas la bonne voie : il y a déjà entre 20 et 30% de logements qui ne sont pas conformes au code du logement. Cela n’a pas beaucoup de sens de renforcer des normes qui ne sont déjà largement pas respectées. Et cela générerait aussi des difficultés pour les locataires, qui devraient trouver un autre logement alors qu’il y a pénurie. C’est un premier argument, mais il y en a d’autres. Ce serait aussi difficilement réalisable : il y a 300 000 logements qui sont sur le marché locatif et 1/3 de ces logements changent chaque année de locataire. En apposant un « permis de location » à Bruxelles, on aurait dû mettre sur pied une armée de vérificateurs. On pourrait encore aller plus loin sur les enseignements de cette séance. Par exemple, on s’est rendu compte qu’aujourd’hui dans le code du logement, il n’y avait pas d’obligation pour le bailleur de placer un système de chauffage dans le logement. Ce que dit le code, c’est qu’il faut qu’il y ait soit une prise électrique avec un ampérage suffisant pour accueillir un chauffage électrique soit une arrivée de gaz et une évacuation de ces gaz mais pas forcément de chaudière ou de bulex. Selon ce que le code du logement estime, le locataire est en capacité de pourvoir lui-même à son système de production d’eau chaude ou de chauffage. Ne faut-il pas d’abord éventuellement exiger qu’il y ait un système de chauffage avant de demander que l’ensemble du logement soit performant ?
Quels autres constats tirez-vous ?
Concrètement, dans les constats qu’on a pu faire grâce à la form’action, on s’est rendu compte que le parc locatif – qui représente 60% des logements bruxellois – est beaucoup moins bien isolé que le parc de logements occupé par les propriétaires. On a des données assez explicites sur les corrélations entre le pourcentage de locataires dans une commune et le pourcentage de logements qui ne sont pas équipés de double vitrage. Autrement dit, à Auderghem, il y a deux fois plus de propriétaires qu’à St-Gilles et il y a deux fois plus de logements équipés de double vitrage. Il est clair que les logements qui sont les moins performants sont en moyenne et en règle générale situés sur le parc locatif et pas sur celui occupé par les propriétaires. Il faut donc agir en priorité sur le parc locatif, or finalement ce n’est pas ça qui se passe. Il y a aussi évidemment des bonnes raisons sociales d’agir sur le parc locatif car c’est essentiellement là que les difficultés de payement surviennent. Voulant associer aspect environnemental et aspect social, c’est là que nous devons centrer nos efforts.
D’autant que la demande est là : notre petit « groupe de pilotage » a voulu enquêter sur le type de travaux que les locataires demandaient à leur proprio. On s’est rendu compte qu’en fait, il y avait une demande sociale importante : 20% des locataires à Bruxelles veulent remplacer leurs châssis, 15% veulent régler des problèmes d’humidité ou d’isolation acoustique. Ce sont les trois premiers travaux demandés et ils ont tous un impact sur la consommation d’énergie. Si le logement est humide, il faut forcément chauffer plus pour avoir la même sensation de chaleur, respecter les petits gestes quotidiens qu’on nous conseille de faire (ex : baisser son chauffage d’un degré) est plus facile lorsque tous ces travaux sont faits.
Quel type de public est présent à ces séances et quelles sont les motivations des participants ?
C’est évident que les citoyens s’intéressent aux moyens d’économiser de l’énergie avec une double motivation : alléger le montant des factures et contribuer à limiter les impacts environnementaux de sa consommation d’énergie. Dans la form’action, d’une part il y a des militants qui sont là et qui travaillent cette question énergétique depuis un bon bout de temps. Et d’autre part, on a souhaité aussi couvrir un public le plus large possible en faisant la publicité du cycle de formation à travers les centres et les services de la CSC notamment. Forcément il y a certains participants qui viennent aussi parce qu’ils étaient intéressés par le fait d’apprendre des infos précises sur certaines procédures, comme le fonctionnement des normes de salubrité et les risques encourus quand on porte plainte à la DIRL (Direction de l’Inspection Régionale du Logement). Mais dans les débats, on ne va analyser une situation individuelle que si elle est illustrative d’une problématique générale et donc on ne va pas chercher à trouver la solution qui conviendrait pour un seul individu. On va plutôt analyser la situation qui est mise sur le tapis en se disant qu’il y a probablement des centaines ou des milliers de locataires qui sont dans la même situation. On peut considérer ça comme une démarche citoyenne.
Concrètement, à quoi voulez-vous aboutir à la fin du processus ?
Nous souhaitons que les autorités publiques fixent un cadre légal en ce qui concerne les conditions dont les locataires pourront bénéficier s’ils souhaitent une rénovation énergétique de leur logement. Car il ne faut pas espérer compter uniquement sur la bienveillance des bailleurs ! En gros, l’idée est de faire passer des lois qui faciliteraient la démarche des locataires. Et c’est essentiellement au niveau des pouvoirs publics qu’une série de mesures peuvent être prises. Donc l’idée est d’arriver à relayer aux pouvoirs publics les réflexions qu’on a pu mener sur les différents sujets abordés lors des séances. Jusqu’à présent, la piste qui est plus régulièrement évoquée est celle de l’encadrement des loyers. C’est-à-dire que les pouvoirs publics devraient fixer une grille définissant les loyers « raisonnables » en fonction de la qualité d’un logement et notamment, par rapport à sa performance énergétique. Pour l’avenir, nous souhaitons travailler sur la question du développement éventuel d’une logique plus territoriale de rénovation énergétique du parc de logements.
Propos recueillis par Christophe Dubois, pour le dossier « Habiter autrement » du magazine d’éducation à l’environnement Symbioses (n°90 – deuxième trimestre 2011), réalisé par le Réseau IDée