Initié par le Service éducatif de la Monnaie, rebaptisé depuis peu Service développement culturel – Education through the arts, le projet s’est déroulé en deux phases. Automne 2009 : rencontre, découverte et créativité autour du thème. Automne 2010 : apprentissage de la partition du Brussels Requiem (1) et répétition du spectacle.
Les objectifs du premier temps étaient de faire se rencontrer tous les intervenants : écoles, maison opéra, enfants, musiciens-intervenants et le compositeur Howard Moody qui allait écrire la partition à partir de la matière inventée par les enfants ; de familiariser les enfants à l’univers lyrique et classique, entre autres par l’apprentissage d’un extrait de requiem existant ; d’amorcer l’apprentissage des techniques vocales liées au chant.
De défi en défi
Ces trois premiers mois furent l’occasion de percevoir la dimension « community project » de l’aventure : six écoles, trois francophones, trois néérlandophones, dont une école juive et les cinq autres aux populations métissées. S’y ajoutait le chœur des enfants de la Monnaie, issus d’un tout autre milieu de la population bruxelloise. Fin novembre 2009, une représentation devant les parents permettait à ces 250 enfants de se trouver une première fois sur les planches.
Un an plus tard, débutait la seconde phase du Brussel’s Requiem avec son vrai défi : nous avions dix semaines pour mener les enfants à pouvoir porter seuls sur scène une pièce chantée, durant trois représentations dans la grande salle de la Monnaie ! Les enfants allaient devoir apprendre, par cœur et avec cœur, une heure de musique. Une mise en scène et une chorégraphie se sont ajoutées, afin d’aider les enfants à mieux vivre la partition et à la danser sur la scène. Ici, outre nos outils pédagogiques, ce sont nos compétences humaines et nos expériences artistiques qui furent réquisitionnées à chaque instant.
Trois mois passionnants
Est-ce parce que l’on sent moins le poids de l’apprentissage avec une matière artistique que j’aime tant cela ? Les enfants d’une école de Schaerbeek, avec lesquels j’ai travaillé en tant que musicienne intervenante, m’ont en tout cas surprise et épatée à plus d’une reprise. Le timing était serré, la matière vaste et parfois ardue, et pourtant les enfants y arrivaient !
Les apprentissages de l’automne précédent se sont avérés précieux. Ils ont rassuré les enfants dans les moments plus délicats. Par exemple, ils se rappelaient encore des textes latins des requiem appris un an auparavant ! Leurs expériences du chant et de la scène étaient encore bien gravées dans leurs mémoires. Ils se sentaient du coup grandis, car ce qu’ils appréhendaient l’an passé leur semblait déjà plus familier aujourd’hui.
Toutes les trois semaines, deux écoles venaient répéter à la Monnaie avec metteur en scène, chorégraphe et compositeur présents. C’était l’occasion de corriger certaines erreurs, de rencontrer petit à petit les autres enfants et les trois adultes-créateurs dont nous n’étions finalement que les passeurs de matière lors des séances en classe.
Ce projet était unique car, en ces temps où tout le monde court derrière le programme et l’efficacité, nous étions occupés trois mois durant, avec la complicité des titulaires, à guider les enfants à travers le son, sa beauté, l’émotion qui s’en dégage, à guider les enfants pour qu’ils comprennent de tout leur corps ce qui est raconté par la pièce, et qu’ils le chantent vraiment.
Les enfants ont eu à dépasser leurs craintes, leurs aprioris. Ils ont eu à donner leur confiance, à oser nous suivre dans ce pari fou et ambitieux. Ils ont appris à chanter, à se tenir droits, immobiles pendant de longues minutes, ils ont appris à respirer pour avoir assez de souffle pour terminer une phrase, assez de souffle pour pouvoir chanter après avoir dansé longtemps.
Des moments magiques
Je me rappelle des retrouvailles avec Howard, le premier jour de répétition partielle à la Monnaie. Des enfants lui avaient offert un t-shirt avec une photo de leur classe pour le remercier, en fin de phase un. Howard le portait lors de leur première répétition de la phase deux. Les gosses n’en revenaient pas ! Ils nous en parlent encore… De plus, ce jour-là, le compositeur les a félicités pour leurs progrès en chant et leur a dit que de loin, en arrivant, il avait cru entendre le chœur des enfants de la Monnaie…
Je me rappelle aussi de ce moment où, après des heures d’apprentissage et de répétition, nous leur avons dit : « On refait la scène 1, mais vous chantez sans nous, on se met sur le côté, comme le jour du spectacle. » On a d’abord vu la trouille au fond des yeux. Puis, après deux essais, le groupe se concentre, se solidarise. Les enfants chantent. Le spectacle prenait forme sous nos yeux.
Et je n’oublierai jamais la première répétition où tous les enfants étaient réunis, ainsi que les 40 musiciens de l’orchestre. Tout le monde de plain-pied, dans la salle de répétition de l’orchestre à la Monnaie. Sans que personne n’ait rien à ordonner, les enfants se sont assis, levés aux bons moments. Le silence venait sans attendre. Et quand les premières notes de l’orchestre ont fusé, ce fut fabuleux ! Les vibrations naturelles de ces 40 instruments et leurs 250 voix. Un bonheur pur. Pour moi, ce fut le moment le plus fort de tout le requiem. J’ai chanté avec eux, comme un enfant, les larmes aux yeux, excitée comme jamais !
Alors, pourquoi apprendre ? Pour vivre cette tranche de vie précieuse et insolite, où tous, enfants et adultes, nous avons grandi en quelques mois. Apprendre pour briser les clichés qui nous décrivent les jeunes d’aujourd’hui blasés, inertes, foutus, inintéressés. Apprendre pour réaliser un spectacle de qualité. Tout en étant heureux.
Julie Chemin
Article publié dans TRACeS de changements (dossier « Pourquoi on apprend ? » – n°200 – mars/avril 2011), le périodique de ChanGements pour l’Egalité
Photo : Ecole de Sint-Joost-aan-zee
(1) Composition : Howard Moody, mise en scène : Benoît De Leersnyder, chorégraphie: Ela Baumann.