Les premières grandes usines textiles du Cambodge sont apparues au milieu des années 90 . Attirées par des conditions économiques favorables, elles constituaient une grande opportunité pour les Cambodgiens et le développement de leur pays. 15 ans plus tard, l’industrie du textile est devenue de loin la plus importante activité manufacturière du pays. Elle contribue à elle seule à 16 % du PIB et constitue 75 % des exportations. Malheureusement, force est de constater que les conditions salariales et de travail des ouvrières – ce sont principalement des femmes – ne leur permettent pas encore de vivre dignement.
Une ‘démocratie arrangée’
Athlit Kong est vice-président de C.CAWDU, l’Union démocratique des travailleurs du secteur manufacturier du Cambodge. Les conditions de travail dans les usines de textile, il les connait pour y avoir travaillé dès 1999. « J’ai rejoint le syndicat des travailleurs de mon usine en 2001. À l’époque, l’activité syndicale n’était pas encore très répandue, encore moins dans le secteur textile. Après avoir été actif pendant 6 mois, le syndicat a été corrompu par les employeurs et a cessé de défendre les ouvrières », raconte Athlit. « J’ai néanmoins continué à aider mes collègues de la section blanchisserie à se défendre, mais à titre individuel. »
Profil de C.CAWDU
Qui ? La Coalition of Cambodian Apparel Workers Democratic Unions est partenaire d’Oxfam-Solidarité depuis sa création en 2000.
Quoi ? Cette fédération indépendante de syndicats du secteur textile aide les travailleurs à défendre leurs droits. Elle mène des négociations collectives, participe aux concertations nationales et organise des mobilisations afin de faire pression sur les employeurs qui ne respectent pas le droit du travail.
Grâce à des échanges permanents, Oxfam-Solidarité accompagne C.CAWDU dans la définition de sa stratégie, dans le but d’améliorer sa faculté à relayer les revendications des travailleurs et à négocier en leur nom. C.CAWDU travaille également sur la structuration des syndicats au niveau des entreprises et entretient des contacts avec les autres organisations de travailleurs en Asie du Sud-est. Ce partenariat mise aussi sur l’information et l’implication des travailleurs, indispensable pour assurer la durabilité des avancées acquises.
Le paysage de la représentation syndicale est très complexe au Cambodge. Il existe les syndicats des employeurs et ceux des employés, mais également les pro-gouvernementaux, pro-opposition ou encore indépendants. « Lors de certaines concertations sociales, il arrive que plus de 30 organisations différentes soient assises autour de la table. Mais, dans les faits, seuls quelques-unes d’entre elles défendent véritablement les travailleurs », explique Athlit Kong. « C’est ce qui je qualifie de ‘démocratie arrangée’. »
Nécessité d’un soutien international
Au Cambodge, les négociations salariales sont menées au sein d’une commission sectorielle nationale composée de 28 membres, dont 7 représentants des travailleurs (mais seulement 2 d’entre eux défendent réellement les employés). Il est donc extrêmement difficile de faire entendre leur voix ! En juillet 2010, cette commission a décidé de porter le salaire minimum à 43€/mois (61$) (une augmentation de 4€ en un an), rejetant ainsi la demande de C.CAWDU de l’augmenter à 65 €/mois.
« Cet accord, qui fixe un nouveau barème mais aussi le fait que les salaires soient gelés pendant cinq ans, est contraires aux lois cambodgiennes et aux conventions internationales. En effet, celles-ci stipulent que le salaire minimum doit permettre de vivre décemment et qu’il doit régulièrement être adapté pour tenir compte de l’évolution du coût de la vie. C’est pourquoi nous luttons pour un salaire minimum mensuel de 65€ qui permettrait de remplir ces conditions », argumente Athlit Kong.
Après consultation de ses membres, C.CAWDU et NIFTUC (l’autre syndicat textile indépendant au Cambodge) ont organisé des arrêts de travail. Le 16 septembre 2010, après 3 jours de grèves, plus de 200.000 travailleurs issus de 90 sites différents ont cessé le travail et bloqué l’accès aux usines. Après que le gouvernement ait finalement accepté de poursuivre les négociations, les travailleurs ont repris le chemin des usines. Mais, à leur retour, 261 délégués syndicaux et plus de 3.000 personnes ont été suspendus ou renvoyés définitivement…
« Après ces événements, nous avons été soutenus par la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture. Grâce à une forte pression sur certaines marques commanditaires des usines cambodgiennes -telles H&M, GAP ou encore Zara-, certains travailleurs licenciés ont pu reprendre leur poste, mais sans compensation pour le salaire perdu », raconte Athlit Kong. « Ce n’est malheureusement pas encore le cas pour tous, certains devant même faire face à des poursuites judiciaires. Nous assistons actuellement ces derniers dans ces procédures. »
Ces soutiens internationaux, comme par exemple dans le cadre de la ‘Clean Clothes Campaign’ qui regroupe différentes associations, syndicats et ONG, ont donc un impact concret sur le terrain. Suite à cette campagne, les discussions au Cambodge ont repris et un accord a été conclu fin mars 2011 sur une augmentation du salaire minimum de 7€ par mois. En pratique, il ne s’agit pas d’une augmentation du salaire minimum à proprement parler, mais bien du paiement de primes liées à l’ancienneté, d’heures supplémentaires et d’une allocation pour les repas. Cependant, c’est indéniablement un grand pas en avant.
Le changement prendra du temps
« Notre objectif n’est absolument pas de ternir l’image de notre pays », souligne Athlit Kong. « Nos demandes sont toujours raisonnables et argumentées, et il nous arrive même de soutenir les positions des employeurs. Faire fuir les investisseurs ne servirait qu’à déplacer le problème et résulterait inévitablement en une perte d’emplois massive. Le Cambodge doit demeurer ouvert au commerce international, tout en respectant les droits de ses travailleurs. »
Pour C.CAWDU la solidarité entre les travailleurs est la seule manière d’aboutir à un changement durable. Une collaboration étroite entre les partenaires, les mouvements sociaux mais aussi les gouvernements, doit permettre de renforcer en permanence l’organisation.
« Le changement prendra du temps, certainement dans notre pays où, après plus de 20 années de guerre (le pays a été le théâtre d’un conflit violent dans les années 80 et 90, ndlr) les citoyens ont encore peur de revendiquer leurs droits. Il faudra probablement une génération pour que les mentalités changent. Nous continuerons à stimuler cette évolution de façon responsable. C’est notre responsabilité envers les travailleurs, mais aussi envers notre pays. C’est grâce au soutien international que nous pourrons améliorer le respect de la dignité humaine. Et ce qui vaut pour le Cambodge, vaut bien évidemment pour tous les pays du monde », conclut Athlit Kong.
Laurent Bourgeois, Oxfam Solidarité
Article publié dans la revue Globo (n°35 – septembre 2011)
Photo : © Tineke D’haese/Oxfam-Solidarité