« Si ma vie était à refaire, proclame José, je me serais fait directement jardinier ! Je suis pourtant entièrement auto-didacte ; je n’ai aucune formation particulière dans le domaine. Jardin de Pomone fait du travail conservatoire sur les variétés cultivées et s’emploie à la revalorisation, par la cuisine, de plantes que les gens ne connaissent plus et qu’ils sont pourtant tout à fait capables de cultiver eux-mêmes. Nous avons des partenaires qui sont actifs dans le social et qui voudraient que leur public puisse préparer des repas avec de très petits budgets. Un médecin d’Etterbeek démontre qu’on peut nourrir une famille avec quatre euros par jour ! Cela fait partie de notre capacité de résilience qui, elle-même, fait partie de notre instinct de survie. Or cet instinct est totalement anesthésié par le système économique en place et par les experts en marketing… »
La santé avant tout !
La belle histoire de José le jardinier a pourtant commencé… par des problèmes de santé ! « Ils sont devenus très graves en ce qui me concerne, avoue notre homme. Ma mémoire était mon outil de travail n°1, puis elle a souadainement marqué des déficiences incroyables. Finalement, quand le bon diagnostic a enfin été posé, c’est clairement mon alimentation qui a été mise en cause. Autant chez mes parents que dans ma vie matrimoniale, l’alimentation avait pourtant toujours été une priorité. Je me suis ainsi aperçu que, durant les trente dernières années, le marché du frais était devenu une immense supercherie. Nous avons logiquement décidé, pour cette raison, de cultiver nous-mêmes ce qui était devenu impossible à trouver. Ma femme est une excellente cuisinière ; elle aime utiliser les herbes aromatiques mais combien en trouve-t-on encore dans le commerce du frais ? Cinq, six, sept ? Et encore : vendues sous blister, arrivées d’Israël par avion et peut-être même ionisées… Nous avons installé notre propre jardin, il y a une dizaine d’années de cela, mais de manière extrêmement empirique. Puis, le traumatisme subi en terme de santé continua à nous faire réfléchir, à aller beaucoup plus loin dans l’esprit du bio, plus loin dans la culture de la biodiversité… Pourquoi existe-t-il deux créneaux dans l’organisation économique – l’un pour l’alimentation et l’autre pour la santé – alors que les deux pourraient parfaitement se fondre, ce qui ne serait jamais que revenir à la vieille idée d’Hippocrate, « que ton aliment soit ton remède » ? Ceci dit, vanter la cuisine de nos grands-mères, c’est fort bien. Mais la vérité d’aujourd’hui n’est absolument pas là car, dans la plupart des ménages, la femme travaille à l’extérieur, soit par nécessité économique, soit par besoin pour l’équilibre personnel. Imaginer des repas à cuisson lente, au coin de la cuisinière, n’est donc absolument plus envisageable… Nous devons, par conséquent, faire du neuf avec du vieux. Anne aime les betteraves rouges cuites au four ; moi, mon plus grand plaisir, c’est de les retirer du sol, de les laver, de les râper ou de les couper en carpaccio pour les manger telles quelles avec juste un peu de jus d’orange ou de jus de citron. C’est sans doute aussi une solution plus moderne… »
Créateurs de plaisirs
Puis, la parole du jardinier cuisinier s’envole et José part en campagne, multipliant les exemples. « Beaucoup de gens me disent aimer la roquette fraîche ! Mais, dès que je les interroge, ils conviennent aussitôt qu’elle était vendue dans un petit sachet et qu’ils n’ont jamais acheté une simple botte en frais. Je leur démontre alors qu’avec un simple bac en plastique, dix-huit litres de terreau et deux litres d’eau, une production maison de roquette pour trois ou quatre mois coûte moins cher qu’un seul sachet du supermarché ! Et c’est pareil pour l’ortie qui est d’une richesse inestimable en cuisine, contenant des protéines végétales dans des proportions idéales. Elle est très appréciée mais à condition que les gens ne sachent pas ce que c’est. Annoncer à un citadin qu’il a mangé de l’ortie est toujours un véritable choc psychologique ! Mais attention ! L’ortie n’est bonne en cuisine que jusqu’à la Pentecôte ; c’est une vieille règle paysanne dans nos régions… »
Un autre exemple : combien de temps faut-il pour préparer un spaghetti, ce que tous les jeunes adorent ? « Faire chauffer de l’eau et ouvrir le pot de bolognese prendra au moins dix bonnes minutes, répond José. Nous avons donc mis au point diverses petites préparations qui valorisent le cru et qui ne prennent pas davantage de temps. Il est bon, évidemment, dans cette optique, de cultiver soi-même et d’être ainsi garant du fait qu’on n’a pas utilisé de pesticides… Cet aspect cuisine santé nous plaît énormément même s’il fut très incident dans nos préoccupations initiales. En réalité, nous ne croyons à l’efficacité de l’ensemble de la démarche que si elle est productrice de plaisir. Raison pour laquelle nous avons créé, au mois d’août, une seconde association qui s’appelle Belgappétit ! Son objectif est de réintroduire la biodiversité dans l’assiette. Il est absolument indispensable que chacun d’entre nous reprenne en main – ne serait-ce que symboliquement ! – la production de son alimentation. Il faut bien penser que les gens qui n’ont pas de jardin sont la grande majorité d’entre nous. Ce qui ne signifie évidemment pas qu’ils ne sont pas concernés par la question : commencer par un pot de thym sur sa fenêtre, c’est déjà faire un pas en avant ! Un bouquet garni, c’est déjà de l’autonomie, quelques pots qui prennent très peu de place peuvent couvrir les besoins pendant toute une saison… C’est d’une facilité étonnante et tous ceux à qui nous en parlons acceptent très bien ce message… »
Quatre terrains cultivés
« Nous travaillons actuellement sur quatre terrains, explique José, dont trois sont situés à Strombeek-Bever. Nous n’en sommes malheureusement pas propriétaires et nous n’avons pas les moyens financiers d’en faire l’acquisition. Le second terrain que nous avons cultivé fait deux ares. Pendant trois ans, nous avons essayé de savoir si cette superficie était suffisante pour couvrir les besoins d’une famille de trois personnes. Nous démontrons que c’est parfaitement possible mais que cela demande une telle attention journalière – depuis le choix des variétés jusqu’à la conservation – qu’une telle entreprise découragerait trop de gens. Nous avons donc voulu orienter nos actions vers des choses beaucoup plus simples qui conviennent à une grande mixité de publics. »
Le jardin où nous reçoit José, juste à côté du stade de football, fait neuf ares. Pomone, la nymphe des jardins, y cultive plus de quatre cents variétés différentes en pleine terre. « Et on arrive à sept cents avec ce qu’on a en pots, s’empresse d’ajouter notre hôte… Le terrain était très mauvais quand nous sommes arrivés ; c’était un champ de prêle et de grande oseille qui indiquent un sol très minéralisé. Je recommande toujours aux jardiniers qui reprennent un terrain d’essayer de se renseigner d’abord sur son histoire. J’ai souvent demandé à des communes qui mettent des terrains à notre disposition, soit de nous avouer franchement si le terrain est pollué ou pas et s’il convient à la culture, soit de prendre en charge les treize euros d’une analyse, une évaluation en vingt-quatre points qui donne une bonne indication. C’est d’ailleurs le conseil que je donne également à tout particulier qui commence des cultures sur un nouveau sol. Nous organisons régulièrement des portes ouvertes sur nos différents terrains et nous touchons ainsi un large public, sans l’avoir vraiment recherché, de manière purement incidente. Nous donnons gratuitement des cours de jardinage, à la Ferme Maximilien, qui ont pour but de permettre la pratique du micro-jardinage à des gens qui ne disposent que d’un petit balcon… Il faut encourager la population urbaine à se ré-intéresser au jardinage ; c’est une source de bien-être pour tous ! Prendre, dans une boîte en fer blanc, un petit cube emballé dans du papier d’argent où il est indiqué « herbes de Provence » n’est certainement pas une source de plaisir. Par contre, trouver sur sa terrasse une plante qu’on a soi-même cultivée est une chose valorisante… »
Les semences, le chaînon volé !
« La singularité de Pomone réside vraiment dans le lien que nous établissons entre la cuisine et la culture au jardin, explique José Veys. Pour cette raison, nous boycottons depuis longtemps les hybrides F1 ! Nous voulons souligner par là qu’il est extrêmement important pour le jardinier d’auto-produire, de re-cultiver et de partager ses graines. Beaucoup trop d’espèces disparaissent et la seule solution est de créer des engouements et de mettre en place des réseaux de solidarité. Au Jardin de Pomone, le système de cotisation – vingt euros par an – donne accès au système des ‘graines d’amitié’, à savoir une douzaine de variétés réellement intéressantes et originales, et qui vont réussir assez facilement. Des choux, par exemple, qui vont grandir sans demander une quantité astronomique d’engrais, comme le ‘Quintal d’Alsace’ qui a besoin de moitié moins de matières nutritives que les autres choux…
Cette année, nous voudrions faire un plus gros effort encore au niveau des semences, en produire et en distribuer davantage ou – si nous n’y arrivons pas – en sélectionner de nouvelles. La croissance de Pomone est trop forte – nous atteignons les six mille membres ! – et rend aléatoire la production de graines par nous-mêmes. Les subventions nous permettront, cette année, de couvrir les frais de trois bénévoles, mais nous n’avons aucun équipement professionnel pour produire ; juste quelques vieux trucs de boy-scout… Répétons que nous ne tirons aucun profit des semences ; notre seul but est que nos amis les cultivent et les reproduisent, les partagent et les échangent… Ce message est terriblement important à diffuser pour la sauvegarde de la biodiversité cultivée. La graine, c’est le chaînon qu’on nous a volé ! Mais attention, pour vivre, toute plante doit être cultivée. Une banque de semences, comme celle du Spitzberg, est une pure imposture qui profite à différentes fondations privées, comme celle de Bill Gates, la Fondation Rockefeller ou la Fondation Syngenta… »
La voilure du Mercator
« Pomone a son propre blog, raconte encore José – http://lesjardinsdepomone.skynetblogs.be/ -, un petit défi que nous avaient lancé nos enfants en 2007 et que nous n’avons jamais pu arrêter. Plus de mille visite chaque jour, et le public est français pour les deux tiers ! J’ai bien conscience qu’il n’est pas assez travaillé sur le fond ; j’ai d’ailleurs plein de choses dans mes cartons mais je n’ai pas le temps d’approfondir… Notre association exige maintenant une administration que nous n’avons pas ; nous sommes comme une petite coquille de noix à laquelle on aurait mis la voilure de Mercator ! C’est dire combien ce que nous faisons éveille l’intérêt… Nous allons beaucoup dans les écoles, montrer des préparations rapides et faire goûter des légumes aux enfants. Ca marche du tonnerre : nous revenons le lendemain avec une soupe faite avec les restes. Et c’est une deuxième fête. Tout cela à Bruxelles ou ailleurs, en français ou en néerlandais, c’est comme ou veut… J’ai des dizaines de demandes en attente de directeurs ou de chargés de la formation en environnement. Pour nos cours, la Ville de Bruxelles a mis à notre disposition un local situé dans un quartier très populaire. Là encore, nous avons un succès fou, les listes d’attente sont interminables, ou presque. Le paradoxe, c’est que nous comptons, parmi nos membres, plus d’une centaine de fonctionnaires européens. Vous croyez peut-être que tous ces gens s’évitent ? Pas du tout : ils discutent entre eux à n’en plus finir. Il n’y a rien de plus fédérateur que la cuisine et le jardinage, le bien-être au fond… Mais tout cela est très logique : si nous répondons aux besoins de notre organisme avec toujours les mêmes légumes, nous courrons le risque de tout dénaturer. Je dis souvent au gens qu’il y a quinze ou vingt légumes sur leur marché ; s’ils en mangent un par jour, c’est au moins deux fois le même chaque mois ! Alors que, du côté de la biodiversité, il y a quatre vingt mille espèces. Divisez-la par trois cent soixante-cinq jours annuels, vous pourrez manger un légume différent, tous les jours, pendant… 220 ans ! C’est caricatural, je l’admets volontiers, mais cela interpelle néanmoins beaucoup de gens. Et ce serait déjà pas mal si nous pouvions manger un légume différent chaque jour de notre vie… »
Et les projets ne manquent pas !
Anne et José sont des pensionnés qui ne s’ennuient pas ! « Nous allons développer un jardin médiéval en collaboration avec l’école d’horticulture d’Anderlecht, explique José ; elle dispose de sept hectares de terrain. Pomone est également partenaire de l’asbl Worms, des maîtres maraîchers qui popularisent l’art du compostage, en collaboration avec l’IBGE… Quant à Belgappétit, la nouvelle association, elle développe un projet alliant économie, diététique et alimentaion qui sera intégré dans le cadre du CERIA. Et nous savons que 2012, à Bruxelles, sera l’année de la gastronomie… »
Dominique Parizel, Nature & Progrès Belgique
Article publié dans la revue Valériane (n°93, janv.-févr. 2012) de Nature & Progrès
Blog des Jardins de Pomone : http://lesjardinsdepomone.skynetblogs.be/
Bonjour,
Je vous conseille de prendre contact directement avec les Jardins de Pomone.
Tel. : 02 270 26 82 – 0495 16 70 94
e-mail : lesjardinsdepomone@hotmail.com
Le blog de l’association: http://lesjardinsdepomone.skynetblogs.be
Bonjour ,je suis très intéressé par les Jardins de Pomone !je souhaiterais vous rencontrer à Strombeek quelle est la meilleure façon pour fixer un rendez-vous! Je suis également jardinier amateur à Melsbroek.
Merci de votre réponse et félicitations pour tout ce que vous faites.