Kokopelli : les graines au pays du père UbuClés pour comprendre

4 juin 2012

Vous avez peut-être déjà entendu parler de l’association Kokopelli ? Ou en tout cas des incessants procès auxquels elle est confrontée ? Présentation d’une association qui milite pour la libération des semences et de l’humus…

Kokopelli à Alès, dans le Gard, c’est une équipe de militants qui œuvrent avec un très grand dynamisme et un dévouement total pour la cause de la biodiversité et des « Semences de Vie ». L’équipe de Kokopelli, en France, comprend 14 salariés permanents qui sont assistés de 5 ou 6 salariés saisonniers durant les quelques mois d’hiver.

Même si nous n’adhérons pas forcément à toutes les valeurs que défend Kokopelli (à chacun de faire son choix parmi celles-ci ! [1]), il convient de saluer son précieux travail de lutte contre l’« érosion génétique » d’une part et son attention constante aux grands problèmes environnementaux : confiscation du vivant, chimères génétiques, « nécro-carburants », disparition des abeilles mellifères, désertification de la planète, eau, etc.

Dans ce cadre, on saluera aussi l’aide qu’apporte Kokopelli aux pays du Sud puisque les semences reproductibles sont devenues très rares, voire inexistantes, dans de nombreux pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et que peu de jardiniers ont des moyens financiers suffisants pour y accéder. Kokopelli les aide à retrouver cette autonomie en leur redonnant des semences de départ qui ne sont ni hybrides F1, ni OGMs… Ce sont ainsi des centaines de communautés qui ont pu être aidées : « Ces expériences sont une preuve supplémentaire de l’urgence à réagir concrètement afin d’aider les populations les plus pauvres à retrouver une agriculture vivrière libre et autonome que seule la transmission de semences de vie permet. »

L’érosion génétique, c’est la disparition de variétés. Dans l’agriculture, elle se manifeste sous forme d’une uniformisation génétique : des variétés locales, végétales ou animales, bien adaptées à une économie de subsistance, sont substituées à d’autres, jugées plus productives. En d’autres termes, de nombreuses variétés, considérées comme peu rentables, disparaissent essentiellement sous les coups de butoir de l’industrie agro-alimentaire, dont l’imposition des OGM, par exemple. Il est important de retenir aussi que la conséquence désastreuse de l’érosion génétique est la disparition de l’agriculture dite de subsistance, celle qui n’est pas commercialisable à grande échelle, mais qui nourrit ses producteurs.

Les catalogues

Les « espèces et variétés » sont reprises dans des catalogues nationaux. Le catalogue officiel français des espèces et variétés a été créé en 1932. Pour y être inscrite, une nouvelle variété doit subir des tests.
Dans l’Union Européenne, toute variété doit être inscrite au catalogue officiel pour être commercialisée. Le catalogue commun des variétés des espèces agricoles et plants de pomme de terre et le catalogue commun des variétés des espèces de légumes sont régulièrement publiés au Journal Officiel de l’Union Européenne. Ces catalogues sont la somme des catalogues officiels des différents pays de l’Union européenne et regroupent aujourd’hui plus de 34.500 variétés commercialisables dans l’ensemble de ces pays.
Une série de directives européennes donnent les règles de commercialisation et de certification des semences. Le catalogue européen est défini dans la Directive 2002/53/CE du Conseil du 13 juin 2004.

Raison d’être
Ces catalogues permettent en principe d’éviter que les semences des variétés différentes soient vendues sous le même nom, ou qu’une même variété ait des appellations différentes. Ils clarifient l’offre et protège l’utilisateur qui est ainsi assuré de l’identité de la semence qu’il achète.

La situation en France
Le droit français laisse libre à tout à chacun de semer et récolter pour sa consommation ou son usage personnel toutes espèces végétales, hors espèces considérées localement comme nuisibles ou pouvant porter atteinte à l’équilibre écologique local. De même, tout jardinier amateur peut récolter des semences, issues de sa propre culture à toutes fins de culture ultérieure sans en avoir à en référer à quiconque.
En revanche, le droit français interdit la vente de ces semences, de même que les échanges de semences entre paysans (les échanges sont assimilés par le Ministère de l’agriculture à des « ventes dissimulées »).

Contestations
Certains acteurs (associations et groupements de paysans) estiment que ce Catalogue n’est pas adapté à toutes les réalités du monde agricole et qu’il peut même nuire à la sauvegarde de la biodiversité.
Par ailleurs, ils estiment que le coût de l’inscription (pour une variété de céréales : plus de 6.000 € auxquels il faut ajouter le maintien au catalogue : plus de 2.000 € pour les 10 premières années) dissuade l’inscription des variétés issues de sélections paysannes qui concernent des volumes limités.
Les différents acteurs ont des conceptions parfois opposées de la notion de qualité des semences et des plantes ; les uns la conditionnent à une stabilité des caractéristiques variétales et donc du génome (ce qui facilite la standardisation), les autres apprécient au contraire des variétés plus souplement adaptables à des biotopes et des contextes changeants, ce qui peut se traduire par une moindre fixité des caractères de la variété mais est compensé par une plus grande diversité génétique et une meilleure résilience agro-écologique.
Enfin, les détracteurs du catalogue tel qu’il est conçu, arguent aussi que le catalogue officiel contribue à la confiscation ou à la privatisation du vivant, au détriment des plus pauvres (y compris notamment en France), et au profit des entreprises multinationales de l’agroalimentaire.

Un procès retentissant

L’association Kokopelli lutte contre l’« érosion génétique » et, dans ce cadre, commercialise ou distribue des semences reproductibles, lesquelles ne sont pas toujours reprises dans les catalogues. Kokopelli s’est donc fait des adversaires et pas des moindres : Commission Européenne, Conseil de l’Union Européenne, République Française, Royaume d’Espagne et société Graines Baumaux.

De procès perdus en procès perdus, Kokopelli a fini par se retrouver devant la Cour de Justice de l’Union Européenne. En janvier 2012, l’avocat général chargé du dossier Kokopelli devant la Cour de Justice de l’Union Européenne a donné lecture publique de ses conclusions. Lesquelles ont donné entièrement raison à Kokopelli.
Ses arguments portent sur deux points. Tout d’abord sur la logique légale : en effet, le magistrat conclut que l’interdiction de commercialiser des semences d’une variété non inscrite au catalogue officiel viole le principe de proportionnalité, la liberté d’entreprise, la libre circulation des marchandises, ainsi que le principe de non discrimination. Mais, l’avocat général n’a pas manqué d’affirmer, au contraire de ce qui était avancé par les nombreux adversaires de Kokopelli que, d’une part, les règles relatives à l’admission des semences au Catalogue Officiel n’ont « aucun rapport avec la santé des plantes », d’autre part, que « il appartient aux agriculteurs de décider des variétés qu’ils cultivent », enfin que cette législation limite excessivement le choix des consommateurs qui n’ont « ni accès aux denrées alimentaires ou autres produits issus de variétés qui ne satisfont pas aux critères d’admission, ni la possibilité de cultiver eux-mêmes ces variétés, par exemple dans leur propre jardin ». De même, l’avocat général rappelle à juste titre que « le fait que les agriculteurs soient cantonnés à des variétés admises réduit enfin la diversité génétique dans les champs Européens ». Il en conclut logiquement que « les inconvénients de l’interdiction de commercialiser des semences de variétés non admises l’emportent manifestement sur ses avantages ».

Il s’agit là d’une première victoire pour l’ensemble des associations qui, aux côtés de Kokopelli, et malgré les logiques uniquement basées sur le profit de l’industrie agro-alimentaire, cherchent à préserver la diversité biologique et à promouvoir une agriculture à taille humaine. La décision finale est encore attendue…

Article publié dans Eco-Vie n°265, mars-avril 2012

[1] Informations sur le site de Kokopelli ou sur le blog. Et de façon plus complète dans l’imposant ouvrage publié par l’association : Semences de Kokopelli 11ème édition (2012).

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