L’appellation CIRÉ signifie Coordination et initiatives pour les réfugiés et étrangers. Le CIRÉ est né en 1954, au lendemain de la création de la Convention de Genève, qui définit le statut et le droit des réfugiés. C’est le résultat d’une volonté conjointe de plusieurs grandes organisations impliquées dans l’accueil et la protection des droits des étrangers, telles la Croix-Rouge, les syndicats FGTB et CSC, des mouvements associatifs protestants, jésuites, etc. Ces organisations font toujours partie du CIRÉ qui compte aujourd’hui quelque 24 associations membres. Les missions du CIRÉ portent sur l’ensemble des politiques migratoires, depuis les politiques belges et européennes concernant le travail aux questions de séjour, en passant par le regroupement familial, l’accueil et la protection des demandeurs d’asile et la lutte contre l’enfermement des étrangers.
L’expertise des associations permet au CIRÉ de construire une parole politique et de prendre des positions. L’autre volet est celui des services, comme l’école de français et langues étrangères qui existe depuis 1954. Elle est ouverte aux migrants récemment arrivés (300 par an environ), dont beaucoup sont en situation précaire. Le service logement déploie de nombreuses initiatives, comme les tontines solidaires et les Community Land Trust (1). Il existe aussi un service d’équivalence des diplômes et, très important, le service d’accueil des demandeurs d’asile, avec 1.050 places, et géré par 4 associations membres: Caritas, Solidarité socialiste, Aide aux personnes déplacées et le Centre social protestant. Le CIRÉ en est la coupole politique et administrative. Il y a encore le service emploi-formation. Le service d’interprétariat a été rendu autonome il y a deux ans. Enfin, le CIRÉ mène aussi un travail d’animation et de sensibilisation grand public.
(1) Une tontine solidaire est un “pot commun” alimenté par un groupe de familles pour constituer une somme d’argent permettant de supporter les frais liés à l’achat d’une maison et que ne couvre pas le prêt du Fonds du logement bruxellois. Chaque famille y puise puis rembourse à son tour. Le Community land trust est une formule de gestion coopérative de la propriété qui sépare le foncier (la terre reste propriété collective) du bâti (loué ou acheté par les particuliers).
Vous êtes directrice du CIRÉ. Mais vous êtes aussi impliquée activement dans plusieurs lieux militants. Quel parcours vous y a conduit et quel est le moteur de votre militantisme?
J’ai travaillé pendant 20 ans dans les quartiers sur les questions de lutte contre l’échec scolaire, de développement communautaire et d’actions pour l’emploi et la formation des jeunes. J’ai conservé quelques engagements dans ces lieux. Mais mes deux engagements principaux aujourd’hui sont d’une part le CIRÉ et ATTAC. J’ai rejoint ATTAC lorsque j’ai pris conscience que tous les segments de la politique migratoire sur lesquels le CIRÉ planche, ne peuvent trouver de solution. Il faut bien sûr se battre pour améliorer chacun de ces segments, par exemple les politiques migratoires du travail qui permettent que les gens puissent monnayer valablement leur force de travail. Mais si l’on ne travaille pas sur l’enjeu fondamental des politiques économiques, il n’y a pas de solution. La phrase qui se trouve en exergue du rapport d’activités du CIRÉ fait très bien ce lien “les migrations sont le symptôme des fractures du monde”. Et ce n’est pas au symptôme qu’il faut s’attaquer. Ces fractures ne sont pas le fruit du hasard mais le résultat de choix politiques et économiques.
Qu’est-ce qui vous motive particulièrement dans votre action et vos responsabilités au sein du CIRÉ?
J’aime bien me battre. Et le CIRÉ est une bonne structure, avec une chouette équipe. C’est important de travailler entre associations, de s’entendre sur ce avec quoi on n’est pas d’accord pour le formuler publiquement, et de mener des actions. Tout cela a du sens et nous permet d’avancer sur des combats. Mais ce n’est jamais pleinement satisfaisant, parce qu’il ne suffit pas de dénoncer les centres fermés, par exemple. Il faut cesser d’enfermer les gens. Mais cela interroge les politiques économiques. Soit on en change, soit on reste dans la logique néolibérale mais alors il faut aller jusqu’au bout et permettre la libre circulation des personnes, autant que celle des capitaux. Ce n’est toutefois pas mon option car cela ne changera rien aux profondes inégalités sociales entre les gens.
Il faut cependant savoir que ce ne sont pas toujours ces inégalités qui poussent les gens sur les routes. Là où la misère est profonde, les gens sont de facto assignés à résidence. Les pays qui envoient le plus de migrants sont ceux qui ont déjà connu un progrès économique. Quand les écarts de richesses sont trop importants, les gens qui sont dans la misère ne cotoient pas les riches. C’est quand les écarts diminuent que les pauvres voient ce que les riches possèdent et espèrent eux aussi une vie meilleure.
La migration n’est pas un problème. Certes, on a bâti les Etats-nations qui ont chacun leur système de protection sociale. Mais il suffit de poursuivre l’harmonisation de ces systèmes et la migration ne sera vraiment plus du tout un problème de ce point de vue-là. Reste que la rencontre de modèles culturels parfois très différents ne va pas sans incompréhensions ni difficultés.
(…)
En quoi l’action continue du CIRÉ à l’égard des réfugiés et étrangers en Belgique a-t-elle façonné votre analyse et votre regard sur les discriminations que ceux-ci subissent?
Pour ma part, j’ai l’occasion tous les jours de constater de la discrimination, en particulier dans le cadre de l’école. On n’a, par exemple, absolument pas pris en compte la question de l’accueil des jeunes migrants, le manque de soutien disponible à la maison ni pris la mesure des choses pour donner à tous les mêmes chances de résultats.
Mais le public qui vient au CIRÉ, lui, bénéficie plutôt d’une discrimination positive. Les gens qui arrivent sont accueillis, hébergés, nourris, accompagnés. Or, à situation socio-économique égale, tous les Belges ne bénéficient pas nécessairement d’une aide et d’un accompagnement de ce type. Même avec les blocages qui existent, la Belgique reste dans le peloton de tête des procédures y compris de régularisation, via l’asile, le regroupement, entre autres. Il faut en avoir conscience, pour ne pas se tromper de responsabilités.
C’est le système global, mondial, qui est injuste et totalitaire, qui force les gens à fuir leur pays pour des raisons de guerre, d’insécurité, de pauvreté, raisons que l’on ne reconnaît presque pas. Et ces gens ne peuvent pas venir librement dans un pays pour y travailler et y vivre. C’est évidemment injuste et discriminant. Mais c’est sur le plan mondial que cela doit changer.
A travers les missions qu’il remplit, le CIRÉ observe-t-il une évolution, voire une recrudescence du racisme en Belgique?
Il apparaît d’évidence qu’il y a actuellement une forte crispation à propos des musulmans. C’est lié notamment aux événements du 11 septembre. Les musulmans ont été stigmatisés. Et, comme le dit l’auteur Amin Maalouf, c’est toujours par la partie de l’identité blessée, menacée que l’on se reconnaît le plus. C’est celle que l’on mettra en avant.
La communauté des Roms est également particulièrement discriminée. Leur mode de vie désoriente. Les familles Rom ont l’air d’être échouées dans la rue. Alors que le quart-monde des autres pays n’immigre pas, faute de moyens, les Roms très pauvres circulent.
Mais ce que j’entends surtout relève de crispations sur le plan économique. Dans les débats où je suis invitée à intervenir, on dit qu’on a été trop généreux avec la politique d’asile. Elle coûte, il est vrai, 30€ par jour et par personne. C’est cher mais c’est dû à un mauvais choix politique. Cet argent ne va d’ailleurs pas dans la poche des demandeurs d’asile mais dans les structures d’accueil. Cela dit, quand on s’irrite de l’argent investi pour ces personnes plutôt que pour des Belges dans le besoin, faut-il le comprendre comme du racisme? Il y a certes une méconnaissance du problème. Mais le racisme, c’est autre chose: c’est discriminer des gens sur base de l’appartenance raciale, de la couleur de peau, etc.
Lorsqu’on dit “aidons les Belges d’abord”, il ne s’agit pas d’une forme de discrimination raciste?
Il faut éviter de faire des amalgames et de trancher trop rapidement. Dire “nous d’abord”, reflète avant tout le problème de la concurrence entre pauvres. L’assimiler à du racisme ferme la question, alors qu’il y a des difficultés, des erreurs d’interprétation, voire des chocs culturels qui nécessitent d’abord d’en parler. Il faut, notamment, pouvoir nommer des comportements qui sont intolérables. Je vis à Schaerbeek, où des jeunes d’origine étrangère occupent agressivement l’espace public.
Ce n’est pas acceptable. D’où vient ce comportement? Comment le dépasser? Voilà des débats à mener. Mais il faut commencer par nommer les problèmes. Sinon, on ne gère rien et on crée une situation explosive. Après, il faut bien entendu causer entre voisins. Si vous ne connaissez personnellement aucun étranger et que vous vous irritez en silence quand vos voisins allochtones font trop de bruit, alors vous risquez de vous “consoler” avec des stéréotypes.
L’inburgering* flamand : une obligation positive
« Contrairement à la tendance d’opinion en Communauté française, au CIRÉ, nous considérons que la politique flamande d’”inburgering” est une politique positive. Car, à partir du moment où des moyens sont concrètement mis en œuvre pour tirer les gens vers le haut – dans le cas cité, apprendre le flamand si l’on s’installe dans un logement social flamand – il nous paraît positif d’instaurer certaines obligations. Rappelons qu’il existe deux obligations positives en Belgique: c’est l’obligation scolaire et l’obligation de vote. A notre avis, comprendre la langue du pays où l’on vit et comment il fonctionne, sont également des obligations positives, qui aident vraiment les gens à conquérir leur autonomie, leur émancipation. Sans contraintes, la tentation est grande de se reposer sur le neveu ou la cousine pour se faire aider. L’obligation doit porter évidemment sur l’effort à fournir, pas sur les résultats. »
* intégration civique
Qu’est-ce qui peut aider à lutter contre les formes actuelles du racisme?
Travaillons la question. Une bonne politique d’accueil des primo-arrivants doit prévoir des outils pédagogiques sur le vivre ensemble. Le CIRÉ a élaboré un dossier sur ce thème. Nous avons tenté de nommer les valeurs, les normes, y compris sociales, qui sont d’usage en Belgique. C’est un exercice difficile car on interprète toujours selon le rapport que nous avons personnellement à la norme. Si vous avez un coté rebelle (c’est mon cas), cela ne va pas de soi ; mais ce sont des indications qui aident à s’adapter, à savoir dans quoi on met les pieds.
Je ne nie aucunement qu’il existe des manifestations de racisme – qui vont d’ailleurs dans les deux sens – mais je crois essentiel de distinguer d’une part des stéréotypes racistes exprimés et d’autre part le fait de s’irriter de comportements incorrects. Certains comportements intégristes font peur. Est-ce une réaction raciste? Je ne crois pas. Ma collègue juriste Nathalie de Wergifosse vient de produire une analyse passionnante qui montre que les débats sur cette question de l’intégrisme traversent les sociétés arabes elles-mêmes depuis des siècles.
Nous avons commis de lourdes erreurs en Belgique en ne faisant pas attention à quel courant nous donnions une place prépondérante dans les mosquées, les cours de religion, faute de prendre la peine de comprendre ces tendances. Il est certain que les confrontations entre ces tendances augmentent. Et que les problèmes économiques ne vont pas aider à décrisper.
Interview réalisée par Christine Steinbach et Monique Van Dieren
Extraits de l’article initialement publié dans Contrastes n°149 (mars-avril 2012), revue des Equipes populaires
Photo : (c) Monique Van Dieren
Coordination et initiatives pour les réfugiés et étrangers (CIRÉ) : 02 629 77 10 – www.cire.be