Le nouveau film de Marie-Monique Robin – après « Le monde selon Monsanto », sorti il y a trois ans déjà – est une œuvre résolument humaniste et positive. Du Japon au Mexique, en passant par le Sénégal et le Malawi, on y rencontre des agriculteurs heureux ! A quoi tient ce miracle ? Il se résume à un seul mot, un seul concept, soutenu avec enthousiasme par notre compatriote Olivier De Schutter (voir Valériane n°97) : l’agro-écologie !
Au départ de ce film co-produit par nos amis de SOS Faim Belgique, Marie-Monique Robin se pose une question essentielle : est-il possible de nourrir le monde sans pesticides ? On voit en effet, sur un plateau de télévision, Bruno Le Maire – qui fut le ministre de l’Agriculture de Nicolas Sarkozy – prétendre le contraire à José Bové et Marie-Monique Robin, effarés… Une heure et demi plus tard, la conclusion est pourtant sans appel : ce sont les pesticides et le modèle économique qu’ils incarnent qui affament la planète ! L’industrie chimique a totalement échoué dans sa mission de nourrir les gens car un sixième de l’humanité ne mange pas aujourd’hui à sa faim. Il nous faut donc changer radicalement de paradigme agricole, et tout pourrait aller très vite grâce à l’agro-écologie : avec une vraie volonté politique, quatre ou cinq ans suffiraient amplement…
Savoir-faire paysans et démarches scientifiques de pointe
« Aujourd’hui, affirme Marie-Monique Robin, le monde a besoin d’une toute autre vision de l’agriculture et de son lien ave le consommateur. Faire venir de l’huile de palme, certifiée bio, de Colombie, comme le raconte Philippe Baqué dans son livre « La bio entre business et projet de société », cela n’a strictement aucun sens. C’est pourquoi j’insiste beaucoup sur la différence entre agriculture biologique et agro-écologie. Dans un système agro-écologique, c’est le paysan qui a les clés. Toujours ! Mon film montre qu’aujourd’hui le petit paysan détient toutes les solutions pour reconquérir le sol, le soigner. La fertilité, la qualité du sol assurent la santé des plantes, et par conséquent des Hommes : c’est le sens même de la pensée des pères fondateurs de l’agriculture biologique dont Nature & Progrès a emboîté le pas… Si on souhaite que l’agriculture retrouve pleinement l’ensemble des fonctions qu’elle avait auparavant – nourrir les gens bien sûr, et le mieux possible, mais aussi capter le carbone, donner de l’emploi, sauvegarder l’environnement, valoriser les terroirs, embellir les paysages, etc. -, elle ne peut s’appuyer que sur une paysannerie justement rémunérée pour son travail. Et, dans ce modèle de développement agricole, il n’y a pas de place pour des troupeaux de plusieurs centaines de têtes, en ce compris des vaches élevées en bio… »
Avec « Les moissons du futur », Marie-Monique Robin nous emmène visiter une demi-douzaine de pays à travers le monde où l’agro-écologie est, à chaque fois, incarnée par une famille de paysans très heureuse de son sort. « L’agro-écologie, précise-t-elle, n’est évidemment pas un catalogue de principes universels qu’on applique partout indifféremment ; il s’agit plutôt de pratiques spécifiques pensées en fonction de la nature des écosystèmes et des savoir-faire locaux, en partenariat avec les pouvoirs publics et avec la communauté scientifique. » Au Kenya, par exemple, nous rencontrons le professeur Zeyour Khan qui vante la célèbre méthode du push-pull (voir Valériane n°85) qu’il a mise au point pour les agriculteurs locaux. C’est dire combien l’agro-écologie repose tout autant sur une connaissance profonde des plantes et du milieu, sur un savoir-faire paysan, que sur une démarche agronomique de pointe…
La solution pour répondre aux crises actuelles
Dans ce modèle-là, nous ne sommes plus dans une relation verticale classique où le scientifique et ses connaissances dominent un paysan situé tout en bas de l’échelle ! L’agro-écologie est un système d’échanges strictement horizontaux où une collaboration étroite est, à chaque instant, de mise.
« Le rapport entre la science et la paysannerie est donc appelé à évoluer, poursuit Marie-Monique Robin. En agro-écologie, les paysans sont les piliers du système et n’en sont plus uniquement les exécutants. Une des bonnes nouvelles du film – un paysan allemand en parle longuement -, c’est qu’un sol très appauvri en matières organiques, par la faute des méthodes agricoles intensives, peut être régénéré en l’espace de cinq à six ans grâce aux techniques de l’agro-écologie. Celle-ci est donc incontestablement une énorme promesse, à condition bien sûr que la recherche s’intéresse à elle, à condition que s’accroissent aussi les échanges entre paysans. Mais de plus en plus nombreux sont les spécialistes qui la décrivent comme la voie dans laquelle il faut absolument s’engager : un rapport de la CNUCED (Conférences des Nations Unies sur le Commerce et le Développement) (1), de 2010, la recommande pour répondre aux diverses crises actuelles : crise alimentaire, crise de l’eau, crise climatique, crise sociale… A l’inverse, certaines tendances de la bio actuelle ont la fâcheuse tendance de ne plus s’occuper que de marchés et de vouloir tout résumer à une technique agricole qui n’est plus soucieuse que de fabriquer des produits labellisés… La bio est pourtant bel et bien – faut-il encore le rappeler ? – un véritable projet de société. Mais ce projet s’incarne peut-être mieux aujourd’hui dans l’agro-écologie qui remet le petit paysan – et la terre dont il prend soin – au centre de toutes les préoccupations… La bio fut une réponse très pertinente à un modèle agro-industriel chimique. Mais, un demi-siècle plus tard, la nature des crises que nous devons affronter a fondamentalement changé : elles sont globales, touchent au climat et aux ressources naturelles, elles sont autant d’ordre social que d’ordre agronomique… Il nous faut donc modifier notre positionnement, tout en confirmant les bonnes options que nous avions prises, comme les circuits courts, par exemple, qui recréent du lien avec le paysan et qui permettent de rapprocher le citoyen de la véritable valeur d’une nourriture de qualité. Le supermarché, lui, n’est pas une bonne solution, que ce soit pour la bio ou pour l’agro-écologie. Cela paraît très clair ! »
Un profond sentiment d’urgence !
Alors, va-t-on encore suivre longtemps les cours mondiaux des matières agricoles qui n’arrêtent pas de faire du yo-yo – voir l’article de SOS Faim, en pages 46-47 – ou se décidera-t-on enfin à permettre au petit paysan de reprendre en main son destin ?
« Quand je suis passée aux Etats-Unis, raconte Marie-Monique Robin, j’ai souhaité rencontrer un grand céréalier très fier de cultiver intensivement du maïs OGM sur une très grande surface. Je ne voulais absolument pas en faire le procès – ce n’était pas mon propos -, je voulais juste établir un parallèle avec un paysan mexicain qui pratique la milpa… Je suis tombée à ma très grande surprise, quelque part au cœur du Michigan, sur un gars totalement déprimé, véritablement inquiet pour sa santé et celle de ses enfants, pour l’eau qui est polluée… Mon film montre à quel point ce pauvre homme va mal ; je crois que c’est un des moments les plus intenses des « Moissons du futur »… Il me paraît donc clair aujourd’hui qu’on peut nourrir le monde si on applique globalement un modèle agro-écologique. On résoud en même temps des problèmes aussi énormes que ceux de la biodiversité, de l’eau, du climat ; on s’attaque à la crise alimentaire, à la crise sociale et à la crise énergétique car on sait très bien qu’on n’ira plus très loin avec un modèle agricole basé sur le pétrole bon marché. La raréfaction du pétrole va faire grimper rapidement le coût des intrants dans le conventionnel ; les cultivateurs conventionnels seront donc contraints et forcés de s’y prendre autrement et cela risque de se faire dans la douleur. Or, avec l’agro-écologie, on remet le monde entier sur de bons rails avec le seul levier de l’agriculture… Cette mutation doit être réalisée tant au niveau local qu’au niveau global, et tout cela doit se faire en même temps. Nos dirigeants doivent comprendre qu’il vaut mieux faire la conversion en douceur maintenant, plutôt que d’attendre d’être placés au pied du mur pour opérer dare-dare un changement de cap radical. Partout où je suis allée, les effets du changement climatique se font sentir, de manière beaucoup plus nette qu’ici ! Et plus personne ne doute là-bas que l’activité humaine soit bien la cause des changements. Je reviens donc très optimiste de mon tour du monde de l’agro-écologie. Mais je reviens aussi avec un sentiment d’urgence tel que je n’ai jamais connu… »
Un article de Dominique Parizel, publié dans la revue Valériane (Nature & Progrès), n° 98, nov.-déc, p. 48, 49
Photos: Marc Duployer © (la première) et Dominique Parizel © (la seconde)
Note : (1) Voir : http://archive.unctad.org/fr/docs/presspb20108_fr.pdf
[...] film « les moissons du futur » à Valériane Bruxelles. Le Réseau Idée a publié sur le site « Monde qui bouge » une présentation de ce film que nous avons nous-mêmes beaucoup [...]
[...] à Valériane Bruxelles. Le Réseau Idée a publié sur le site « Monde qui bouge » une présentation de ce film que nous avons nous-mêmes beaucoup [...]