« Toute rage est constructive, la lutte n’est jamais une fin en soi, et la contestation est inséparable de l’introspection. » Écorchée vive, Keny Arkana rappe ses plaies avec fougue et conviction.
La rappeuse lâche tout ce qui lui pèse, impose son rythme à la musique et entraîne l’auditeur dans sa course. Elle sait qu’elle n’est pas la seule à avoir connu les « violences du système », et le récit de son propre parcours nourrit une parole qui ne sombre jamais dans l’abstraction. Keny Arkana multiplie les points de vue, varie les échelles et dresse le portrait d’un monde en mouvement qui n’épargne personne! D’où lui vient sa conscience politique, quelles sont ses actions sur le terrain ? Avec son flow percutant, Keny Arkana ratisse large: de Kokopelli à Rosa Parks, en passant par le sous-commandant Marcos, la « p’tite marseillaise » nous a fait part de ses coups de gueule, de ses coups de coeur. Retour aussi sur ses choix artistiques et l’énergie qui l’anime.
Hélène (Quinoa) : Comment a émergé ta conscience politique ?
Keny Arkana : « Moi ce qui m’a toujours touché dans le rap, c’est le rap contestataire. Très jeune, même avant d’avoir une conscience politique, j’ai toujours écrit des textes anti-autorité, parce que j’étais en foyer, où je n’y ai connu que des autorités arbitraires. J’ai commencé à écrire très jeune, mais ma conscience politique, elle a émergé avec la crise en Argentine. Je suis d’origines argentines, donc peut-être que derrière, il y avait une quête identitaire inconsciente ? Mais j’ai vraiment voulu bien comprendre tout ce qui s’y était passé et par ce biais, j’ai une bonne lecture du système économique mondial… J’ai aussi beaucoup voyagé en mode « lutte » : en 2005, je suis allée voir les Zapatistes parce que c’était un mouvement qui me touchait. Je voulais voir de mes propres yeux ! J’ai rencontré le sous-commandant Marcos, j’ai aussi participé aux Forums sociaux à Porto Alegre, à Bamako… Énormément d’échanges, de rencontres. C’est un mélange de tout ça qui fait qu’aujourd’hui j’ai une petite conscience de ce qui se passe autour de nous !
Le nouvel album de Keny Arkana s’intitule « Tout tourne autour du Soleil » (Because) et sort le 7/12. La chanteuse sera également en concert à l’AB, le 8/03.
Sur le terrain, j’ai commencé à Marseille en 2004 avec les Assemblées Populaires. Cela a permis à plein de gens, de milieux différents, d’échanger ! C’était très positif aussi pour l’aspect générationnel : des personnes qui avaient vécu la seconde guerre mondiale sont venus nous parler. En 2007, on a repris ce concept et on a fait des Assemblées populaires dans toute la France, ainsi qu’en Belgique et en Suisse. A l’époque, je recevais énormément de message de gens qui me disaient : « j’ai envie de faire des choses, mais je ne connais personne… Comment m’y prendre ? » Ces forums ont permis à tous ces gens de se rencontrer, de parler de leur problématiques locales. Certaines ont continué pendant plusieurs mois. Cela a fait plein de connexions, de mises en réseau, qui on débouché sur d’autres projets annexe. Ces dernières années, j’ai aussi participé à des projets d’éco-village, dans le sens « on va récupérer la terre, autonomie ! » L’idée était de partager l’espace pour créer de nouvelles choses ! »
Quinoa : Parlons justement d’autonomie alimentaire…
K. A. : « Aujourd’hui en France, les plantes médicinales sont interdites. C’est un savoir qui est en train de se perdre. Les plantes c’est un patrimoine universel ! Touts les gens qui ont un petit terrain devraient en profiter pour stocker des graines ! Regarde, c’est ce que fait Kokopelli, et tout le monde s’acharne sur eux ! Leur activité est devenue illégale… »
Maki (Lezartsurbains) : C’est la meilleure manière de neutraliser les choses ! C’est une manière de faire table rase du passé et de déposséder les gens de ce qu’ils sont…
Quinoa : Les femmes ont toujours eu un grand rôle dans les révolutions ! Et dans le rap ?
K. A. : « Dans toutes les révolutions, c’est les femmes qui cassent le schéma. C’est Rosa Parks qui a dit « Non, moi je ne me lèverai pas ! ». Quant au rap, il a une image macho, certes. Mais d’après moi, il y a beaucoup plus de parité dans les domaines artistiques que dans les autres domaines de la société. Dans une grande entreprise, un homme et une femme n’auront pas du tout le même salaire, ne seront pas respectés de la même manière… C’est vrai pour le rap, il y a le concept de « quartier » mais, ça reste des artistes, avec des gens qui ont une sensibilité très ‘féminine’, une grande tolérance, peut-être plus que dans d’autre milieux ! D’accord, ils vont peut-être avoir un côté trop protecteur vis à vis de la femme, mais c’est beaucoup moins machiste que ce que l’on croit et beaucoup moins hypocrite… »
Maki : Une femme qui veut percer dans le rap, elle aura peut-être plus de chances de se démarquer
parce qu’il y en a beaucoup moins…
K. A. : « En fait, le rap c’est comme pour tout: on aime les gens « vrais »; La meuf qui est « vraie », les gens la soutiendront, le reste on s’en fout ! La question c’est plutôt si ça te parle ou pas. »
Quinoa : Sur ton nouvel album, la chanson « Indignados » célèbre les gens qui sont descendus en masse dans la rue. Que pense-tu de « l’après » ?
K. A. : « Il y a 10 ans, on en rêvait de ça. On rêvait d’un mouvement mondial où il n’y a pas de syndicats, pas de partis politiques, pas de chef, pas « d’encartement ». Aujourd’hui, on y est, tu vois ! Moi ce que je trouve beau, c’est ça. Il n’y a pas d’étiquette, c’est l’humain, l’indignation humaine, qui dit « maintenant on en a marre et s’il faut camper là pendant des mois en hiver, on le fera « . C’est international ! Ça s’est propagé et pas juste du coté des Indignés. Le printemps arabe, le mouvement Anonymous, c’est pareil. Putain, je sais pas combien de mouvements populaires il y a eu ! Et oui, je suis d’accord, c’est que le début. Mais c’est aussi une première dans l’histoire de l’humanité. On sait qu’on est plein, qu’on est connecté et qu’on n’a pas besoin de partis politiques… Il y a une solidarité réelle et c’est ça que je trouve magnifique. »
Quinoa : Au travers du printemps arabe en Égypte, on a vu les gens qui se mobilisaient et puis une période de flou. Tout est à construire…
K. A. : « C’est clair ! On a besoin de créer beaucoup, beaucoup de choses ! »
Quinoa : Tu associes la résistance et la créativité…
K. A. : « Oui, je pense qu’aujourd’hui si l’être humain se détruit autant, c’est parce qu’il n’a pas l’espace pour créer et par extension pour se réaliser. »
Maki : C’est clair, cet espace de création, on l’enlève ! Comme ça, on a une main-mise sur la
personne.
K. A. : « Mais tu penses qu’on a déjà eu de gros espaces de création ? Tu crois que si demain je devais fabriquer mes vêtements par exemple ? Eh bien je dirais « je sais pas » ! Et c’est ça qu’on doit récupérer. Autant l’être humain doit puiser en lui-même, autant au niveau politique on a besoin de réinventer des choses, de se réapproprier la terre parce que c’est là où il y a de l’espace. »
Quinoa : Tu portes des thématiques anti-capitalistes. Qu’est ce que ça implique d’être dans un label comme Warner ?
K. A. : « Je suis pas chez Warner, je suis chez Because. C’est un label indépendant, du coup pour les autres pays il y a un « bras » Warner. Donc c’est pas la même politique, il n’y a pas de pression. En fait j’ai trouvé le bon intermédiaire entre la grosse maison de disques et le « avec mes collègues on va faire un petit label ». Ce sont les mêmes pressions économiques finalement. Ici c’est un bon compromis : un label indépendant qui a assez de gros artistes pour ne pas devoir m’envoyer sur Skyrock (radio commerciale française) dès qu’il y a une baisse de régime ! C’est assez difficile mon rapport avec l’industrie du disque, c’est beaucoup de frustrations. Après, j’ai envie de te dire, les paradoxes, on vit avec, on est nés à Babylone ! Dans ce monde, il y a deux choix : soit j’essaie de penser à l’essentiel, et tant pis, j’ai des paradoxes mais je peux pas tout gommer. Soit je peux passer toute ma vie à fabriquer mes vêtements, à vivre dans ma grotte, j’aurai peut-être réussi à éliminer tous ces paradoxes, mais est-ce que j’aurai réussi à faire avancer les choses ? Non ! Si on veut bouger les choses il faut être « dans » Babylone, pas à l’extérieur. Finalement, peu importe où vont tes pieds, c’est où va ton cœur ! Demain, si un artiste fait la même chose que moi et qu’il occupe tous les plateaux télé, je ne lui jetterai pas la pierre ! Moi je ne le fais pas, parce que musicalement, c’est avec les gens, pas avec les médias. Après si les médias me boycottent, je m’en fous, je les ai boycotté avant… Moi ce que je veux, c’est rester avec le peuple. »
Une interview réalisée par Hélène (Quinoa) et Maki (Lezartsurbains)
Le site officiel de l’artiste: www.keny-arkana.com