Il existe aujourd’hui une volonté citoyenne de s’investir dans la gestion communale au-delà de l’élection des mandataires locaux. En matière d’environnement, des mécanismes efficaces permettent le bon fonctionnement de cette démocratie participative.
Certains le déplorent mais la majorité s’en réjouit : il est bel et bien fini le temps où les élus au conseil communal bénéficiaient de facto d’un blanc-seing valable pour la durée de leur mandature. Désormais, une part sans cesse croissante de la population souhaite un droit de regard et d’expression sur les projets qui influenceront plus ou moins directement son quotidien. Des outils ont dès lors été progressivement mis en place afin de répondre à cette volonté populaire et de permettre une participation citoyenne efficace. Enquêtes publiques, réunions d’information préalables, commissions consultatives, interpellations lors des conseils communaux… sont quelques-uns de ces outils au service d’une démocratie directe. A l’heure où les communes du pays viennent de renouveler leurs cadres, il nous a paru utile de nous attarder quelque peu, non pas sur les diverses formes de participation offertes aux citoyens, mais bien sur la philosophie qui les sous-tend et l’intérêt qu’elles revêtent.
L’information, préalable indispensable
Permettre la participation citoyenne, c’est bien… mais insuffisant : il importe aussi et surtout de faire en sorte que celle-ci puisse s’opérer efficacement. Dans cette optique, l’accès libre et facile à l’information constitue un préalable indispensable. Le citoyen doit pouvoir consulter tous les documents utiles pour se forger un avis éclairé ; mieux : l’autorité communale doit veiller à ce que le requérant bénéficie de toutes les explications qu’il jugerait nécessaires à la bonne compréhension de ces documents. Ce point s’avère particulièrement important en matière environnementale, compte tenu de la complexité et de la technicité des textes qui la régissent. Précision non négligeable : la Convention d’Aarhus (1) et le Code de l’environnement reconnaissent expressément le droit d’accès à l’information environnementale sans besoin de justifier un quelconque intérêt pour appuyer sa requête.
Exemple de situation concrète : lors de la procédure liée à la demande d’un permis d’urbanisme, chacun peut consulter l’ensemble des informations à ce sujet. Et si le citoyen souhaite des explications et/ou précisions relatives à ces informations, la commune est tenue de les lui fournir.
Ce développement des processus de participation citoyenne est toutefois loin de faire l’unanimité en sa faveur. Certains y voient en effet une contrainte non seulement inutile mais aussi néfaste, en ce qu’elle retarderait les procédures et favoriserait les phénomènes de type Nimby (« Not in my backyard »). Des arguments recevables mais pas pertinents pour autant.
Droit individuel, enjeu collectif
Certes, les mécanismes participatifs peuvent engendrer un allongement des délais, mais il convient de faire la part des choses : n’est-il pas sage et opportun d’organiser une enquête publique qui dure 15 jours avant d’accorder un permis d’environnement qui produira ses effets pendant 20 ans ?
Il serait également hypocrite d’affirmer que le phénomène Nimby n’existe pas et/ou qu’il n’utilise pas les armes que lui offrent les procédures de participation. Mais si des dérives existent bel et bien, elles restent marginales. Car l’opposition à un projet ne repose pas nécessairement sur une vision individualiste voire égoïste des choses, elle se fonde même le plus souvent sur des éléments objectifs et probants au service d’un intérêt collectif.
Exemple : une opposition motivée par des éléments tels que la violation de la destination d’une zone d’habitat ou le caractère lacunaire d’une étude d’incidence participe de facto à la défense des droits et des intérêts de la collectivité.
N’oublions pas, enfin, que « participation » n’est pas synonyme d’« opposition » : la mobilisation citoyenne ne vise pas systématiquement à contester un projet ! Elle peut aussi s’inscrire dans une démarche constructive de soutien (critique) où elle prend tout son sens. Remarques et demandes de modification participent alors à un travail collectif d’amélioration du projet initial et in fine d’approbation de la réalisation à venir.
Les clés de la réussite
La participation ne doit pas être perçue comme une charge administrative, mais bien comme une opportunité où prévaut le modèle « win-win ». Prenons l’exemple d’un projet immobilier soumis à enquête publique dans le cadre d’une demande de permis. En s’impliquant dans le processus participatif, le citoyen va disposer d’informations dont il n’aurait probablement pas eu connaissance par ailleurs. Cela lui permettra de lever certaines interrogations ou de balayer d’éventuels présupposés, mais aussi de formuler un avis argumenté.
Ce processus participatif permet régulièrement au public de découvrir la réalité d’éléments qu’il se contentait jusqu’alors d’imaginer. Par exemple, des riverains mobilisés contre un projet d’implantation de telle ou telle installation technique peuvent à cette occasion prendre conscience que celle-ci ne générera pas les nuisances sonores craintes par le voisinage.
Le promoteur a pour sa part l’occasion de présenter son projet à la population et d’entreprendre un dialogue qui permettra, le cas échéant, de lever de potentiels points de blocage et d’éviter ainsi que les choses ne s’enlisent et/ou ne s’enveniment. Enfin, cette participation du public va permettre à l’autorité communale d’être mise en garde sur certains aspects du projet, tantôt anodins tantôt essentiels, qui posent problème à sa population. Parallèlement, elle a l’occasion de faire connaître à ses citoyens un ensemble de contraintes et de réalités qui leurs échappent parfois mais doivent être prises en compte dans une réflexion globale. Cet échange contribue à alimenter les réflexions des élus et leur permet de prendre une décision en pleine connaissance de cause.
Responsabilité partagée
Évitons cependant de tomber dans l’angélisme : il est clair que certains projets (liaison autoroutière, implantation d’un centre commercial, projet éolien…) génèrent des tensions parfois vives entre les différents acteurs de la participation qui, tous, ont une part de responsabilité dans le bon ou le mauvais déroulement du processus. Le promoteur ne doit pas être là pour « imposer » son projet mais pour en faire une présentation laissant la porte ouverte au dialogue.
Lors d’un projet en matière d’exploitation de carrière, par exemple, la version originale prévoyait un flux important de camions. Suite aux interventions du public lors du processus participatif, une solution alternative a été proposée et acceptée par l’exploitant afin de limiter le charroi.
Le citoyen, lui, doit dépasser une vision individualiste pour faire primer l’intérêt collectif. Enfin, l’autorité publique doit se placer au-dessus de la mêlée et éviter de susciter la moindre suspicion de connivence avec l’un ou l’autre intervenant. Cette neutralité est primordiale pour assurer une participation efficace. Il n’y a en effet pire signal pour le public que l’impression que les jeux sont faits et que ses apports seront sans la moindre incidence sur la décision finale…
Un exemple lamentable en termes de bonne gouvernance que l’on peut donner pour illustrer cette situation est celui cette autorité communale qui délivre à un exploitant un permis d’urbanisme lui permettant de poursuivre une activité sur un site alors que, quelque temps auparavant, l’Unité de répression des pollutions (URP) avait dressé procès-verbal et ordonné la cessation de l’activité. Les soupçons de collusion entre l’autorité communale et l’exploitant que la population peut légitimement nourrir mine toute possibilité de dialogue serein entre les trois parties.
Une fois le processus de participation arrivé à son terme, il est important que les citoyens ayant décidé de s’y investir soient informés de la manière dont leurs remarques ont été (ou non) prises en considération. Certaines obligations s’imposent sur ce point aux autorités – comme par exemple la motivation des permis qu’elle délivre ou qu’elle refuse –, mais celles-ci ne doivent jamais hésiter à aller au-delà. Le sentiment d’utilité que les individus ressentiront ou non à l’issue du processus déterminera en effet sa survie et son dynamisme futur.
Un article publié dans Imagine demain le monde, nov./déc. 2012, n°94, p22 et 23.
Plus d’infos, lire le dossier « Les coopératives – Réveiller l’envie d’entreprendre»
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(1) La « Convention des Nations unies sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement », communément dénommée « Convention d’Aarhus », a été signée le 25 juin 1998. L’instrument de sa ratification par la Belgique a été déposé le 21 janvier 2003 auprès du Secrétaire général des Nations unies et elle est entrée en vigueur chez nous le 21 avril 2003. Cette Convention octroie des droits au public et impose des obligations aux autorités dans les domaines constituant les trois piliers que sont : 1) l’accès du public à l’information environnementale ; 2) la participation du public dans le processus de prise de décision liée à l’environnement ; 3) l’accès à la justice pour des matières environnementales.
Si les diverses commissions consultatives et les enquêtes publiques font aujourd’hui partie intégrante de la vie des communes, il est un outil de participation citoyenne moins connu et rarement utilisé, bien qu’il constitue sans doute la forme la plus directe de l’expression démocratique : la consultation populaire. Celle-ci est instituée par le Code de la démocratie locale et de la décentralisation, qui reprend l’ensemble des règles régissant les pouvoirs locaux des provinces et communes wallonnes. Il s’agit d’un processus participatif à l’occasion duquel les citoyens sont appelés à se prononcer, en dehors de toute élection, sur une question précise formulée de manière telle qu’on y répondra par « oui » ou par « non ». Cet outil s’avère d’autant plus intéressant qu’il peut être actionné par les citoyens pour autant que la demande soit appuyée par un nombre minimum de personnes (récolte de signatures) déterminé en fonction de la population au sein de la commune.
Il appartient à l’autorité communale de procéder à l’organisation de la consultation populaire, fût-elle initiée par des citoyens. Son déroulement s’apparente à la procédure électorale, à ceci près que la participation n’est pas obligatoire. Les votes ne sont dépouillés que si le taux de participation a été suffisant. A la différence de ceux du référendum, les résultats de la consultation populaire ne sont pas contraignants pour l’autorité. Il n’en demeure pas moins que celle-ci sera mise sous pression par le choix citoyen et devra s’expliquer si elle ne le suit pas.
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