Depuis octobre 2012, un mouvement populaire spontané du nom d’« Idle No More » (Fini l’inaction) est porté par les peuples autochtones du Canada. Ils revendiquent la préservation de l’environnement et l’amélioration de leurs conditions de vie.
Une plume rouge sur le cœur, ils chantent, ils dansent et frappent sur des tambours traditionnels aux quatre coins du Canada. Depuis le mois d’octobre, des Autochtones manifestent pacifiquement leur mécontentement face aux dernières lois fédérales, adoptées par le gouvernement de Stephan Harper, le Premier ministre du Canada. Ils sont réunis sous la bannière « Idle No More » (ou « Fini l’inaction »). Le point sur l’origine de ce mouvement et ses principales revendications.
Un mouvement unificateur
Le Canada compte une diversité de communautés et de Nations autochtones qui ne sont pas soumises aux mêmes traités. « La nation crie est par exemple régie par la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, alors que d’autres communautés n’ont pas négocié de traité ou tombent sous le coup de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, nos leaders politiques sont parfois divisés et ont des revendications propres », explique Dominique Rankin, ex grand-chef algonquin et auteur du livre « On nous appelait les Sauvages »[1].
En octobre dernier, Theresa Spence, la chef d’une réserve canadienne en Ontario (Attawapiskat), a entamé une grève de la faim et est devenu l’un des symboles de la cause autochtone. « Son objectif était d’attirer l’attention des chefs des Premières nations pour les réunir autour d’une même table », déclare Dominique Rankin, présent aux côté de la leader durant cette période.
La particularité du mouvement « Idle No More » est donc de fédérer les Autochtones du Canada, et ce, au-delà de leurs différences. « S’unir d’une même voix, c’est l’enjeu principal de ce mouvement afin de dialoguer avec ce gouvernement qui a adopté des mesures à l’encontre de la préservation de l’environnement », souligne Dominique Rankin.
À l’origine du soulèvement, un projet de loi a mis le feu aux poudres. Il porte le nom de « loi mammouth » ou loi C-45 et modifie soixante lois existantes, dont certaines touchant aux droits et aux intérêts des peuples autochtones.
Débats environnementaux et démocratiques en toile de fond
« La loi C-45 modifie la loi sur la navigation, la loi sur les pêches, ainsi que la loi sur les Indiens », analyse Doris Farget, chercheure post-doctorale spécialisée en droit international et canadien des peuples autochtones à l’Université McGill.
Le Plan Nord
La question autochtone est également liée au contexte de développement économique dont font l’objet les régions nordiques du Québec (ou « Plan Nord »). D’immenses territoires gorgés de ressources naturelles font l’objet d’une exploitation amenée à s’intensifier. Les défenseurs du Plan Nord arguent qu’il permet de réduire le taux de chômage dans les communautés autochtones. Les autres soutiennent que ce développement se fait au mépris des communautés et de la préservation de l’environnement.
Avec cette loi, les promoteurs et les entreprises industrielles auront davantage de latitude pour développer un projet sur des terres appartenant à une communauté autochtone. « Précédemment, tout projet de construction (ponts, digues, barrages, tunnels, etc.) susceptibles d’entraver la navigation faisait l’objet d’une évaluation environnementale et d’une autorisation de construction, explique Doris Farget. Avec la nouvelle loi, ce n’est plus nécessaire, donc la protection des fleuves et des rivières se trouve affaiblie. Il y a donc un impact sur les ressources et l’équilibre de l’écosystème dont dépendent principalement les communautés autochtones qui devraient être consultées sur ces lois touchant à leurs territoires. »
Le mouvement « Idle No More » dénonce cette démarche unilatérale du gouvernement Harper, alors que la Cour suprême du Canada [2] impose l’obligation générale de consulter et que la Déclaration des Nations Unies régissant cette matière impose (à certains égards, du moins) l’obtention du consentement [3].
Concernant la pêche, les règles s’appliquant aux Autochtones diffèrent légèrement de celles imposées aux autres Canadiens. Elles les autorisent par exemple à prélever des prises hors périodes de pêche autorisée. La nouvelle loi, quant à elle, introduit une distinction entre pêche autochtone et commerciale et impose l’obtention d’un permis de pêche aux Autochtones, alors qu’il n’était pas requis auparavant. « La nouvelle loi crée une incertitude pour les pêcheurs autochtones qui pratiquent cette activité dans un but commercial. Ici encore, une modification de l’état du droit précédent a été introduite et les Autochtones n’ont pas été consultés », souligne Doris Farget.
En outre, le mouvement veut attirer l’attention sur les conditions de vie des Autochtones dans certaines réserves[4]. Aujourd’hui, 60% des autochtones vivent en dehors de ces « espaces réservés », alors que le statut d’Indiens leur octroie le droit d’y résider. « Certains ont choisi en âme et conscience de quitter leur réserve, alors que d’autres vivent en-dehors de celle-ci en raison de la surpopulation et du manque de logements », explique Doris Farget.
La loi C-45 ravive le débat autour du droit de séjourner dans une réserve puisqu’elle vient modifier les modalités permettant à un Conseil de bande (équivalant à un « Conseil communal ») de céder ou louer un terrain au sein d’une réserve. « Contrairement à un Canadiens, un Autochtone ne peut pas prendre dans son coin la décision de céder ou louer son terrain à quelqu’un d’extérieur à la réserve, explique Doris Farget. Cette décision doit faire l’objet d’un vote à la majorité des membres de la communauté, ce qui permet d’assurer la participation d’un maximum de personnes aux décisions ayant des répercussions sur l’équilibre de la vie en communauté. Avec la loi C-45, le nombre de personnes requises pour se prononcer sur la location d’un terrain est plus restreint. Désormais, la décision appartient aux personnes présentes lors d’une réunion du Conseil de bande, alors que l’on observe un désengagement politique et social des habitants lors de telles réunions.» Une loi, qui d’après la chercheure, ne s’attaque pas au fond du problème, mais l’exacerbe.
Idle No More, une occasion d’éduquer
Au Canada, les peuples autochtones représentent 3,8 % de la population, ce qui équivaut à plus d’un million d’individus.
Compte tenu de la diversité des revendications en présence, le mouvement peut compter sur l’appui d’associations environnementales, de Canadiens non-autochtones, d’universitaires, de groupes militant pour les droits des femmes et d’associations telles qu’Amnesty International.
« Ce mouvement, c’est aussi une opportunité pour déconstruire les préjugés dont les peuples autochtones sont encore victimes au Québec et au Canada », pense Dominique Rankin. Des « teach-in » sont organisés dans les universités, durant lesquels étudiants et société civile sont invités à échanger avec des conférenciers (autochtones et non autochtones) sur des questions liées aux droits et à la culture des Premières nations.
Ces dernières semaines, les manifestants ont organisé plusieurs flashmobs (ou « rassemblements spontanés éclairs »), à Montréal et dans d’autres villes au Canada. Le mouvement est également relayé aux États-Unis et en Amérique latine, où d’autres peuples autochtones se sentent également concernés par ces questions.
Delphine DENOISEUX
[1] Dominique Rankin et Marie-Josée Tardif, « On nous appelait les Sauvages », Éditions Le jour, 2011
[2] Voir l’Arrêt Haïda de la Cour suprême
[3] Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a été ratifiée par le Canada en 2010, après trois ans de résistance d’Ottawa. Plus d’infos, lire l’article : « Autochtones: Amnesty International déplore la lenteur du Canada »
[4] Une réserve est un territoire appartenant à une collectivité autochtone. Il possède un statut spécifique qui diffère de celui d’une municipalité comme Montréal. Un exemple: l’impôt sur le revenu est différent pour les Autochtones vivant et travaillant dans une réserve, qu’il ne l’est pour ceux vivant et travaillant en-dehors de cet espace.
Photo (1) : Rivière Franquelin sur la Côte-Nord, au Québec (Delphine Denoiseux ©)
Photo (2) : La mine de Schefferville/Matimekosh. Deux compagnies minières (Labrador Iron Mines et Tata Steel) la ré-ouvrent et effectuent de nouveaux travaux de forage à proximité de la réserve innue. (Delphine Denoiseux ©)
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