Quel rapport entretenez-vous avec l’espace urbain? C’est la question que pose le projet « Ateliers urbains » aux habitants de Bruxelles. En partant des représentations mentales des participants, les animateurs les amènent à poser un regard critique, transversal et poétique sur la ville. À l’issue de la troisième édition, Monde qui Bouge a rencontré Gwenaël Breës et Axel Claes, coordinateurs et animateurs de ces ateliers créatifs.
Monde qui Bouge : Les « Ateliers urbains », cela consiste en quoi ?
Gwenaël Breës : C’est un projet lancé par le Centre Vidéo de Bruxelles (CVB) et Plus Tôt Te Laat (PTTL) (voir encadré). L’idée de départ, c’est de proposer des ateliers de création et de réflexion aux habitants de différents quartiers à Bruxelles, sur des thématiques urbaines. En 2009, on a travaillé durant un an à Flagey avec une douzaine d’habitants et de travailleurs du quartier pour réaliser un film qui s’appelle « Flagey ». En partant du même principe, on a réalisé l’année suivante un film avec des habitants du quartier Nord, « Le grand Nord ».
« Plus Tôt Te Laat (PTTL) est né en 1998, à l’initiative de chômeurs et d’artistes, dans le bureau de pointage de Saint-Josse. Cette association s’organise autour de deux pôles : d’une part les ateliers vidéo, de l’autre l’édition d’affiches et de brochures imprimées en stencil. PTTL travaille toujours sur un mode collectif ou collaboratif et possède une expertise dans l’animation d’ateliers vidéo. » Axel Claes, pour le PTTL
Pourquoi avoir axé vos ateliers sur le rapport à l’espace urbain ?
Gwenaël Breës : L’urbanisme nous conditionne tous au quotidien, mais les processus d’élaboration de l’aménagement territorial sont très souvent opaques et peu compréhensibles. Laisser ces débats avoir lieu dans des cercles clos et sous un angle hyper technique est une manière de les confisquer pour les laisser dans les seules mains des « experts ». Par contre, être conscient des acteurs et des intérêts en présence, des processus de décisions urbanistiques, les rendre davantage visibles et produire de l’information autour, c’est déjà créer une capacité d’action.
Axel Claes : Je viens du monde des arts plastiques où l’idée de se promener en ville et de dériver est une source d’inspiration. De plus, la recherche de formes collectives d’expression fait partie de mon approche artistique. Il y a 12 ans, il y avait un contrat de quartier dans ma rue, durant lequel j’ai vécu des formes de participation institutionnalisée. Ce fut un déclic pour moi : je me suis dit, ça intéresse mes voisins, donc je peux faire quelque chose avec eux!
Comment choisissez-vous les quartiers et le public cible de vos ateliers ?
G.B. : Nous choisissons des endroits où les habitants sont confrontés à des mutations urbanistiques. La place Flagey a subi une série de transformations commerciales et sociales, notamment. Quant au quartier Nord, c’est un quartier populaire qui a été démoli, puis reconstruit en quartier d’affaires. Quarante ans après, les travaux ne sont toujours pas terminés, alors que des gens y vivent.
Vous utilisez les cartes mentales comme point départ pour travailler dans vos ateliers vidéo. En quoi la réalisation d’une carte mentale est intéressante pour comprendre les représentations des habitants ?
G.B. : Une fois qu’on rencontre quelqu’un qui est intéressé à s’impliquer avec nous, nous organisons une rencontre individuelle avec cette personne et nous lui posons une série de questions sur les endroits qu’il fréquente, ses modes de déplacement, sa perception de la ville… Ensuite, on lui demande de dessiner tout cela. Certaines personnes ne dessinent que leur quartier car elles y passent le plus clair de leur temps ; d’autres ont une vision plus étendue. Lorsque tous les participants ont produit leur carte, on les réunit et on leur demande de se présenter, non pas en fonction des réponses habituelles (nom, prénom, âge,
origines…), mais par rapport à ce qu’ils ont dessiné, leurs connaissances et leurs perceptions de la ville. De là naissent des discussions intéressantes. Par exemple, à Flagey, quasi personne n’avait dessiné le canal ou ne pouvait représenter ce qui existe au-delà… C’est un point de départ pour une création vidéo collective.Vous partez des représentations subjectives que les habitants ont de leur quartier, pour les amener à traiter de thématiques transversales et plus globales. Quelles sont les thématiques qui vous tiennent à cœur ?
G.B. : Trois grands axes guident notre réflexion. Premièrement, nous privilégions une approche transversale de la ville, via des thèmes comme l’espace public en tant que bien commun ou la dualisation sociale (accès au logement, gentrification, etc.). Mais aussi, plus largement, nous nous intéressons à la mémoire de la ville et des luttes urbaines. On a tendance à oublier les raisons pour lesquelles la ville a évolué dans un sens plutôt que dans un autre. On ne se souvient plus de ceux qui ont résisté, des rapports de force qui ont existé autour de tel ou tel projet, de ce qu’était la ville avant « le tout à la voiture », etc. Selon nous, construire une mémoire collective de la ville permet de mieux comprendre son développement et d’agir sur des éléments actuels. Enfin, notre approche consiste aussi à poser un regard décalé sur la ville, et donc privilégier l’imaginaire et la poésie.
Début janvier, dans le cadre de la troisième édition des Ateliers urbains, vous avez organisé une exposition au Pianofabriek présentant le travail des habitants de différents quartiers : affiches, photos, textes, installations sonores et vidéo, cartes mentales… À travers cette variété de supports, les participants ont travaillé sur des thématiques très précises comme le vacarme en ville, le mobilier urbain ou la notion de frontière. Qu’ont-ils raconté sur ces thématiques ?
G.B. : Les frontières et les limites en ville sont des notions qu’on interroge peu. Nous avons tous des raisons plus ou moins conscientes de ne pas nous rendre dans certaines parties de la ville. L’objectif était donc d’amener les participants à décrire par le son ou l’image ce qui, d’après eux, constitue des limites ou des frontières. Ils se sont rendus par petits groupes dans différents quartiers de Bruxelles et ont montré qu’une frontière ou une limite peut être liée à la notion de barrière psychologique, à une distance trop longue à parcourir, une langue différente ou un sentiment de danger. Dans un montage sons et images, ils ont également montré qu’une frontière, c’est aussi une barrière physique : un boulevard, des bandes réservées aux voitures, une ligne de chemin de fer, un palais de justice…
Une série de photos amusantes présentait des participants des ateliers dans des positions saugrenues, accoudés sur une boite aux lettres, couchés, voire coincés entre des bancs publics… Qu’ont-ils voulu exprimer par ces clichés ?
G.B. : Cette série de photos avait pour thème le mobilier urbain que les participants ont tourné en dérision car il est parfois mal pensé, voire mal agencé dans la ville. En fait, ce mobilier est de moins en moins réfléchi pour le confort des corps. Il nous dissuade de traîner dans certains endroits. Il ne faut pas qu’on puisse se coucher ou rester assis trop longtemps. Il faut que tout aille vite, que les gens passent et surtout, qu’il n’y ait pas de clochards qui puissent s’installer. C’est une pensée dominante en matière d’urbanisme, aujourd’hui.
De quoi traitera votre prochain atelier ?
G.B. : Nous préparons plusieurs ateliers. L’un concernera la question des prisons en ville car les établissements de Saint-Gilles et Forest sont amenés à disparaître. Un autre se déroulera en marge d’une exposition au Passage 44, à l’occasion du déménagement de la Médiathèque. Nous allons également travailler pendant plusieurs mois à Cureghem, dans un immeuble de logements sociaux. Les habitants qui y vivent sont attachés ce lieu, mais il nécessite une rénovation lourde. La question qui nous intéresse est notamment celle du relogement des locataires. Enfin, nous lancerons en fin d’année un cycle d’ateliers (photo, écriture, dessin, etc.). L’aboutissement sera la publication d’un journal qui aura probablement comme thème, le mobilier urbain et la privatisation de l’espace public.
Propos recueillis par Delphine DENOISEUX
Illustration : Les Ateliers urbains© - Photo : Vernissage au Pianofabriek 01/2013 (D. Denoiseux©)
[...] Un article de Monde qui bouge, 25 février [...]