Pourquoi avoir créé ce festival 5 ans plus tôt ?
Zlatina Rousseva : D’abord parce que je suis cinéaste et que nous nous sommes dit que le documentaire ne jouait pas suffisamment le rôle qu’il était censé jouer dans la société, à savoir, construire des messages et mobiliser les citoyens via la connaissance de l’autre et l’émotion.
Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) sont huit grands objectifs adoptés par les 189 États alors membres des Nations Unies en 2000 et qui ont permis une levée de fonds « sans précédent » en faveur du développement. Les objectifs fixés sont les suivants: réduire l’extrême pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous, promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, combattre le VIH, le paludisme et d’autres maladie, préserver l’environnement et mettre en place un partenariat mondial pour le développement.
(Sources : Nations Unies, www.un.org et Oxfam France)
Le thème du festival est dédié aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), un cadre très vaste. Quels sont vos critères de sélection pour choisir vos films?
Z.R. : Le premier critère de sélection est thématique : nous sélectionnons les films qui traitent des urgences posées à la société, nous les envisageons le plus largement possible et sous l’angle le plus humain possible. Le deuxième critère est celui de l’histoire que raconte le film. Nous excluons de notre sélection des films « thèses », qui posent une affirmation et dont les images ne constituent qu’un remplissage. Ces films « constats » ne nous intéressent pas car ils sont à mon sens inefficaces : leur message est choquant et déprimant. Dans le festival, nous proposons des films qui permettent de rentrer dans la réalité de l’autre, en passant par l’émotion et par la réflexion, ce qui permet d’enclencher le processus pour « agir » ensuite. Le troisième critère est la qualité cinématographique.
Vous dites que le rôle du documentaire est de mobiliser le public. Pour autant, qualifiez-vous ce festival de militant ?
Z.R. : Non, il y a d’autres festivals pour cela. Notre objectif est d’ouvrir les yeux aux spectateurs, si possible de lui donner un espoir, ou en tout cas, de le mettre en recherche de solutions, en lui montrant que des gens luttent dans leur vie quotidienne et peuvent obtenir un résultat. Nous avons notamment proposé un panorama sur le Bangladesh, un pays en proie à de nombreux désastres. Au cours d’un film et de la discussion qui a suivi, nous avons vu que les habitants de Sutarkhali sont parvenu à se protéger de la montée des eaux, grâce à la mobilisation (cf. « Are you listening! »). Ce qui est important de montrer, c’est l’énergie et la force de ces personnes pour changer les choses.
Un message que la télévision ne diffuse pas ?
Z.R. : La télévision nous propose une image choc de la pauvreté ou de la guerre devant laquelle, nous comme spectateurs, nous nous protégeons car elle ne représente plus « l’être humain ». Ces images contribuent à tuer l’imaginaire et l’émotion car le spectateur se sent impuissant et se ferme. Le but du festival est d’ouvrir le spectateur à l’« humain », sous toutes ses facettes.
Quel genre de cinéastes cherchez-vous à soutenir ?
Z.R. : Nous soutenons des cinéastes indépendants car les télévisions imposent un cadre de travail trop strict aux réalisateurs. L’évolution de la situation de leur personnage va peut-être durer davantage que le temps de tournage que leur consacrerait une télévision, donc ce sont des réalisateurs qui sont prêts à consacrer une large part de leur vie à la réalisation de leur film, quitte (pour certains) à entamer leur tournage sur fonds propres.
En 2015, les OMD vont être redéfinis. Comment ce festival contribue-t-il à la réflexion ?
Z.R. : Cette année, nous avons souhaité insister sur la participation du public lors de débats après chaque film, pour que les spectateurs participent et partagent leurs questionnements, leurs impressions, leurs pistes de réflexion. Parmi les personnes qui ont animé les débats, les réalisateurs, mais aussi des experts, tels que Jean-Pascal van Ypersel, le CNCD, etc. Une WebTV du festival effectue aussi un travail dans ce sens.
Cette année, vous avez introduit une nouvelle compétition comprenant 10 documentaires « incontournables », réalisés entre 2000 et 2011. Quelle évolution observez-vous dans les thèmes traités par les cinéastes depuis 2000, date à laquelle les huit OMD ont été fixés ?
Z.R. : Lorsqu’on parle des OMD, on se réfère aux pays du Sud. Pourtant, la situation est en train de changer car la crise a causé des bouleversements ailleurs. Dans notre programmation, nous avons donc tenté de trouver une évolution dans le regard posé par les cinéastes. Par exemple, « Below Sea Level » traite de la dégradation des conditions de vie de la classe moyenne aux États-Unis, des « exclus » et des sans domicile fixe ; tandis que « Loosers And Winners » parle du renversement des rapports de force entre l’Europe et la Chine. En tant que festival dédié aux OMD, nous considérons que nous devons également parler de l’impact de la crise et des enjeux de développement, tels que nous les vivons en Europe.
Propos recueillis par Delphine Denoiseux – Photo : © Wavumba, 2012, Jeroen Van Velzen – Un documentaire retraçant les histoires d’un vieux pêcheur kenyan, projeté lors de la 5e édition du festival Millenium
Prix attribués lors de cette 5e édition
- Le documentaire « A World Not Ours » du palestinien Mahdi Fleifel a reçu l’Objectif d’Or, la plus haute distinction du festival
- Le Prix Spécial du Jury a été remis au film d’Andy Wolf pour « Le Capitaine et son pirate » de Marion Hansel
- Le documentaire de Sean McAllister, « The Reluctant Revolutionary », remporte le Prix de La Trois (RTBF)
- Le Prix des Européens, soutenu par le Parlement européen, a été remis au film « The New World » de Jaan Tootsen