Education à l’environnement et au développement : convergences et divergencesClés pour comprendre

5 juin 2013

Face à face entre Education relative à l’Environnement (ErE) et Education au Développement (ED). Entretien avec Christophe Dubois du Réseau IDée, qui revient sur les liens entre ces deux secteurs, ce qui les rapproche et ce qui les sépare.

 

Quels sont les origines de ce rapprochement entre secteur de l’ErE et de l’ED en Belgique?

Le concept  de Développement Durable qui s’est répandu chez nous il y a une bonne dizaine d’années a sans doute participé au rapprochement des deux secteurs, à faire sauter certaines frontières.

Il y a aussi eu certains événements, comme la préparation du sommet international Planet’ErE au Burkina Faso (juillet 2005), où on s’est dit « on va aller parler d’ErE dans le Sud, mais sommes nous formés ? »

A cette époque, des regards croisés entre une dizaine d’associations des deux secteurs ont alors été organisés. Dans un premier temps, l’idée était de partager notre histoire et nos visions éducatives,  par la discussion, ce qui a abouti à  un tableau des convergences et des divergences. Ensuite, pour plus de cohérence et pour mieux se connaître, nous avons décidé de co-construire en tandem cinq journées d’échanges, ouvertes à toutes les associations des deux secteurs, et plus largement.

Pour travailler ensemble, il faut partir du concret. Deux  associations  volontaires de chaque domaine, avec leurs propres méthodologies et approches, construisent une journée ensemble sur un même sujet (ex : la consommation, le développement durable). Cela amène à  un croisement, un échange, une analyse de ce qui peut inspirer de part et d’autre.

Cette volonté de croisement par le concret s’est prolongée  en 2006, par la co-construction d’un colloque sur « l’éducation pour  changer les comportements individuels ». Mais le changement de comportement individuel ne suffit pas s’il n’y a pas une modification du système. Nous décidons ensuite de faire un colloque sur « l’éducation comme levier de changement de société »,  avec des personnes de l’ErE, de l’ED, des personnes issues de l’éducation à la citoyenneté et de la promotion de la santé.

Ces évènements cherchent à s’inspirer des approches variées des différents secteurs, une influence mutuelle que l’on retrouve peu à peu  dans certaines animations et formations. Aujourd’hui les deux secteurs parlent des changements climatiques, ou des enjeux sociaux et environnementaux de l’eau, par exemple.

On le voit, plus de collaboration s’installe, des invitations aux évènements des uns et des autres. Cependant, cela reste du ponctuel, il n’y a encore rien de systématique, ni de très « engageant », comme par exemple un mémorandum commun. Au niveau sectoriel, le Réseau IDée (lire encadré) (Information et Diffusion en Education à l’Environnement) y travaille, mais il n’a pas réellement d’homologue en Education au Développement.

Qu’est-ce-que le Réseau IDée ?
Le Réseau IDée est le réseau des associations actives en éducation relative à l’environnement (ErE) en Belgique francophone. Par son travail, le Réseau IDée tisse progressivement des liens entre tous les acteurs de l’ErE: enseignants de tous les niveaux, animateurs, formateurs, parents, éco-conseillers…Il veut favoriser les rencontres entre ces acteurs ainsi qu’une meilleure circulation de l’information. Il valorise les projets et les outils pédagogiques, les formations et les centres d’éducation à l’environnement.
Il offre une information claire et centralisée de ce qui se fait en Education relative à l’Environnement en Wallonie et à Bruxelles : les outils pédagogiques existants, les centres d’éducation à l’environnement, leurs activités (animations, formations, stages, balades…), les expériences pédagogiques, etc.
Plusieurs services sont ainsi proposés : service d’information personnalisé, centre de documentation, prêt de malles pédagogiques thématiques (eau, énergie, alimentation,…), banques de données sur le site portail www.reseau-idee.be, magazine de l’éducation à l’environnement Symbioses directement téléchargeable.
Par ailleurs, le Réseau IDée organise des réunions d’échanges et de débats pour favoriser le partage d’expériences et faire évoluer la réflexion au sein du secteur de l’ErE. Il dialogue avec les pouvoirs publics pour promouvoir les positions stratégiques de l’ErE.
Par ailleurs, le Réseau IDée est aussi l’organisme qui alimente et coordonne le site Mondequibouge.be sur lequel vous êtes à l’instant même!

 

Comment ces liens entre ErE et ED s’articulent-ils ou doivent-ils s’envisager ?

Une question environnementale en ErE ne peut pas être  abordée sans questionner notre mode de développement, et inversement.

Il y a complémentarité, interférence, perméabilité.

Parmi nos finalités respectives, L’ErE et l’ED ont en commun de vouloir «  agir sur les comportements, à partir d’une vision critique des mécanismes de consommation, de modèles de développement destructeurs, de pillages des ressources, de domination et d’exploitation de certaines populations,… Chacun trouve nécessaire de renforcer la capacité à s’engager, à mieux comprendre les enjeux, au pouvoir d’agir des personnes et des populations sur le plan individuel et collectif.

Des mots clés de part et d’autre : solidarité, autonomie, esprit critique, émancipation, responsabilité, engagement, justice.

Dans l’évolution des deux secteurs, des parallèles peuvent aussi être faits : le démarrage se fait par une approche thématique (aide au développement/éducation à la nature) pour aller vers une approche de plus en plus systémique. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas encore une grande diversité d’approches, de pratiques, et de réflexions.

Il y a de plus en plus de convergences dans les thématiques : climat, eau, alimentation, consommation.

Lors des colloques et des regards croisés un point important a été abordé, c’est le rôle de l’éducateur :

Tous se voient comme des accompagnateurs, des facilitateurs pour aiguiser le sens critique et faire des liens. Ils partent des apprenants. En ErE on appelera ça « auto-socio-construction des savoirs », en ED où l’éducation populaire a eu beaucoup d’influence, on parle davantage de refus de la pédagogie « bancaire » (l’animateur qui remplit la tête de l’élève qui apprend, cf Paulo FREIRE). Mais derrière les mots, il y a plus ou moins la même une vision collective de construction du savoir. Même si en ED, la finalité est plus explicitement « politique ».

Autre convergence : nous sommes confrontés aux mêmes difficultés, aux mêmes contraintes concernant nos publics, nos partenariats et nos rapports aux pouvoirs publics.

Ainsi, en Belgique, si l’ErE est plus présente dans les écoles que l’ED, nous rencontrons les mêmes types de public dans leur profil socio-économico-culturel. Nous constatons une faible représentation des précaires, des entreprises et des politiques.

Nous vivons aussi souvent le même écart entre l’offre et la demande : Il nous est demandé plutôt un apport de techniques pédagogiques, une expertise, neutre et si possible ludique, alors que nous nous voulons accompagner sur le long terme, permettre une construction collective des savoirs, une pensée systémique et une critique sociale.

Autre constat commun : il y a une distance entre nous et les structures qui aspirent à la résolution des mêmes problématiques globales mais dont les moyens ne passent pas par l’éducation (distance entre Lobby environnemental et ErE, par exemple).

Il faudrait faire des passerelles entre la sphère éducative et la sphère politique.

Au niveau des subventionnements, les subventions de l’ED viennent de l’aide au développement alors que l’ErE tire ses fonds du ministère de l’environnement. Mais même si les pouvoirs publics concernés sont différents, les rapports aux institutions sont à certains égards similaires : de plus en plus la tendance est à évaluer la quantité plus que la qualité, une concurrence liée aux marchés publics, des sujets sont politiquement corrects et d’autres moins, donc des sujets finançables et d’autres non, etc.

Ce sont des tensions qui ont émergé lors de nos échanges : tension entre participation et résistance, entre liberté (faire ce qu’on veut) et stabilité (faire ce qu’on nous demande), entre neutralité et positionnement politique, entre éduquer et militer.

D’où l’utilité d’échanger de part et d’autre sur nos postures et nos pratiques d’éducateurs.

Vous venez de parler des convergences, qu’en est-il des divergences ?

Les différences, les particularités propres, les spécificités peuvent inspirer l’autre:

- Un rapport différent à l’individuel et au collectif. En général, en éducation relative à l’environnement, on va du local au global, on part plutôt de l’individu, son vécu, ses comportements pour passer aux enjeux plus globaux. En éducation au développement, c’est souvent l’inverse : on décortique les mécanismes d’inégalité, comment fonctionne le système, on parlera Banque Mondiale, FMI pour conclure comment je peux agir à mon niveau.

Cette différence est logique : le terrain d’accès à l’environnement est très local alors que pour le développement c’est moins palpable, c’est ce qui se passe là-bas.

Je pense qu’en ErE, il faudrait continuer à partir de l’individu mais  veiller plus systématiquement à aller jusqu’au collectif. Vouloir changer le comportement de l’individu sans parler du fonctionnement du système économique,  et par exemple du néo-libéralisme, ça ne suffit pas. De même en éducation au développement, il serait souhaitable de partir des soucis de l’individu, de le raccrocher avec du vécu, du sensoriel, du concret. Il est possible de s’inspirer des méthodologies de chacun.

- Le positionnement face au politique. En ErE, les projets éducatifs encouragent rarement à l’action politique, nous affichons plus facilement notre neutralité, même si aucun acte éducatif n’est neutre. Alors que lorsque  l’on interroge les acteurs de l’éducation au développement, ils parlent très souvent d’éducation politique engagée.

Je pense que tant en ErE qu’en ED, l’animateur/formateur n’est ni neutre, ni dogmatique. Par ailleurs, tous encouragent à la participation citoyenne.

La question de l’éducation populaire

Moins présente en ErE, l’éducation populaire a fortement influencé l’éducation au développement. Selon moi, un des grands enjeux en Belgique, pour l’avenir, c’est de développer l’éducation populaire à l’environnement auprès d’un public adulte précarisé. Ce que j’entends par là, c’est d’écouter les plus pauvres et les éveiller à leur environnement, non tant pour qu’ils s’émerveillent ou acquièrent un comportement particulier, défini par une culture dominante, mais surtout pour les outiller. Les éducateurs en ErE pourraient jouer un rôle pour que ces personnes puissent défendre leur droit – sans cesse bafoué – à un environnement sain, un cadre de vie agréable, à ce que les normes environnementales ne soient pas de nouvelles formes d’exclusion. Avoir une approche éducative qui leur permette de s’émanciper, de participer aux décisions, faire valoir leurs priorités, quitte à ce qu’elles déplaisent parfois aux environnementalistes eux-mêmes.

Lors de notre dernier colloque, la question posée était la suivante : « En quoi les différents champs de l’éducation peuvent-ils être des graines de changement de la société ? Pour quelle société ? Définie par qui ? » Ce « défini par qui ? », c’est très important.

A l’avenir qu’imaginez-vous comme liens entre ErE et EADSI ?

Faire des alliances ponctuelles, continuer à construire et à échanger ensemble, s’inspirer de l’autre, réaliser des partenariats sur des enjeux tant pédagogiques que politiques.

Faire des liens, sans trop complexifier.

Un projet qui vaudrait la peine d’être lancé, c’est de construire des propositions et des revendications éducatives communes ErE, ED, promotion de la santé, éducation à la citoyenneté, parce beaucoup de constats sont les mêmes. Il y a un renouveau de la conflictualité sociale, des critiques du capitalisme sans limites, un désir de convergences de luttes qui s’exprime de plus en plus. On voit de plus en plus d’alternatives locales existantes favorisées par l’ErE et l’ED, un relai médiatique qui se fait, un crédit donné aux ONG, donc un contexte qui permet de faire un rapprochement sur ces questions-là, un partenariat ponctuel

Avez-vous  envie de réagir à la proposition d’une éducation au bien commun?

Philosophiquement, la question du bien en tant que telle n’est pas neutre. Pour  moi  cela fait un parallèle à la notion de  ressource. Je pense que le lien que l’on peut avoir avec la nature dépasse de loin la notion de bien. Il y a quelque part une notion de possession et des dimensions qui manquent derrière. Il faut l’expliciter sinon on tombe sur la question : gestion bien commun, bien public, bien privé, rapport utilitariste à la nature etc.…Je crois qu’il n’y a pas besoin  d’utiliser ce terme là pour faire passer le message.

Article de Jeanine Gimeno GREF- CASI-Poitou-Charentes (légèrement adapté ici) et paru dans La Lettre du GRAINE n°21, 2012

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