La tendance est nouvelle : de nombreux écrits et fiches techniques à caractère technico-économique fleurissent aujourd’hui, en matière de maraîchage notamment. Toute démarche y est considérée et examinée dans son ensemble : pour une culture de tomate en bio, par exemple, sont estimés la masse de travail, la durée de culture et l’ensemble des coûts de production. Car il est nécessaire, afin de pérenniser une telle activité, de savoir exactement ce que cela coûte et ce que cela va rapporter. Pourtant, aucun ouvrage complet de maraîchage d’inspiration technico-économique ne semblait encore exister à ce jour. Quel joie de rencontrer, par conséquent, ce Jardinier-maraîcher, paru aux éditions Ecosociété (1), qui décrit complètement un système mis en place, dans ce qu’il a de moins visible surtout : la réalité économique qui se cache derrière les belles planches de légumes. Une ferme maraîchère, comme aime à le rappeler souvent Jean-Martin Fortier, c’est une entreprise avant tout, et pas seulement un lieu où poussent dans l’insouciance de belles plantes comestibles. Car si l’entreprise périclite, c’est toute la ferme qui disparaît. Et les fermiers qui se retrouvent brutalement sans emploi !
Un récit « invitant » !
« Le fil conducteur de mon livre, explique Jean-Martin Fortier, fut le partage d’informations techniques, de réalités éprouvées sur notre ferme… Pour avoir travaillé pendant sept ans avec Equiterre (2) à Montréal – un organisme reliant tous les projets en ASC (3) qui font des paniers bio -, je peux rapidement voir si une ferme préssnte de sérieuses lacunes sur le plan technique. Mon idée était donc de transmettre notre façon de procéder, du début à la fin, en étant sûr que cela soit écrit pour que la personne qui a peu ou pas d’expérience soit capable de comprendre la logique de chaque étape. Dans le chapitre sur les semis en plein sol, par exemple – page 99 ! -, le plus important à nos yeux était le petit tableau qui dit quel semoir et quel calibrage choisir pour quel légume… Bon nombre d’informations peuvent évidemment intéresser les jardiniers amateurs, mais mon livre s’adresse surtout à des professionnels, à des gens qui pratiquent le maraîchage pour en vivre. Et pour en vivre, je l’espère, très correctement ! Mon langage est donc, avant tout, un langage de maraîcher : un producteur s’adresse à d’autres producteurs. Je me suis également rendu compte qu’il était primordial de transmettre une histoire de réussite, de faire en sorte que mon récit puisse être « invitant ». Les gens qui veulent vraiment faire ce métier se font tellement raconter que ce n’est pas possible qu’il n’y croient déjà plus avant même de commencer… »
Alors justement, Jean-Martin, raconte-nous en quoi consiste ton expérience. Comment l’as-tu construite ?
« J’ai d’abord eu la chance, dit-il, de travailler sur une ferme, pendant quelques mois, au Nouveau-Mexique, dans le sud des Etats-Unis, avec Richard Bellanger, un Gaspésien exilé là-bas depuis une dizaine d’années. Maud-Hélène Desroches, ma compagne, et moi-même avons vraiment vu, grâce à lui, ce qu’était le métier de maraîcher. Et cela nous a vraiment séduits… De fil en aiguille, une ferme-école voisine nous a demandé si nous voulions nous occuper de sa production ; nous avions alors vingt-deux ans et cela a été le début de notre apprentissage « sur le tas » ! Nous n’avions absolument aucune autre expérience mais le gérant de cultures qui était là avant nous était tellement mauvais qu’il était difficile de faire pire. Nous sommes restés là une saison entière et avons passé l’hiver à visiter de nombreuses fermes afin d’en apprendre un maximum. Le meilleur conseil que je me suis jamais fait donner fut de lire le bouquin d’Eliot Coleman (4), intitulé The New Organic Grower, ouvrage qui dit clairement au producteur maraîcher quoi faire, quand et comment, mais toujours sur des surfaces réduites. Coleman dit avoir été fortement influencé par une visite, faite vers 1970, à l’un des derniers maraîchers parisiens qui travaillaient à la manière, très intensive, de leurs collègues du XIXe siècle. Ils faisaient jusqu’à huit successions par année, avec des espacements réduits, et Eliot Coleman raconte avoir vraiment compris, à ce moment, tout le potentiel de la petite surface. Vous comprendrez donc aussi que le présent voyage en France (5) et en Belgique revêt, pour moi, un sens tout particulier. C’est un peu comme un retour aux sources des méthodes que j’expérimente aujourd’hui quotidiennement… »
Back to Québec
« Après les Etats-Unis, Maud-Hélène et moi sommes revenus au Québec avec l’espoir de démarrer notre propre ferme. A vrai dire, ce fut plutôt un potager où nous avons encore continué un peu à expérimenter. C’est seulement en 2005, quand nous nous sommes installés sur le site de Saint-Armand dans le sud du Québec, où nous avions trouvé un hectare de terre disponible, que nous nous sommes vraiment posé la question de la rentabilité. Nous avons alors mis ensemble, en synergie, bon nombre d’idées récoltées un peu partout à travers nos visites dans le but d’aboutir à un véritable système productif. Nous avons alors décidé d’appeler notre projet « Les jardins de la Grelinette« , une sorte d’hommage à ce maraîchage à la française qui nous inspirait beaucoup…
A l’époque, rares étaient les fermes biologiques que nous visitions qui réussissaient vraiment bien. Or nous devions constater – et ce n’est certainement pas pour nous poser en donneurs de leçons ! – que la nôtre réussissait, elle, très bien ! Ce constat incluait autant la qualité des légumes que les heures passées au champ – nous n’y passions certainement pas quatre-vingts heures par semaine ! – et, surtout, notre niveau de revenu. Car, même si nous cultivions encore assez peu, nous gagnions déjà plutôt bien notre vie, à deux plus un employé. Nous gérions correctement nos problèmes d’insectes et de désherbage ; bref, notre projet était sous contrôle… Était-ce parce que nous travaillions vraiment d’une manière très différente ? Nous avons bien dû nous résoudre à en faire l’hypothèse… »
L’originalité d’un système
« Premier principe, dit Jean-Martin, pas de mécanisation, ou presque. Pas de tracteur, non pas parce que nous serions viscéralement anti-pétrole, mais surtout parce que cet outil conditionne la majorité des espacements en vigueur sur la ferme, et donc l’usage du terrain. Ce choix radical doit cependant être compensé par une organisation rigoureuse du lieu. Toutes les cultures y sont, par exemple, équidistantes de notre bâtiment multi-fonctionnel où s’effectuent le lavage et le conditionnement – voir le plan général en page 41 de notre livre. C’est bien la meilleure façon d’éviter les pertes de productivité, comprenez : d’économiser nos énergies de travailleurs. Car nous ne sommes jamais très loin de notre profit… Des espacements particuliers sont également généralisés : toutes nos plate-bandes ont une largeur uniforme de septante-cinq centimètres et sont systématiquement entrecoupées d’allées de quarante-cinq centimètres. C’est suffisant pour permettre le passage de brouettes et idéal pour jardiner accroupi sans s’abîmer le dos. Toutes nos planches sont longues de trente mètres, ce qui autorise une standardisation des équipements : la couverture du sol à l’aide de bâches opaques, par exemple, qui nous permet d’assainir facilement la surface des planches sans avoir à travailler le sol… Minimiser le travail du sol pour se faire aider au maximum par les vers de terre est aussi une de nos grandes idées… »
Seules entorses à la non-mécanisation de la ferme : l’usage d’un motoculteur polyvalent, ainsi que celui d’un petit cultivateur, développé par Eliot Coleman, et qui est, lui, propulsé à l’aide… d’une perceuse à batterie !
« Second principe, poursuit Jean-Martin : une organisation rigoureuse et sans exception, une standardisation générale des espaces de production qui facilite grandement l’exploitation, mais surtout les rotations de cultures. Produire une grande variété de légumes permet, en effet, une saine pratique de telles rotations et nos parcelles sont organisées afin de permettre des rotations… sur dix ans ! Mais nos cultures sont également planifiées de telle sorte qu’elles se succèdent immédiatement : nous remplaçons tout de suite un semis par un autre. Nous faisons même parfois partir le semis qui suit en pépinière pour qu’il soit tout de suite capable de prendre la place de celui qui est récolté. Bien sûr, tout cela doit être soigneusement calculé à l’aide d’un calendrier de cultures… Mais l’aspect le plus spectaculaire de l’intensivité telle que nous la concevons réside dans l’augmentation de la densité des cultures. Nous avons ainsi mesuré les espacements les plus serrés possible afin d’atteindre un rendement très élevé par mètre carré, tout en permettant au feuillage de couvrir rapidement la surface du sol. Nous considérons que les feuillages doivent se toucher aux trois quarts de la croissance de la plante… Plus ils seront denses, moins il restera de place et de lumière pour les « mauvaises herbes », et mieux l’humidité du sol sera conservée. De plus, les vers de terre trouvent ainsi un environnement de travail beaucoup plus favorable : ils travaillent dans le noir, et ils adorent cela ! »
Le rendement le plus élevé, les coûts de production les plus bas…
« OK, dit Jean-Martin, tout cela c’est de la gestion, c’est du design, c’est du détail… Mais tout cela a surtout pour but de maintenir les coûts de production à un niveau très bas. Dans une ferme maraîchère, ils doivent représenter 50% environ du chiffre d’affaires ; les autres 50% doivent payer ceux qui travaillent ! Donc, si on a vite fait de semer et de désherber avec un tracteur, il ne sera malheureusement – en dépit de son coût très important ! – d’aucun secours pour récolter. Et la récolte, c’est essentiellement de la main-d’œuvre ; c’est Maud-Hélène et moi, et c’est notre revenu. Notre revenu est prioritaire par rapport à l’entretien d’un tracteur ou à d’autres investissements très onéreux, raison pour laquelle nous préférons des équipements manuels moins dispendieux à l’achat. Il faut absolument éviter que de tels coûts de production s’accumulent dès lors que la rentabilité qu’ils promettent n’est pas garantie… Or penser qu’en maraîchage, on sera finalement plus rapide et globalement plus efficace avec un tracteur est une idée fausse, d’autant plus qu’avec le tracteur vient toute une panoplie d’équipements qui coûtent relativement cher… Mon idée maîtresse est donc d’affirmer que nous créerions beaucoup d’emploi si nous étions plus nombreux à cultiver intensément sur de petites surfaces. Plutôt que de toujours viser les gros volumes de production et de chercher des économies d’échelle, pourquoi ne pas multiplier les petites fermes autonomes ? Notre option finale, c’est de produire de la qualité. La qualité demande aussi une bonne fertilisation, une bonne gestion des insectes, etc. Toutes ces techniques existent déjà en bio. Dans notre livre, nous ne proposons donc rien de nouveau en la matière ; nous avons juste trouvé de bons mariages, de bons réglages… Pour moi, le gros de l’affaire réside, je le répète, dans le fait que beaucoup d’agriculteurs font de très mauvais choix d’équipements qui sont souvent tellement surdimensionnés par rapport aux besoins réels qu’ils font tendre l’ensemble vers l’inefficacité. Mais les gens s’obstinent à penser qu’un maraîchage sera plus rentable avec un tracteur. C’est malheureusement le contraire ! Mais j’ai beau l’expliquer et le démontrer, cela reste un message qui ne passe pas… »
Quelques compromis pour être rentable ?
Et Jean-Martin de réaffirmer que son maraîchage à lui est avant tout un business dont il doit faire vivre sa famille, et que sa ferme est une entreprise avant tout qui doit être gérée comme telle… Ce qui implique évidemment quelques sacrifices par rapport à une vision par trop idéaliste de l’agriculture, en ce qui concerne l’autonomie de la ferme, par exemple.
« Renoncer à faire son propre compost et ses propres semences, renoncer d’une certaine manière à l’autonomie, fait partie des compromis que requiert la viabilité économique de notre entreprise, concède Jean-Martin Fortier. Du reste, je m’efforce de travailler de la manière la plus écologique possible. Je produis donc mes propres plants mais pas mes propres semences parce que c’est vraiment un tout autre business qui est trop spécialisé. Cela demande, par exemple, un espace dont je ne dispose pas… Le compost que j’utilise n’est pas produit sur ma ferme, d’abord parce que je veux utiliser le meilleur compost possible. Le compost est le fuel de mon système biologique et, si je ne suis pas capable d’en produire moi-même avec une qualité optimale, il est préférable que je l’achète. Or comme je n’ai déjà pas de tracteur pour retourner la pile, il est beaucoup plus simple pour moi de m’adresser à un spécialiste. Et comme j’en utilise soixante tonnes par an – pour 0,8 hectare ! -, cela ferait vraiment beaucoup trop de matière à retourner manuellement. Je ne veux pas non plus qu’il y reste le moindre gramme de mauvaise herbe car tout notre système est basé sur l’obsession de ne pas en importer sur la ferme… Faire un bon compost est très technique, surtout à l’échelle où je l’utilise : il faut pouvoir le retourner au bon moment, il faut mesurer scrupuleusement les températures… Bien fait, il arrive tout chaud sur nos terres et il réchauffe les planches au printemps.
Il est vrai également que nous en revenons, çà et là, à de petites monocultures qui posent leurs propres problèmes de ravageurs. Mais là aussi, nous avons dû trouver des solutions spécifiques qui soient compatibles avec la bio : nous utilisons beaucoup de filets anti-insectes, ainsi que différents bio-pesticides. C’est, à mon avis, ce qui fait toute la différence entre un jardinier amateur qui travaille par plaisir et un maraîcher professionnel qui doit faire vivre sa famille. Nous avons une obligation de production, une obligation de résultat ! Mais la prolifération des insectes, à mon avis, est surtout l’effet du changement climatique, chez nous en tout cas. Le déséquilibre dans la nature est de plus en plus flagrant au Québec et nous devons y pallier… »
Circuits courts et prix sous contrôle…
« Nous avons résolument opté pour une commercialisation en circuit court, déclare clairement Jean-Martin. Je fais trois marchés par semaine ; le plus proche est à quarante minutes de chez moi. Nous ne vendons pas directement à la ferme qui est bien trop éloignée de tout… Le Québec n’est pas très densément peuplé ; il n’y a donc pas énormément de clientèle aux abords immédiats de la ferme. Nous proposons, par contre, des paniers bio : les légumes sont beaux, bien présentés, nous demandons un bon prix et les gens le paient avec gaieté car ils savent que ce qu’on trouve chez nous, on ne peut certainement pas l’acheter à l’épicerie. C’est juste pas le même produit ! Mais le prix de nos denrées reste toutefois sous contrôle car il existe, au Québec, une sorte d’index des prix, de veille des prix, mis au point par Equiterre. Cinq producteurs sont appelés chaque mois et leurs prix sont ainsi recensés pour une gamme de légumes donnée. Ces prix sont ensuite comparés à ceux des épiceries conventionnelles, des épiceries bio et des distributeurs, des grossistes. Tout cela donne un bon indicateur qui permet à celui qui commercialise en circuit court d’avoir une très bonne idée du marché et de savoir où il se situe exactement. Personnellement, je ne change jamais mes prix tout au long de l’année. Mais comme cela fait huit ans que je n’en ai monté aucun, je me dis qu’il serait peut-être tout doucement temps d’y songer. Car le coût de la vie, lui, n’a fait qu’augmenter. De plus, nous pratiquons des prix ronds – deux dollars ou deux dollars cinquante – afin de faciliter la gestion de l’argent. Et je n’écoule pas nécessairement toute la production, tout le temps… Il y a parfois un peu de perte… »
Rendre la démarche plus accessible…
« Je le répète, dit Jean-Martin, mon seul but dans tout cela a été de rendre les choses plus accessibles pour que d’autres personnes aient accès à la démarche, soient à même d’imaginer une pratique du maraîchage qui soit à nouveau rentable… J’espère donc que mon livre pourra les y aider. Peut-être que d’ici cinq ans, certaines d’entre elles viendront me remercier comme je suis moi-même allé remercier Eliot Coleman dont le livre nous beaucoup inspirés pour bien démarrer notre ferme. On en vit, et c’est le fun !
Mais je répète aussi qu’à mon avis, il existe incontestablement quelques pré-requis pour démarrer efficacement dans ce métier. Il faut être un bon manuel et avoir le sens pratique ; il faut surtout avoir la mentalité d’un entrepreneur et d’un gestionnaire. Etre juste idéaliste, aujourd’hui, ne suffit plus…
Quant au jardinier amateur qui voit un professionnel travailler avec des outils manuels, il pourra sans doute trouver là beaucoup de « trucs » qui vont le passionner. Mais le maraîcher professionnel va rechercher le geste efficace en permanence, tandis que le jardinier pourra s’y mettre deux heures par jour, en dilettante, juste pour dé-stresser un peu… Ce qui ne doit pourtant pas l’empêcher de chercher à être efficace malgré tout. Mais je suis d’accord : le jardinage, cela doit être beau et plaisant. D’ailleurs moi, j’aspire à ce que ma ferme soit belle. Ce n’est pas encore l’Eden bien sûr, mon Eden à moi serait beaucoup plus beau que cela… »
Dominique Parizel
Article paru dans la revue Valériane de Nature & Progrès, n°101, mai/juin 2013
(1) Jean-Martin Fortier, Le jardinier-maraîcher – Manuel d’agriculture biologique sur petite surface, éditions Ecosociété, 200 pages, 25 euros. Voir résumé sur le site du Réseau IDée
(2) Voir www.equiterre.org
(3) ASC, acronyme de « Agriculture soutenue par la collectivité », est l’équivalent francophone de CSA, pour « Community Supported Agriculture » ou « Community Shared Agriculture ». Ce système est grosso modo comparable à celui des AMAP – Association pour le maintien d’une agriculture paysanne – françaises. Voir www.youtube.com/watch?v=Je4zZOhdJW0
(4) Eliot Coleman et Barbara Damrosch, spécialistes du maraîchage sur petites surfaces, exploitent la « Four Season Farm », à Harborside, dans l’Etat du Maine, aux Etats-Unis. Voir : www.fourseasonfarm.com. Selon Jean-Martin Fortier, The New Organic Grower devrait prochainement être édité en français aux éditions Actes Sud.
(5) Jean-Martin fut notamment accueilli à la Ferme du Bec Hellouin, éco-centre et haut lieu de la permaculture en France. Voir : www.fermedubec.com
Bonjour jean martin fortier
j ai le grand plaisir de sollicité auprès de vous un contacte concernent l agriculture au burkina faso.
mon contacte téléphonique est le suivant 00 226 78 83 39 57 en esperant an le votre mes remerciment les plus distingés .