C’est souvent autour d’une technique spécifique que s’organisent de tels chantiers… Y avez-vous déjà participé ?
Hervé : Oui, et j’en ai aussi organisé. Par exemple, j’ai participé à un chantier chaux / paille : j’ai appris à bancher le mélange, comment il avait été constitué. J’ai également pris part à un chantier de maçonnage de murs en moellons. Par ailleurs, j’ai aussi organisé des chantiers : torchis, enduits en terre, briques de terre crue, tamisage d’argile, pose de nattes de roseaux… Ce furent toujours des découvertes, de personnes, de vécus. Outre le travail accompli, tout cela était concluant. En ce qui me concerne, le stress, la fatigue et l’organisation me pèsent toujours un peu.
Jean-Marc : J’ai suivi un chantier paille organisé par Nature & Progrès. J’en retiens surtout l’aspect formatif. J’ai aussi participé et même co-organisé d’autres chantiers dans le cadre d’une autre association. Et, de ceux-là, je retiens essentiellement les contacts qui se sont noués et le plaisir de voir des personnes peu sûres d’elles se découvrir capables de réaliser de belles choses ensemble.
Quelle est la différence avec un simple coup de main entre copains ?
Hervé : D’un point de vue pratique, dans les deux cas, on travaille ensemble sur un chantier, à l’invitation du maître d’œuvre ou de l’entrepreneur responsable. Mais dans un chantier participatif, ce ne sont pas forcément des amis, ni même des personnes que l’on connaît. L’idée n’est pas uniquement de faire avancer le chantier, mais aussi d’échanger : des savoirs, de l’expérience, du vécu…
D’où l’intérêt d’essayer de mieux définir ce dont il s’agit, et de bien organiser les choses…
Jean-Marie : Pour le moment, et depuis plusieurs années, il y a des chantiers participatifs organisés ici et là, mais certaines questions restent toujours aléatoires, comme les assurances, la légalité pour les demandeurs d’emploi, le partage des responsabilités entre les particuliers et les professionnels, etc. Il y une nébuleuse de responsabilités qu’il est essentiel de clarifier pour que ce type de pratiques se développe plus facilement, plus sûrement, plus clairement… Et pour que les pouvoirs publics s’intéressent sérieusement à ce nouveau modèle en train d’émerger.
Parlons des assurances, alors. C’est une question qui revient souvent quand on évoque le sujet. N’est-ce pas un frein à l’organisation de ce type de chantiers ? Quelles sont les solutions actuellement ?
Hervé : Les assureurs n’assurent pas ce type de chantier à prix raisonnable. L’assurance civile de chacun couvre. Nous n’avons jamais eu d’accident mais avons toujours expliqué qu’on travaillait « de bonne foi » et espérions que tout s’arrangerait bien le cas échéant. Bref, il n’y a pas de vraie solution pour le moment.
Jean-Marie : Il faut analyser sérieusement cette question des assurances. Les types de chantiers sont différents. A priori, les assureurs sont d’accord mais ils ont logiquement besoin d’une analyse des risques. Pour avancer dans ce domaine, il faudrait amener des éléments concrets et systématiques aux assureurs, ce qui est impossible à faire dans le cadre d’un chantier ponctuel.
Certaines personnes véhiculent un cliché. Un chantier participatif, ce serait le moyen de bénéficier de main d’œuvre « gratuite » pour faire avancer son chantier…
Hervé : Selon mon expérience, on n’avance pas toujours plus vite ou, en tout cas, mieux lors d’un chantier participatif. Bien sûr, la grande quantité de main d’œuvre fait que le travail de masse avance vite. Par contre, les nombreux échanges – car le but n’est pas de faire travailler les gens comme des forçats mais de prendre le temps de discuter, d’échanger -, le temps de formation, le suivi du chantier prennent beaucoup de temps et d’énergie. En outre, les gens qui viennent sont reçus avec nourriture, boissons et matériel au minimum, s’ils viennent pour la journée, et logés, s’ils restent plus longtemps. En général, ceux qui reçoivent de l’aide n’hésitent pas à en donner en retour, même après leur propre chantier. Il ne s’agit donc pas d’une espèce de pyramide « foireuse » car tout le monde gagne à chaque étape.
Jean-Marie : Il suffit d’écouter les témoignages de ceux qui organisent des chantiers participatifs pour comprendre que ce cliché est totalement faux. Tous les autoconstructeurs disent qu’il est plus facile de faire soi-même que de coordonner une équipe dans un esprit d’échange mutuel…
Jean-Marc : Pour moi, le risque se situe plutôt au niveau de la capacité ou de la confiance en soi nécessaires pour organiser un chantier participatif. Peut-être que les personnes moins armées le seront aussi pour oser mettre en place elles aussi un chantier participatif. D’où l’importance d’une charte… Nous devons réfléchir à des mécanismes de solidarité, permettant au concept de chantier participatif de profiter pleinement à tous et non uniquement à ceux qui ont les ressources nécessaires pour en organiser.
Au-delà de cet échange entre particuliers, il y a une vraie plus-value pour la société, pour la solidarité…
Hervé : Un chantier participatif permet de ramener un tissu social dans l’acte de construire et d’y faire entrer des personnes qui ne sont ou ne seront jamais du métier. L’habitat peut alors redevenir un projet un peu plus collectif, créateur de liens, et un peu moins un projet purement privé… Il y a l’aspect d’échange et d’entraide, il y a aussi celui de la formation – voir l’article ci-après…
Jean-Marie : Je suis certain qu’au niveau de la société, favoriser les chantiers participatifs est une manière d’inventer un nouveau modèle d’activités dans un contexte de crise de l’emploi et de crise du logement. Sur des chantiers participatifs peuvent naître des vocations, mais aussi de nouveaux métiers. Il y a notamment un grand potentiel de créativité dans l’économie locale de la construction et de la rénovation. Un chantier participatif peut aussi jouer le rôle de plateforme d’échange de « bons procédés », de bonnes adresses, d’achats groupés de matériaux, d’échanges de matériel particulier… A l’instar de ce que font, en France, les Castors, une association regroupant des autoconstructeurs.
Jean-Marc : Comme préalable à leur développement, il me semble important que les chantiers participatifs soient accessibles à tous ; je veux dire aussi aux allocataires sociaux. Mais aussi qu’ils ne soient pas gérés par des structures qui peuvent pratiquer un contrôle social : cela doit relever du simple droit d’association. Si cela est garanti, je pense qu’il s’agit d’une forme intéressante pour développer une économie vraie : se mettre ensemble pour créer une plus-value d’usage. Il serait donc intéressant que le monde associatif se saisisse de cette réalité pour garantir cet aspect-là : l’évolution des modèles de société et des liens d’échange… Mais cela bouleverse les représentations et les pratiques de la construction, non ? Pourquoi Nature & Progrès devrait-il s’engager dans ce domaine ?
Jean-Marie : Mais parce que personne ne le fait ! Quand on s’adresse à des professionnels de l’écobioconstruction, à des EFT (Entreprises de Formation par le Travail), beaucoup sont ouverts sur le principe des chantiers participatifs mais il leur semble logique que ce soit la société civile, le monde associatif qui, seul, puisse jouer un rôle de coordination, de prise en charge, de promotion de ce concept. Et puis c’est l’esprit de l’éducation permanente, non ? À partir des besoins et des projets des gens, faire en sorte que ceux-ci soient plus solidaires, que le modèle participatif ait une influence positive sur la société dans son ensemble… Cela me semble évident.
Jean-Marc : J’inclurais d’ailleurs également dans ce terme, sous une certaine forme, le travail de co-construction avec des corps de métier. Pour moi, il y a des liens avec la notion de chantier participatif.
Jean-Marie : Je propose même carrément de définir le chantier participatif, non pas comme un événement ponctuel autour d’une technique spécifique, mais plutôt comme l’ensemble de la démarche d’autoconstruction. C’est l’ensemble du chantier qui est « participatif » puisque l’autoconstruction pure n’existe pas ; c’est un fantasme. À part dans de très rares cas, il y a, de toute façon, des entrepreneurs qui interviennent pour le gros-œuvre, le terrassement, etc. Il y a forcément un architecte, il y a aussi les amis qui viennent donner un coup de main… L’autoconstruction est donc toujours partielle. Il serait donc plus juste de parler de chantier participatif pour l’ensemble de la démarche, pour remplacer en quelque sorte le terme d’autoconstruction, pour coller au plus juste à la réalité des choses. Les chantiers ponctuels sur une technique particulière pourraient être appelés autrement pour éviter la confusion : « chantier-école », « chantier-formation » – voir l’article ci-après -, « chantier ouvert »… Et cela, selon le degré de technicité et d’apprentissage qui est organisé, selon qu’ils s’adressent uniquement à des professionnels ou non…
Vous souhaitez rejoindre le groupe Forum des Bâtisseurs ? Contactez Guillaume Lohest au 081/32.30.58 ou en écrivant à guillaume.lohest@natpro.be
Bref, on le comprend, les chantiers participatifs ont un grand potentiel : ils semblent perçus positivement par tous les acteurs concernés. Mais certaines zones floues demeurent, notamment sur la question des assurances, sur la qualité des formations, sur l’accessibilité à tous, sur la garantie que tout le monde sera bien gagnant dans l’échange. Pour cette raison, le groupe Forum des Bâtisseurs, composé essentiellement d’autoconstructeurs, a décidé, cette année, de consacrer ses activités à ce sujet si prometteur. Notez déjà, dans vos agendas, la date du 10 novembre 2013 : s’y tiendra la seconde édition du Forum des Bâtisseurs qui a eu tant de succès en 2012.
Propos recueillis par Guillaume Lohest
Article paru dans la revue Valériane de Nature & Progrès, n°102, juillet/août 2013
Dans le cadre du projet Interreg Eco-construction et Citoyens, se développe une action « formations ». Pour la réaliser, deux types de formations sont organisées. L’une itinérante à travers la Belgique et la France dans les écoles professionnelles de la construction, et l’autre pour des professionnels sur des chantiers en cours de réalisation. Durant ce mois de mai, il y a donc eu de l’animation sur un chantier à Rossignol ! Il s’est, en effet, transformé en « chantier-formation »…
Nous nous sommes rendus sur le premier chantier-formation organisé principalement par Terre Académie, un des partenaires du programme, sur un chantier de paille pas comme les autres…
Le premier type de formation s’organise avec une introduction théorique reprenant les principes du bioclimatisme, d’étanchéité à l’air, d’isolation, de performance des matériaux avec un intérêt particulier pour la paille, l’argile et le chanvre. La formation s’intéresse également aux techniques de mise en œuvre et à l’organisation de ce type de chantiers. Le volet pratique de la formation est réalisé par la construction d’un cabanon dans les écoles ou par la réalisation d’abris divers construits dans les communes intéressées. Le but ? Comme l’explique Nathalie Hollange, de Terre Académie, c’est de « sensibiliser les jeunes à des modes constructifs différents, à utiliser des matériaux non-industrialisés, non-transformés. C’est aussi revoir à la hausse la mission du professionnel, de l’artisan. »
La seconde formule de formation, est proposée sur trois chantiers : l’isolation par l’extérieur en ballots de paille à Rossignol, en Belgique, la rénovation d’une dent creuse à Novion, en France, et une construction en ballots de paille porteurs – la localisation du chantier pas encore connue. Nous étions donc sur le chantier de Rossignol du 6 au 17 mai, pour ce premier « chantier-formation ».
Comme le souligne Nathalie Hollange, le « chantier-formation » est différent d’un chantier participatif : « ici, dit-elle, on n’a pas d’objectif d’efficacité, on n’est pas tenu de réaliser un certain nombre de mètres carrés, d’avancer dans le chantier… Mais on a un objectif de qualité ! » Une formatrice, Isabelle Melchior, forme et encadre les professionnels sur le chantier ; elle présente une séance théorique en début de journée et ensuite une séance pratique. La théorie s’oriente sur les étapes de la construction, les matériaux, l’organisation du chantier, la sécurité ou encore les différents outils utilisés. La pratique se déroule sur le chantier que le propriétaire met à disposition en donnant la possibilité de découvrir les différentes techniques. Dans ce cas typique de rénovation et d’une isolation par l’extérieur en ballots de paille, les participants ont complètement isolé deux faces du bâtiment en découvrant les différentes techniques et détails.
N’hésitez pas à visiter le site internet www.ecocc.eu pour les prochaines formations ou à contacter Terre Académie : info@terreacademie.eu – 082/66 75 32.
Si vous n’êtes pas professionnel mais intéressé par le projet, rejoignez l’action ambassadeurs. Plus d’infos dans la revue Valériane n°101 ou par e-mail – interreg@natpro.be – ou par téléphone au 081/32.30.61 (Pauline Feron, Nature & Progrès).
Eco-construction et Citoyens est un partenariat entre Eco-Territoires, Terre Academie, ALE 08, Vents d’Houyet et Nature & Progrès.
« À chaque détail, on arrête les participants pour donner une explication, précise Nathalie. » Le but est évident : « ouvrir le champ de la construction de matériaux locaux et non-transformés, reprendre la gouvernance de leur métier pour que les professionnels ne soient pas de simples poseurs de matériaux mais qu’ils les connaissent sous tous leurs aspects. C’est aussi agrandir la possibilité de mettre en œuvre différents modes constructifs pour permettre aux particuliers de les adopter sans plus être obligés de se tourner vers les constructions conventionnelles, et aux professionnels de répondre à la demande. »
La première formation pour professionnels du projet Interreg Eco-construction et Citoyens s’est terminée le vendredi avec des participants enrichis de nouvelles connaissances et satisfaits, et des propriétaires heureux de voir le projet de leur habitation se concrétiser, de plus en plus, et surtout d’être bien exécuté !
Pauline Feron
Article paru dans la revue Valériane de Nature & Progrès, n°102, juillet/août 2013