Lisez également l’article « Les Community Land Trusts, bientôt chez nous? » paru dans le magazine SYMBIOSES n°86 en 2010.
Ce soir-là, dans une petite salle du 22 de la rue Vandenpeereboom, à Molenbeek, se serrent une trentaine de personnes. Au programme : du rêve ! Ces personnes sont en effet là pour imaginer leur futur logement… Driss est venu avec une belle maquette en carton, réalisée avec ses enfants : un duplex, avec un salon pour les invités – « je pourrai réaliser un mur, qui ne monte pas jusqu’au plafond, avec une arcade » –, quatre chambres – « avec une pour ma mère qui vit chez nous six mois par an » –, une salle à manger avec une cuisine américaine… Certains n’ont pas eu le temps de réfléchir, ne savent pas, d’autres préfèrent une cuisine fermée ou un appartement de plain pied. Violetta piétine à l’avant, impatiente de montrer le collage réalisé par ses enfants : une grande maison avec un jardin sur le toit, quatre chambres, une cuisine bien lumineuse, un barbecue à côté…
Chacun passe à son tour pour décrire ses envies, ses besoins. Tous ici participent depuis un certain temps à un groupe d’épargne solidaire, le groupe Arc-en-ciel, réunis par leur souhait de devenir propriétaires. Mais plutôt que d’acquérir leur appartement de manière individuelle, ils se sont lancés – avec l’aide de diverses associations (1) – dans un projet collectif : un Community Land Trust. Et espèrent voir, dans quelques années, s’élever ici leur chez-eux tout neuf.
Connu par les initiés sous l’acronyme de CLT, le Community Land Trust est une façon différente de concevoir la propriété, née aux Etats-Unis, où elle existe depuis une quarantaine d’années déjà. Son principe ? Le sol appartient au CLT, qui l’a acquis grâce à des subsides publics ou par donation. Ce CLT cède le droit à des ménages d’y construire ou d’y rénover leur logement, qu’ils pourront ensuite revendre s’ils le désirent, mais en ne conservant que 25 % de la plus-value éventuellement réalisée (les 75 % restants servant à maintenir un prix accessible pour les suivants). Une partie des lieux sera si possible consacrée à un équipement collectif pour le quartier, et le conseil d’administration gérant le trust sera composé pour un tiers des occupants, pour un tiers des pouvoirs publics et pour un tiers de représentants du quartier, voisins ou associations. « Il faut revenir à une forme de sanctuarisation de la terre, commente Nicolas Bernard, professeur de droit à Saint-Louis, et que les pouvoirs publics jouent le jeu : la terre ne se vend pas. »
« Nous avons commencé par une étude de faisabilité il y a trois ans, raconte Thomas Dawance, de la plate-forme CLT Bruxelles. Aujourd’hui la notion de CLT est définie dans le nouveau code du logement, et nous venons d’acquérir un premier bâtiment à rénover à Anderlecht. » Pour l’instant, le chemin se trace en marchant : des questions notariales restent ouvertes, celle de la sélection des candidats également. « Les CLT seront ouverts aux personnes dont les moyens se situent entre le revenu d’intégration sociale et le revenu maximum permettant d’accéder aux crédits hypothécaires du Fonds du logement. »
L’Espoir fait des petits
Au-delà du « simple » achat d’un bien, la volonté du CLT est aussi de créer du lien, d’autoriser des familles aux revenus (très) modestes de concevoir leur logement. En prenant modèle notamment sur un projet pilote en termes de participation, L’Espoir (2), qui a permis à 14 familles de faire construire leur propre immeuble passif. « Cela a représenté cinq ans de réunions, de contacts avec les autorités, de visites d’autres bâtiments, de suivi de chantier, raconte Joséphine Mukabucyana, l’une des habitantes. Mais avec de la patience… Aujourd’hui cela se passe bien, et nous avons d’autres projets, comme un jardin collectif. »
A L’Espoir, les familles sont des propriétaires « classiques », même si elles ont été aidées par le Fonds du logement. Elles pourront donc revendre si elles le désirent leur logement au prix du marché. Contrer ce travers est l’un des grands avantages des CLT : la spéculation sur le foncier est bien entendu totalement évitée, puisqu’il ne sera pas vendu, mais celle sur le bâti pour partie aussi, grâce à la limite imposée au vendeur. « Ces logements seront ainsi définitivement réservés à ceux qui ont le plus de mal à en acquérir, reprend Thomas Dawance. Quant à ceux qui revendront, ils auront un petit pécule qui les autorisera soit à avoir recours au Fonds du logement pour acheter sur le marché “classique”, soit à constituer sans souci une garantie locative. » Par cet accès à la propriété du bâti (et à un bâti de qualité), l’espoir est que ces familles sortent de la précarité et puissent placer leurs ressources et leurs forces ailleurs ! « Etre propriétaire, c’est aussi assumer des responsabilités, signale Donatienne Hermesse, de la maison de quartier Bonnevie, qui suit les habitants de L’Espoir. Un syndic, ce n’est pas un propriétaire, il y a toujours des charges communes à payer, etc. Nous avons fait la somme des coûts annuels ensemble, afin de mieux les prévoir et de mettre de l’argent de côté. Mais c’est une vraie solution, notamment pour les familles nombreuses, pour lesquelles les logements adaptés à leurs besoins manquent énormément. »
Si aujourd’hui deux lieux concrets sont sur la voie du CLT, rue Vandenpeereboom à Molenbeek et rue Verheyden à Anderlecht, bien d’autres sont en gestation et la Wallonie s’intéresse également à l’idée. Une très belle aventure commence !
Laure de Hesselle
Article publié dans Imagine demain le monde (n°97, mai-juin 2013).
Cet article fait partie d’un dossier plus large intitulé : « Louer, rénover, construire écolo-abordable – Le logement comme anti-crise » (10 pages)
Légende photo : Quelques habitants de l’Espoir, devant leur propriété. Les aspects participatifs de ce projet ont servi de modèle pour les Community Land Trust en Belgique
(1) Ciré, Bonnevie, CLTB asbl…
(2) lire Imagine n° 80, juillet-août 2010.
En savoir plus :
communitylandtrust.wordpress.com