El Salvador : petit pays, grands paysansClés pour comprendreReportages

30 juillet 2013

Grâce au soutien de l’importante fédération paysanne FECORACEN, les petits agriculteurs salvadoriens sont en mesure d’affronter bien des défis.

« La souveraineté alimentaire est au cœur de notre engagement », déclare Oscar Vecinos, président de la FECORACEN. « En tant que fédération des coopératives paysannes, nous soutenons nos membres dans la production et la commercialisation de produits agricoles. Nous proposons entre autres des emprunts, des semences ainsi qu’un accompagnement technique. De plus, nous aidons les paysans à s’unir pour constituer de nouvelles coopératives et de nouveaux syndicats. Nous défendons leurs intérêts et tenons un plaidoyer politique aux niveaux local, national et international, car le plaidoyer fait également partie de notre travail sur la souveraineté alimentaire. »

FECORACEN
QUI ? Fédération regroupant une vingtaine de coopératives paysannes.
QUOI ? FECORACEN a été fondée en 1985 et aide les paysans à commercialiser leurs produits, en particulier le maïs et les haricots. Depuis 2005, Oxfam-Solidarité soutient ses actions liées à la souveraineté alimentaire et la durabilité. Cette aide se concrétise sous la forme de conseils et d’accompagnement des membres ainsi qu’au travers d’un plaidoyer politique aux niveaux local, national et international.
EL SALVADOR
C’est l’un des plus petits pays d’Amérique centrale (21.000 km2), avec près de 6,3 millions d’habitants. Depuis la réforme foncière des années 80 et l’introduction du libre-échange, les petits paysans peinent à générer des revenus suffisants. Le changement climatique renforce leur vulnérabilité aux catastrophes. Les droits des femmes et des filles sont encore trop peu reconnus et respectés.

L’alimentation, un domaine d’action très vaste

Dans un pays comme le Salvador, les petits paysans isolés ont bien du mal à vivre des fruits de leur travail. Devenir membre d’une coopérative comporte donc de nombreux avantages. « Nous dispensons des conseils sur la commercialisation des produits et œuvrons aussi en tant que coopérative afin d’améliorer l’accès au marché à un meilleur prix. »

« Nous avons ainsi développé une alternative permettant aux paysans de vendre directement leurs produits aux consommateurs sur un marché fermier. Sans intermédiaire, le vendeur bénéficie d’un revenu plus important. Mais ce système requiert une bonne organisation : les paysans doivent pouvoir livrer des produits de qualité en suffisance, au bon endroit et au moment où les clients le désirent. »

L’accès au marché constitue un premier pas mais les paysans doivent aussi disposer de terres, de semences, de crédits, d’infrastructures et même de protections, par exemple contre les catastrophes ou les effets du changement climatique. Il s’agit d’une mission importante des autorités, desquelles on est en droit d’attendre une politique agricole de soutien. Ce n’est pas pour rien que la Federación de Cooperativas de la Reforma Agraria Regio Central (FECORACEN) accorde tant d’importance au plaidoyer politique.

Les Salvadoriens ont l’habitude de lutter

« Nous venons de traverser une période désastreuse », déclare Oscar Vecinos. « Jusqu’en 2009, le régime libéral à la tête du Salvador a conclu de nombreux accords de libre échange avec les États-Unis et d’autres pays. Les taxes à l’importation sur les denrées alimentaires de base comme le maïs ou les haricots ont été ramenées de 246 % à 15 %. Les frontières de notre pays ont ainsi été ouvertes aux importations américaines bon marchés. Ce ‘dumping’ ou cette concurrence a poussé de nombreux petits paysans a cesser leurs activités. Les coopératives qui les avaient protégés jusque là ont été interdites car elles étaient considérées comme des ennemis idéologiques. Mais les Salvadoriens ont l’habitude de lutter pour leurs terres. Nous y sommes contraints depuis des décennies. »

Plusieurs coopératives agricoles ont tout de même pu survivre à cette période noire. Depuis l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement progressiste en 2009, différentes catégories de la population sont représentées. Le gouvernement encourage désormais même activement la création de coopératives.

Oscar Vecinos : « Nous négocions actuellement avec dix coopératives désireuses de s’affilier à la FECORACEN. Le Salvador compte au total 1.900 coopératives agricoles. Notre fédération bénéficie aujourd’hui de plus de marge pour soutenir les paysans, par exemple pour commercialiser leurs produits. »

La réforme foncière, à quel prix ?

Lors de la réforme foncière des années 80, les paysans ont obtenu l’accès à des terres, à condition d’en payer le prix. Les semences et les autres moyens de production permettant de travailler les terres manquaient, ce qui a entraîné une baisse de la production. Les coopératives qui avaient emprunté des fonds se sont alors immanquablement retrouvées dans une spirale d’endettement.

« FECORACEN s’est engagée dans la lutte contre l’endettement et a obtenu que les paysans ne doivent plus payer que 10% de cette dette. Jusqu’il y a peu, les banques confisquaient les terres des coopératives qui ne pouvaient rembourser leurs emprunts à temps. Nous avons contribué avec succès à faire adopter une loi interdisant cette pratique », souligne Oscar Vecinos.

La fédération a d’autres réussites à son actif. Ainsi, le droit à l’alimentation est désormais repris dans la constitution. « Nous y avons contribué grâce à notre travail de plaidoyer », déclare un président convaincu. « Dans le cadre du projet Vaso de Leche, les autorités utilisent exclusivement le lait des producteurs locaux. 10.000 bouteilles sont ainsi distribuées chaque mois dans les écoles, et FECORACEN y apporte aussi sa pierre à l’édifice. »

Perdre le sommeil face à l’avenir ?

Il y a peu, 90% des terres du Salvador étaient gérées par à peine 14 familles. Cette poignée de riches propriétaires terriens continue d’exister et les fédérations comme FECORACEN représentent une menace à leurs yeux.

« La production d ‘agrocarburants et l’essor du tourisme accaparent de plus en plus de terres disponibles dans notre pays. Le Salvador est un pays petit très densément peuplé, et les terres y constituent donc un bien rare et précieux. Il y aura toujours des riches désireux de les acquérir », explique le président. « C’est précisément pour cela que le soutien d’Oxfam-Solidarité est si essentiel à notre fédération. Il nous renforce dans la défense des droits des paysans. Ensemble, nous développons d’autres modèles et des propositions de loi alternatives sur le commerce et l’agriculture. Notre vision dépasse d’ailleurs le contexte local et le présent : la durabilité constitue le point fort de notre action. »

En tant que fédération, FECORACEN a pour but de renforcer et d’inspirer la société civile. « Nous ne nous dispensons pas seulement aux paysans des conseils techniques pour augmenter leur rendement mais aussi pour exploiter les sols de façon durable. Nous nous rendons également dans les écoles en vue de présenter la notion de durabilité aux jeunes. »

« Nous organisons également des cours d’éducation sexuelle à leur attention. Ces séances favorisent la participation égale des femmes et des hommes au sein des coopératives. La jeunesse est vitale : en tant que fédération, nous souhaitons encourager la prise de responsabilités par les jeunes et leur expliquons qu’il existe de bonnes alternatives aux politiques commerciales libérales. Nos activités s’intègrent parfaitement dans la campagne internationale d’Oxfam CULTIVONS. La terre. La vie. Le monde. »

Au Nord comme au Sud, on peut se demander s’il est utile de perdre le sommeil face à des thèmes mondiaux comme le changement climatique et la discrimination liée au genre. Le président Vecinos en est déjà convaincu. « Un ruisseau qui gargouillait encore joyeusement il y a 20 ans est aujourd’hui tari. Le temps où l’on y voyait la volonté de Dieu est dorénavant révolu. »

« De plus en plus de paysans salvadoriens constatent que leurs problèmes locaux découlent de changements à un niveau plus élevé, régional ou mondial. Comme le démontre la campagne CULTIVONS d’Oxfam, le changement climatique diminue fortement les récoltes des petits agriculteurs. C’est pourquoi cette campagne constitue un bon outil pour continuer à sensibiliser les coopératives. Et nous ne sommes pas seuls. Nous sommes membres du mouvement paysan mondial La Via Campesina. Ces nouveaux mouvements nous permettent de favoriser des changements sociaux. Le réseau possède une force immense. »

Chantal Nijssen et Wouter Fransen
Article paru dans le magazine d’Oxfam-Solidarité Globo (n°42 – juin 2013)

Photo : © Tineke D’haese/Oxfam-Solidarité

Des agriculteurs qui s’unissent sont mieux à même de se faire entendre

Notre partenaire FECORACEN souhaite offrir aux paysans un meilleur accès au marché. Le chemin pour y parvenir est pavée d’obstacles politiques sur le plan local et national. De nombreux bourgmestres craignent le potentiel de ces coopératives. En s’unissant, les citoyens sont plus forts et plus émancipés. Ils constituent ainsi un pouvoir alternatif.

Une autre pierre d’achoppement importante pour les producteurs locaux, le libre-échange effréné et ses importations à bas prix, doit en effet être éliminée à l’échelle nationale. Un tel changement législatif devra cependant respecter les limites définies dans les accords de libre-échange. Les accord de cette nature interdisent par exemple aux autorités de se procurer leurs réserves alimentaires exclusivement auprès de producteurs locaux.

Le soutien d’Oxfam-Solidarité à FECORACEN se concentre surtout sur le renforcement des capacités, tant au niveau de la production agricole (plus de résistance et de diversification), que du plaidoyer politique et de l’organisation interne (genre, participation).

Au cours des dernières années, notre organisation partenaire a pu engranger quelques réussites remarquables avec le soutien d’Oxfam.

Eric Van Mele est directeur-adjoint du programme Sud et gestionnaire du programme Amérique latine chez Oxfam-Solidarité.
Article paru dans le magazine d’Oxfam-Solidarité Globo (n°42 – juin 2013)

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