Pression politique, pression sociale… Les scientifiques ont longtemps eu la tentation de s’enfermer dans leur tour d’ivoire pour mener leurs recherches. Pourtant, depuis plusieurs années, une évolution se dessine dans le paysage de la recherche : des partenariats et des financements sont destinés à soutenir des projets menés (voire « co-élaborés ») par des associations, des citoyens et des chercheurs académiques.
C’est ainsi qu’en juin dernier, un groupe de scientifiques de l’Université de Leyde a associé quelques milliers d’individus à une collecte de données sur la qualité de l’air extérieur aux Pays-Bas, révèle le Courrier International. Résultat de cette journée ? Plus de 5000 mesures ont été récoltées un peu partout dans le pays. Munis d’un capteur fixé à leur smartphone, ces habitants sont sortis mesurer les particules fines présentes dans l’air, « issues des gaz d’échappement, des rejets industriels ou encore de l’incinération des déchets ». Grâce à une application téléchargeable, les données mesurées à deux moments distincts de la journée ont été transmises vers la base de données des chercheurs. Une façon d’obtenir une « photographie » des polluants présents dans l’atmosphère.
Collecter des données liées à son environnement
Les scientifiques l’ont compris : l’évolution des technologies mobiles et du numérique permet au quidam de collecter (et de traiter) une série d’informations liées à son milieu de vie, à son environnement… Ou du moins « facilite » cette démarche. Parmi les raisons qui ont poussé le groupe de chercheurs à travailler avec le citoyen lambda, un sujet d’étude qui s’y prête bien. « D’abord, ce genre d’observations scientifiques a un intérêt pour les habitants : elles concernent l’air qu’ils respirent et la pollution qui peut affecter leur santé. Deuxièmement, beaucoup de monde possède un smartphone, ce qui permet aux citoyens d’effectuer eux-mêmes de telles mesures. Et comme notre technologie qui découle de l’astronomie et de la recherche spatiale se trouve être suffisamment robuste pour fonctionner sur des smartphones, nous avons saisi l’occasion! », explique Frans Snik, chef du groupe de recherche de l’Université de Leyde.
En outre, « ces mesures seront comparées à celles mesurées par des spectromètres professionnels », lit-on sur ISPEX, le site web des chercheurs. L’objectif ? Déterminer la précision de mesures fournies par les smartphones et le type d’informations supplémentaires qui peuvent être fournies. En effet, la méthode utilisée par les scientifiques a ses limites car « les données collectées par les spectromètres dépendent du temps qu’un satellite met pour se déplacer, et celles des stations terrestres, de l’endroit où elles sont localisées », informe De Volkskrant.
Enjeux éducatif et d’accès à l’information
Lors des ROUMICS, Bastien Sibille a souligné la portée éducative de ce type d’initiatives, que certains rattachent au concept de « science citoyenne ». «Tout à coup, des citoyens peuvent faire remonter une information ou une connaissance sur un territoire. C’est l’occasion de faire avancer plus rapidement une recherche ou une cause environnementale », explique le chercheur.
En outre, pour s’assurer de la validité des données récoltées, les scientifiques mettent à la disposition des participants un protocole leur permettant d’apprendre à poser une observation scientifique. Aussi, la science citoyenne n’échappe pas à la question de la « gouvernance », pense Bastien Sibille. « Moi, citoyen qui ai contribué à une recherche, vais-je pouvoir avoir accès aux résultats de l’étude à laquelle j’ai participé ? », interroge-t-il. Certes, la science citoyenne est garante d’un travail plus « collaboratif ». Mais certains souhaiteraient aller plus loin et proposent aux scientifiques de partager leur travail en autorisant un tiers (qui aurait par exemple appuyé la recherche) à utiliser le contenu sous certaines conditions de réutilisation et/ou de distribution (ou « Licences creative commons »). Espoir illusoire ou non, la question a le mérite d’être posée.
« L’important, c’est de participer! »
Amener le quidam à collecter des données, à les traiter, voire à participer aux orientations d’une étude… Les possibilités qu’offre la science citoyenne sont diverses. Mais d’après Frans Snik, l’enjeu actuel consiste d’abord à impliquer le citoyen dans les recherches menées. « Je pense qu’il y a différentes versions de la « science citoyenne » et c’est bien. Le plus important, c’est que les citoyens soient impliqués d’une manière ou d’une autre dans la recherche scientifique menée à l’heure actuelle. » A vos téléphones ?
Delphine Denoiseux
Sources : Frans Snik (contacté par Mondequibouge.be), ISPEX, Le Courrier International, De Volkskrant, Les ROUMICS
Illustrations : ISPEX ©
Quelques idées pour participer à un programme de « science citoyenne »
- En Belgique, participez à l’observation d’espèces et au monitoring sur le site web de Natagora et AVES : www.observations.be
- En France, participez au projet « Sauvages de ma rue » qui a donne l’occasion aux citadins de reconnaître les espèces végétales qui poussent dans leur environnement immédiat. Les données récoltées sont ensuite analysées par le Muséum national d’Histoire naturelle et Tela Botanica. www.sauvagesdemarue.fr
- En France toujours, l’Observatoire des papillons de jardin de Noé Conservation fait appel aux outils Internet de saisie d’observations : www.noeconservation.org > Les Observatoires
- Aux Pays-Bas, en septembre, les chercheurs de l’ISPEX prévoient une nouvelle journée d’échantillonnage pour mesurer la pollution atmosphérique. L’occasion d’inclure à leur recherche les étudiants et les vacanciers qui n’étaient pas là en juin dernier! www.ispex.nl
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