Aujourd’hui c’est le grand jour ! La première sortie dans la circulation de Nadia, Najet, Jeanine et leurs acolytes, toutes cyclistes en herbe. A l’arrière de la Maison médicale des Primeurs à Forest, sur un vaste terrain en friche mais néanmoins bétonné (2), c’est l’heure des derniers préparatifs… Choisir sa bicyclette, en ajuster la selle, revêtir sa chasuble fluo… « Tu pars faire la balade, Najet ? » « Oui, je vais essayer, j’espère que ça ira… ». Plus loin, une petite nouvelle tente de s’asseoir sur une selle trop haute. Elle hésite un peu, a peur, tremble, perd l’équilibre… « C’est la première fois, elle n’a jamais fait de vélo », confie son amie. Elle finira par rester ici, sur le site, aux côtés d’autres femmes qui ne se sentent pas encore suffisamment à l’aise pour affronter la ville à vélo.
Le groupe des plus « entraînées » se réunit sur le trottoir. Carmen Sanchez, animatrice (ou plutôt « véloéducatrice ») de l’asbl Pro Velo, leur donne les dernières instructions, avec tout l’enthousiasme et la poigne qui la caractérisent. Le « top » est donné, les femmes se lancent au beau milieu des voitures, trams, bus. Si les premiers mètres zigzaguent quelque peu, très vite la vitesse de croisière est atteinte, tout en confiance. La concentration reste de mise, mais laisse progressivement place à de larges sourires de satisfaction. Même le soleil a répondu à l’appel pour ce vélo-tour guidé dans les rues de la capitale. Accompagnées d’une guide et d’encadrants formés pour les sorties vélo, les cyclistes à l’essai découvrent les abords du canal, marquant quelques pauses instructives, près des Abattoirs d’Anderlecht ou encore de l’ancienne Brasserie Belle-Vue à Molenbeek (3).
Témoignage de Nadia :
« Je n’avais plus roulé à vélo depuis mes 12 ans. Je sais tenir sur un vélo, mais ça faisait tellement longtemps que je n’en avais plus fait… J’ai toujours eu envie de rouler à vélo à nouveau, pour être libre de mes faits et gestes. Avant la formation, j’étais très crispée. Maintenant je suis plus à l’aise. Ce qui m’intéressait aussi, c’était de pouvoir rouler en ville. Les voitures, ça me stresse… Je suis marocaine et dans notre culture, une femme à vélo, ce n’est pas courant. Ce n’est pas comme une Belge à vélo. On nous regarde bizarrement. Mais moi je m’en fous. Et je suis contente de voir que de plus en plus de femmes roulent à vélo, même en foulard. J’ai aussi rencontré des gens ici, on a fait connaissance. Et ça fait plaisir de voir que certaines femmes qui ne savaient pas rouler avant n’ont presque plus peur aujourd’hui de monter à vélo. »
En réalité, cette visite n’est qu’un prétexte pour que ces dames se mettent en selle après une ou deux années d’entrainement dans le cadre du projet « A vélo Mesdames ! » de Pro Velo. Cette journée de sortie réunit des femmes provenant de différents groupes participant sur Forest et Saint-Gilles : deux maisons médicales, une association de promotion de la santé et un CPAS (centre public d’action sociale). Point commun entre toutes ces dames : avant la formation, elles n’avaient jamais déposé le pied sur la pédale. Ou peut-être, il y a bien longtemps. A raison d’une séance hebdomadaire pendant quelques semaines, Carmen les a accompagné dans ce processus d’apprentissage du vélo : trouver l’équilibre, regarder loin devant soi et surtout oser surmonter sa peur… et donc apprendre à avoir confiance en soi.
Tomber les freins
C’est la diversité qui rassemble ces dames : différents âges, différentes origines. Différentes raisons qui les ont amenées ici aussi : apprendre à rouler à vélo pour s’y adonner en famille, faire de l’exercice pour des raisons de santé, mais aussi et surtout prendre un moment pour elles, sortir de leur isolement et rencontrer d’autres femmes.
Pour certaines d’entre elles, se mettre en selle relève du défi. Le frein premier n’est autre que la peur… Le peur de tomber, surtout. Mais aussi la peur de s’aventurer en rue à vélo, alors que des membres de la famille, des voisins, des amis s’y promènent. « Elles sont mal à l’aise de rouler à vélo dans le quartier, car elles connaissent beaucoup de monde », explique Alexandre de la Maison Médicale des Primeurs (4). Ce qui les freine aussi à franchir le pas pour devenir cycliste au quotidien : le vélo qu’elles n’ont pas. « Ce n’est pas seulement pour des raisons financières, car Pro Vélo propose des vélos de seconde main à prix abordable. C’est surtout parce que la plupart d’entre elles habitent en appartement et qu’elles n’ont nul part où stocker leur vélo », poursuit Alexandre. Lui et sa collègue Mylène ont été formés par Pro Velo pour accompagner les groupes dans la circulation. Une formation globale donc, qui propose d’ailleurs aussi aux participantes des conseils pour faire le bon choix lors de l’achat d’un vélo ou encore un atelier de réparation de son deux roues.
Le tour se termine. Le groupe des « pros » (on peut bien les appeler ainsi après ce qu’elles viennent de braver haut la main !) rejoint celui des débutantes, au bord du canal pour un pic-nic. Bilan de cette journée : près de 13 km parcourus, deux petites chutes, une égratignure et, sans aucun doute, une grande fierté d’avoir osé affronter la ville à deux roues.
Céline Teret
Reportage réalisé dans le cadre du dossier « Mobilité » du magazine Symbioses (n°99, été 2013)
(1) selon l’Observatoire bruxellois du Vélo
(2) ce terrain en friche deviendra d’ici quelques années le projet Biodivercity, mené par le contrat de quartier Primeurs-Pont de Luttre
(3) découverte de projets Feder à vélo
(4) outre la Maison Médicale des Primeurs et Pro Velo, les autres associations à Forest qui collaborent autour de ce projet sont : Forest Quartiers Santé, Partenariat Marconi, la Maison médicale à Forest, ainsi que, les années précédentes, le GRACQ qui a fait don de 5 vélos
- Au sujet de la formation « A Vélo Mesdames » de Pro Velo EDUC : 02 502 73 55 – c.sanchez@provelo.org – www.provelo.org > A vélo Mesdames
- Sur la question des genres et de la mobilité, lire « Ca roule ma poule ? Théories et actions collectives de femmes pour la mobilité en Wallonie » (C. Lienard, éd. Université des femmes, coll. Cahiers de l’UF, 2010)
[...] Mondequibouge.be : Etre femme dans l’espace public, A vélo Mesdames!, Femmes et environnement… quel [...]
Bravo mesdames,
Continuez et peu à peu la ville vous appartiendra. C’est un acte courageux rien que d’avoir la volonté de participer à un évènement comme celui-ci
Soyez sûre, cependant avant de partir d’avoir enfilé un bon casque de vélo pour prévenir des possibles chutes.
A quand la prochaine sortie ?