À l’époque, les radios libres ont rarement la possibilité de couvrir un large rayon géographique. Basée près de l’Altitude Cent, RAL émet jusqu’aux prisons de Saint-Gilles et Forest. Dès sa première année d’existence, elle décide de lancer « Passe muraille », une émission qui veut rompre l’isolement carcéral : on y lit à l’antenne les lettres des détenu-e-s et de leurs familles, on y diffuse les disques demandés, les appels téléphoniques en direct, on y accueille en studio les proches désirant s’exprimer au micro… L’émission se déroule chaque dimanche (un jour sans visites en prison) de 18h à 24h et reçoit jusqu’à 120 lettres par semaine. Les animateurs n’opèrent aucune censure sauf en cas de règlements de compte personnels, et diffusent également de l’information sur les droits des détenus.
Il s’agit donc d’une émission service, d’autant plus utile que les visites en prison peuvent s’avérer difficiles humainement et que l’administration pénitentiaire semble tout faire pour les rendre humiliantes. Mais « Passe muraille » ne se contente pas d’être un parloir radiophonique : la liberté de parole qu’elle procure dépasse la diffusion de messages personnels et met en lumière un système carcéral particulièrement inhumain.
Le succès de l’émission lui vaudra d’être méticuleusement surveillée par les services de police, qui enregistrent et retranscrivent son contenu chaque semaine. Première à faire état publiquement d’émeutes survenues pour dénoncer les conditions de détention dans les prisons de Forest et Saint-Gilles, elle sera accusée à plusieurs reprises d’être à l’origine de ces émeutes, des détenus s’étant accordés pour démarrer leur révolte au moment du passage à l’antenne de tel morceau de musique. Il arrivera même que les animateurs soient perquisitionnés et poursuivis en justice, le studio fouillé et l’émetteur de la radio saisi comme « preuve judiciaire ».
Grâce à la persistance de ses animateurs bénévoles (parfois eux-mêmes d’anciens détenus), « Passe muraille » se remettra toujours de ces déboires avec la justice. C’est l’arrivée de la télévision dans les cellules qui aura raison de l’émission : le nombre de courriers diminuera à tel point qu’elle se transformera progressivement en émission d’information sur la prison, sa fréquence devenant mensuelle dans les années 1990, jusqu’à sa disparition en 2010.
Mais RAL existe toujours et de nouveaux animateurs pourraient avoir envie de reprendre le flambeau. Dans d’autres villes, d’autres pays, des stations continuent à proposer des initiatives similaires. Des émissions qui permettent de créer des liens entre le dedans et le dehors… à condition que les prisons soient situées à l’intérieur des villes et que les fréquences des radios libres arrivent jusqu’à elles.
Article publié dans Bruxelles en mouvements n°264, dossier « Enfermer la prison… à la campagne? », mai/juin 2013