Depuis la condamnation pour association de malfaiteurs de onze arracheurs de pommes de terre génétiquement modifiées dans un champ de Wetteren, près de Gand (lire encadré), la contestation des OGM a pris un nouveau tournant en Belgique.
En cette matinée de novembre, les opposants aux OGM sont réunis place de Kouter à Gand pour une fête de protestation. De grands noms sont présents. En chair et en os ou par vidéo interposée, comme c’est le cas de José Bové, célèbre syndicaliste agricole, militant anti-OGM chevronné et actuellement député européen pour Europe Ecologie.
Le pollué-cobaye/payeur
La manifestation est organisée par le Field Liberation Movement, un collectif de citoyen qui milite contre toute culture d’OGM en Belgique. A son micro, Corinne Lepage, parlementaire européenne et ancienne ministre de l’Environnement en France. Mme Lepage est cofondatrice du CRIIGEN, avec Gilles-Eric Séralini, auteur d’une étude, critiquée par le VIB et d’autres institutions, où des rats ont développé des tumeurs énormes suite à l’ingestion de maïs transgénique.
Arracheurs de patates et malfaiteurs: En mai 2011, plus d’une centaine de personnes arrachaient des pommes de terre OGM dans un champ d’essai à Wetteren près de Gand. Onze d’entre elles se sont retrouvées en correctionnelle à Gand. Elles ont été condamnées à des peines de prison fermes et pour association de malfaiteurs ; un deuxième procès, en septembre 2013, a allégé les peines (3 à 6 mois avec sursis), mais la condamnation pour association de malfaiteurs est restée. Une troisième phase s’annonce à la cour d’appel de Gand.
« J’ai comparu volontairement au procès, explique Bart Staes, de Groen !. Je n’étais pas à Wetteren, mais je disais que si ces gens étaient des criminels, je l’étais aussi puisque je partage leurs idées. Je trouve que l’on ne peut pas accepter ce genre de condamnation dans un état démocratique. Si ce sont des malfaiteurs, des gangsters, alors toutes les actions syndicales environnementales, pour la paix, pourraient être poursuivies ! »
Philippe Baret, généticien à l’UCL, nuance. « Ils arrachent les patates parce qu’il n’y a pas de débat, ils n’ont pas la parole. Mais c’est embêtant. Parce qu’il y a atteinte à la propriété privée. C’est embêtant aussi pour l’essai en lui-même. Attention, cela n’a rien à voir avec un essai scientifique : il s’agit d’un essai de démonstration d’une firme commerciale. Et s’il y avait eu des résultats, ils seraient restés confidentiels. »
Lire aussi à ce sujet un précédent article sur Mondequibouge.be: “La désobéissance civile a la patate”
« Les grandes entreprises veulent nous imposer des produits où c’est le principe du pollué-cobaye/payeur qui prime”, dit-elle. Corinne Lepage met en cause l’entreprise Monsanto, le leader mondial des OGM et des semences.
“L’Américain Monsanto possède 72 à 75 % des brevets OGM, explique-t-elle. Avec cet accord de libre-échange avec les USA que nous prépare M. Barroso, nous devons rester mobilisés (2) ! Nous devons exiger que toutes les données sur les effets connus des OGM soient directement accessibles au public et aux scientifiques. Il est inadmissible que les données brutes pour les autorisations restent secrètes. Nous demandons aussi une étude à long terme sur les OGM, les pesticides… »
On ne solutionne pas la faim
François de Saint-Georges, comme dix autres « activistes », a écopé d’une peine de prison avec sursis pour avoir arraché ces fameuses patates OGM à Wetteren. « Il y a énormément de pression et d’argent en jeu, dit-il. Vous allez voir, ce sont les grandes firmes qui vont nous imposer leurs semences dans le futur, cela ne résoudra pas la faim dans le monde comme ils le prétendent. »
Parmi les orateurs, également, le député européen de Groen !, Bart Staes. « Tout notre système européen est sous pression des règles du libre échange, dit-il. Karel De Gucht, notre commissaire européen au Commerce, veut que cet accord commercial avec les Etats-Unis (2) aboutisse. Vous verrez, tout sera dérégulé ! Au niveau agricole et alimentaire ! Et ici, au VIB, il s’agit d’une campagne de propagande. Il ne s’agit pas du tout de solutionner la faim dans le monde. »
« Pour le VIB, la technologie est bonne, explique Arnaud Apoteker, chargé de campagne OGM pour le groupe des Verts au parlement européen. Mais sur les problèmes de choix qu’ils laissent, ou plutôt qu’ils ne laissent pas aux citoyens, ils ne disent rien. Ni sur la contamination de l’environnement par les OGM, pour laquelle il n’y a pas de frontière ni de limites. »
Parmi les sympathisants à la cause anti-OGM ce jour-là à Gand, Tijs Boelens. Ce fermier de Gooik, près de Bruxelles, cultive des légumes bio qu’il vend chez lui, à Halle, et à Bruxelles. « Les OGM sont dangereux pour nous. Ils nous enlèveront à terme notre droit d’utiliser nos semences et nous perdrons notre autonomie. C’est notre ADN à nous qu’ils finiront par nous enlever. »
La semence, c’est comme l’air
« La semence, c’est comme l’air, nous dit le philosophe de la KUL Lieven De Cauter, en soutien à cette «protestfeest». Or on ne peut pas privatiser l’air, c’est un bien commun de l’humanité. Et on ne peut pas privatiser les denrées alimentaires. Nous devons être vigilants et les politiciens doivent être vigilants parce que la science devient contrôlée par les multinationales. Vous savez, Marc Van Montaigu, un des inventeurs, belge, des OGM, a dit que la résistance aux OGM est criminelle et que nous sommes des ignorants et des fanatiques. Mais non, nous contestons seulement cette promiscuité, cet inceste constant entre la science et les multinationales ! »
Marc Litt
- (1) Marc Van Montaigu, chercheur à l’université de Gand, présentait, en 1983, la première plante génétiquement modifiée, un pied de tabac. 30 ans après, en juin 2013, il recevait à Washington le “prix mondial de l’alimentation” pour son travail sur les OGM. Ce prix est vivement critiqué par des associations comme Greenpeace ou Nature et Progrès. Il émane en effet d’une fondation financée en grande partie par les géants de l’agro-alimentaire, dont Monsanto. Robert Fraley, vice-président de Monsanto, a reçu aussi ce prix en 2013.
- (2) Les USA et l’Union européenne négocient un accord de libre-échange pour faciliter le commerce entre les deux entités, qui représente actuellement un tiers des échanges mondiaux. Il s’agit d’abolir les bannières douanières et d’assouplir les réglementations en matière notamment de santé et d’environnement. Les Européens craignent de voir arriver chez eux, par exemple, la viande aux hormones et les cultures et produits à base d’OGM, majoritaires au USA. Un accord est attendu en 2014, voire en 2015.
Après Monsanto, DuPont de Nemours: Un nouveau maïs OGM bientôt autorisé en Europe
Un seul « non » suffit: Cultures OGM : pratiquement impossibles en Wallonie
Les enjeux: Surfaces cultivées en OGM: 55 fois la Belgique
L’action du 12 novembre 2013 : www.fieldliberation.org
Le blog de Philippe Baret (de l’UCL, généticien, agronome) avec les interventions vidéos de Philippe Baret, José Bové, ce 12 novembre 2013 : www.philagri.net
Un “chat” de la RTBF en septembre 2012 avec Philippe Baret sur les dangers des OGM
International Science for the Acquisition of Agri-biotech Applications : www.isaaa.org
Le Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le génie GENétique : www.criigen.org
Un dossier OGM de « Atout Sciences »
Un dossier OGM du Fonds national de la recherche scientifique
Mots-clefs : Baret, Monsanto, Montaigu, OGM, pommes de terre, VIB, Wetteren